Pourquoi la Chine fait les yeux doux à la Wallonie

En choisissant Louvain-la-Neuve pour implanter son premier incubateur européen, la Chine parie massivement sur la Wallonie. Damerait-elle désormais le pion à la Flandre ?

Les chiffres donnent presque le vertige à la Wallonie : 200 millions d’euros investis, sur 90 000 m², pour accueillir 200 entreprises high-tech de Belgique et de Chine. D’ici deux mois, la construction du premier incubateur chinois d’Europe débutera à Louvain-la-Neuve, dans le parc scientifique de l’UCL. Une fois finalisé en 2017, le China-Belgium Technology Center (CBTC) devrait accueillir 1 500 emplois, dont 60 % à destination de travailleurs belges. Cet investissement majeur s’est d’emblée imposé comme l’aboutissement le plus retentissant de la mission royale en Chine, du 21 au 26 juin dernier. La délégation belge comptait alors quelque 231 représentants issus de tous les horizons.

Au-delà des milliards d’euros qui étaient en jeu sous la forme de contrats privés ou de promesses de partenariat sur le plan économique ou académique, la Chine a donc posé un choix éminemment stratégique et symbolique en pariant sur le sud du pays. Si les trois Régions ressortent logiquement gagnantes de ces tractations orientales, les résultats engrangés par la Wallonie avec le CBTC ont marqué les esprits en Flandre.  » La Wallonie est-elle en train de damer le pion à la Flandre ? « , titrait même le journal De Tijd. Le contraste est d’autant plus fort que le nord du pays reste, pour le moment, sans nouvelle d’un projet de centre d’entreprises chinois de 200 000 m². Celui-ci devait éclore à Willebroek. Baptisé European Market City, il avait été dévoilé il y a près de quatre ans déjà.

Le raisonnement s’inscrit également dans le prolongement d’autres succès win-win engrangés du côté wallon. En mars dernier, l’opérateur chinois U-Tour concluait un accord avec l’aéroport de Liège afin d’y faire transiter ses vols touristiques à destination de l’Europe. Soit un potentiel annuel de 50 000 passagers dès 2015, pour un investissement de 700 000 euros que l’aéroport compte rapidement rentabiliser. Cet exemple s’ajoute à l’épisode, plus médiatique encore, des pandas que la Chine avait confiés à Pairi Daiza en 2013, au détriment du zoo d’Anvers. Là encore, le coût de l’investissement, négocié à un million d’euros par an à charge du parc, devrait rapidement être absorbé par l’importante hausse du nombre de visiteurs qui y est liée.

41 millions investis de 2008 à 2014

Le bilan est en revanche nettement plus modeste dès qu’il s’agit d’aborder les investissements consentis directement en Wallonie par des acteurs chinois. Il en va toutefois de même pour la Flandre et pour Bruxelles. De 2008 à 2014, la Chine a ainsi investi 41 millions d’euros et créé 430 emplois au sud du pays, d’après les calculs de l’Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers (Awex). Le montant inclut les 20 millions d’euros que les partenaires chinois du futur CBTC avaient déjà avancés en guise de mise de départ. Les 21 millions restants totalisent les investissements réalisés en grande partie au départ du China Welcome Office de Mons, inauguré en 2008.

Ce véritable sas d’entrée pour les entrepreneurs chinois en Belgique a accueilli jusqu’à 85 sociétés. Huit d’entre elles disposent toujours d’un bureau dans l’incubateur montois. Parmi les autres noms encore mentionnés dans le répertoire de l’Awex, 16 acteurs ont poursuivi leur parcours de façon autonome dans le reste de la Wallonie, principalement dans le Brabant wallon. Dix-sept ont opté pour la Flandre et neuf pour Bruxelles. Enfin, dix autres entreprises ont finalement migré vers un autre pays d’Europe ou y ont au minimum conservé une activité de business.

Sur la période couvrant 2005 à 2014, le bilan flamand reste par ailleurs supérieur à la Wallonie. D’après les chiffres de Flanders Investment and Trade (FIT), le montant investi au nord du pays par la Chine s’élève à 158 millions d’euros. Les 67 projets aboutis auraient permis de créer 1 082 emplois. Cette toile de fond nuance donc l’ampleur de la percée asiatique en Wallonie, qui ne représentait que 4,2% des investissements étrangers en 2014. En revanche, la Wallonie espère bien susciter un appel d’air avec le CBTC.  » Ce centre technologique va créer un flux, pronostique Baudouin le Hardy, directeur général de l’Intercommunale du Brabant wallon (IBW). Nous espérons que nos entreprises pourront évoluer plus facilement vers la Chine, mais nous attendons aussi des sociétés de haute technologie chinoises qu’elles investissent chez nous.  »

Pour y parvenir, la Wallonie a développé sa propre stratégie, au-delà des atouts de la Belgique en tant que plateforme logistique. Cette méthode sur mesure semble progressivement séduire les investisseurs de la première puissance économique mondiale.

La cible : la Chine centrale

C’est en 2008 que la Wallonie décide d’intensifier sa présence en Chine, singulièrement dans les grandes villes des provinces centrales.  » Nous nous sommes aperçus que la Chine n’était plus simplement la grande usine du monde, résume Jean-Claude Marcourt, ministre wallon de l’Economie et du Commerce extérieur (PS). Elle se profilait aussi de plus en plus comme un partenaire privilégié dans les secteurs de pointe et de la recherche.  » A l’époque, une analyse élaborée par l’Awex se charge d’identifier les régions chinoises où le potentiel de croissance rencontre les spécificités du tissu économique wallon.

La convention liant l’UCL et le Wuhan Hi-tech International Business Incubator (Whibi) pour l’émergence du CBTC illustre l’attention particulière que la Wallonie accorde à la Chine centrale, après une première rencontre négociée en 2010 à l’Exposition universelle de Shanghai. En 2011, la Wallonie officialise un jumelage, hautement symbolique en Chine, avec la province de Hubei (60 millions d’habitants). Un an plus tard, l’Awex ouvre une antenne dans la ville capitale, Wuhan, où se concentrent de nombreuses industries de haute technologie.  » Aujourd’hui, l’Awex compte six postes d’attaché économique et commercial en Chine « , se félicite son administratrice générale, Pascale Delcomminette. Ce qui dote la Wallonie d’une plus grande force de frappe que la Flandre et que la Région de Bruxelles-Capitale sur le territoire chinois.

Le lobbying des pôles wallons

En parallèle, la Wallonie tente d’y valoriser ses six pôles de compétitivité identifiés dans le cadre du Plan Marshall 2.Vert : la logistique, l’aéronautique, les matériaux durables, les biotechnologies, l’agro-industrie et l’ingénierie mécanique. La plupart répondent justement aux préoccupations des entreprises chinoises. Mais, comme le confirment les faibles montants investis par la Chine, la Wallonie fait face à une rude concurrence sur place. Pour exister et s’illustrer à côté des grandes puissances mondiales, elle doit également profiter de l’effet d’aubaine lié à sa forte proximité avec les grandes nations de l’Europe de l’ouest. Elle peut ainsi présenter ses atouts auprès d’investisseurs qui ne comptaient pas nécessairement s’y arrêter dans leur mission de prospection.

C’est le cas de l’entreprise chinoise EC Hub, implantée sur le site de Liege Airport depuis l’année dernière. Celle-ci fournit des solutions sur le plan logistique aux acteurs du e-commerce, un secteur en pleine expansion sur la scène européenne. Son fondateur, Liansen Tan, envisageait au départ de s’implanter en Allemagne ou aux Pays-Bas. C’est à l’occasion d’un événement d’introduction organisé par le pôle de compétitivité Logistics in Wallonia, dans la ville chinoise de Shenzhen, que l’entrepreneur s’est finalement tourné vers Liège.  » Bien sûr, notre investissement est guidé par des arguments récurrents, commente-t-il. La position centrale de la Wallonie en Europe, dans un pays multilingue, tout comme la proximité d’un aéroport de fret, ont joué un rôle. Mais l’accompagnement d’experts locaux, qui peuvent agir en tant que coach, est un paramètre plus décisif encore pour nous guider dans notre nouvelle aventure européenne.  »

L’apprivoisement culturel

Cet accompagnement personnalisé pour les investisseurs lointains s’ajoute à la nécessité d’apprivoiser la culture du business chinois, dans un pays où les relations interpersonnelles priment sur tout autre critère.  » Nous n’avons pas d’incitants financiers spécifiques à faire valoir en Wallonie pour attirer les entrepreneurs chinois, précise Pascale Delcomminette. En général, ils ont déjà les moyens d’investir. Par contre, nous avons fortement misé sur le relationnel. La politique des jumelages peut sembler anecdotique, tout comme les échanges protocolaires lors des missions économiques. C’est pourtant primordial pour nouer une confiance durable en Asie.  » En témoigne la douzaine de jumelages opérés entre des villes et provinces de Wallonie et de Chine. Pour faciliter les échanges humains, l’Awex s’appuie également sur l’expertise d’un consultant chinois.

Si la stratégie wallonne entamée il y a huit ans vient d’engendrer un premier résultat d’envergure sur son territoire, les défis restent nombreux. Le plus important consistera à convaincre les entrepreneurs chinois du futur incubateur technologique à rester sur le territoire wallon.  » Si nous y parvenons, ce sera une grande victoire, concède Jean-Claude Marcourt. Les réactions de la presse néerlandophone, qui s’interroge sur les raisons qui ont conduit la Chine à privilégier la Wallonie pour implanter le CBTC, démontrent que rien n’est jamais acquis dans la compétition mondiale du développement économique.  »

De leur côté, les partenaires du projet restent dès lors vigilants.  » Nous veillerons à ce que l’objectif de partage technologique soit respecté et se fasse dans les deux sens « , assure Baudouin le Hardy. Au risque de voir, si tel n’est pas le cas, les investisseurs de l’incubateur quitter le sol wallon, après en avoir ponctionné les meilleures idées.

Par Christophe Leroy

Le plus grand défi sera de convaincre les investisseurs chinois à rester sur le territoire wallon

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