Une femme radicale, qui affronte la mort pour un instant de plaisir. Voici La Vestale de Gaspare Spontini, sa force, sa détresse et ses doutes.
C’est à la vestale Julia qu’incombe l’honneur de couronner Licinius, vainqueur des Gaulois. Pas de bol, parce que ces deux-là furent jadis épris l’un de l’autre, et que cette rencontre ravive au plus haut point leur passion. Les retrouvailles virent carrément au désastre quand, succombant au désir, ils laissent s’éteindre le feu sacré dont Julia avait la garde. Ça barde, comme on peut l’imaginer. La grande prêtresse, le souverain pontife et tutti quanti réclament l’exécution de l’amante, qui s’en tire in extremis par une intervention supranaturelle : sa blouse de vestale, eh oui, ne se consume pas. Un miracle qui lui vaut d’être libérée de ses voeux et autorisée à épouser son militaire… Rares sont les opéras si simples à résumer. Etonnant, aussi, ce choix de La Monnaie de sortir du placard cette tragédie à la française, au style Empire et franchement démodée. Et pourtant, il faut lui donner raison.
D’abord parce que cet opus néoclassique, présenté en décembre 1807 par un Spontini totalement inconnu mais hyperperfectionniste (il met deux ans à composer cette Vestale), remporte alors un succès phénoménal à Paris (avant d’entamer une marche triomphale à travers l’Europe, jusqu’à faire s’embraser l’immense Maria Callas, en 1954, pour Luchino Visconti) : il est toujours intéressant de découvrir à quoi vibraient nos frères humains, et pourquoi, soudain, leurs goûts se transforment. Ensuite, parce que le droit naturel des individus (issu des Lumières), et supérieur à toute loi instituée, y est magnifiquement martelé, en dépit d’un curieux ancrage dans la Rome antique. On y retrouve aussi les thèmes des voeux forcés, du contrôle de la vie des femmes et des solutions barbares qui leur sont apportées – des problématiques toujours d’actualité, hélas. Enfin, les amateurs d’histoire martiale y verront un hommage indirect au héros d’Austerlitz, puisque l’oeuvre prolongeait, en novembre 1807, les cérémonies fêtant la Garde impériale napoléonienne, de retour de la victorieuse campagne de Pologne. Bref, il y en a pour tous les appétits, et l’oeuvre demeure ouverte à beaucoup de (ré)interprétations.
Certes, la mise en scène du Français Eric Lacascade (déjà présentée en 2013 au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris) souffre, çà et là, de quelques pannes d’idées et de petits ratés : des gestes de foule exaspérants, une dysharmonie dans la taille des choristes et des figurants, une sexualité mal assumée, comme ce déshabillage de Julia, qui montre une chasuble de couleur chair à la place du corps, ou cette main posée maladroitement sur ses fesses. Il faut s’accoutumer, aussi, à la langue et aux tournures d’époque, devenues un peu cucul la praline : » Justes dieux ! « , s’écrie un Licinius en plein ébat, lorsqu’il constate que la flamme sacrée vient de s’éteindre, au moment où…, bref, au plus mauvais moment.
Côté partition, un ruissellement de mélodies magnifiques évoquant Gluck, tantôt fières, tantôt touchantes, auxquelles se mêlent les cris de détresse ou d’effroi répétés de Julia (l’excellente soprano Alexandra Deshorties, qui passe de l’abattement à l’hystérie) ou de la Grande Vestale (Sylvie Brunet-Grupposo, en mère supérieure outragée vomissant ses imprécations contre l’amour), est un autre cadeau de cet opéra. S’il n’a pas exactement le physique de l’emploi, Yann Beuron, en Licinius, incarne brillamment un général dont la logique passionnelle passe (une fois n’est pas coutume) devant la raison d’Etat. Enfin, la conduite du chef italien Alessandro De Marchi, drôle, souriant, sautillant, qui se retourne et dirige face au public, dès que les solistes (tous Français) ne chantent pas. Après l’installation de l’orchestre carrément sur scène (Elisir d’amore, le mois dernier), le Cirque royal, par sa configuration circulaire, permet toutes ces fantaisies. A nous de trouver les nôtres, dans cette proposition assez inégale d’une oeuvre, finalement, plutôt géniale.
La Vestale, de Gaspare Spontini, La Monnaie. Au Cirque royal, à Bruxelles. Jusqu’au 25 octobre. www.lamonnaie.be
Valérie Colin