Pour la voix de Raphaël

Philippe Cornet Journaliste musique

Avec Caravane, le jeune Raphaël inscrit sa fascinante voix nasillarde dans un romantisme sans âge

CD chez EMI. En concert le 11 novembre 2005, à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles.

Tél. : 02 548 24 24.

On aimait déjà le Raphaël du précédent album û La Réalité, paru en 2003 û, mais Caravane nous emmène un cran plus loin, au bord du coup de foudre. Passant et repassant les onze titres du disque comme un mantra hexagonal, on laisse la fameuse voix û mélange de vinaigre et de rose û labourer les mélodies jusqu’à l’hypnose. Après dix ou quinze écoutes, on fait un petit break, parce que cela a failli virer à l’obsession. Peut-être parce que l’album a cette qualité rare en langue française : la voix colle aux mélodies, elle s’y fond et se baigne tout entière dans l’accompagnement pimpant d’anciens de la bande à Bowie (Mike Garson, Carlos Alomar).

Raphaël est né dans une famille juive û père russe, mère argentine û, mais on le savait déjà avant qu’il le dise : ses chansons respirent les migrations et les autres parfums du vent, comme le tango, qui scellent les musiques éternellement en fuite. La plage titulaire du disque donne parfaitement le ton : des accords de guitare acoustique emportés par des murmures, un son cristallin déchiré par le larynx de Raphaël, accroché à une métaphysique de la tristesse.  » Parce que rien ne peut arriver/Puisqu’il faut qu’il y ait une justice/Je suis né dans cette caravane/Mais nous partons, allez viens.  » Sur les langueurs de sa candeur, Raphaël construit un spleen bien à lui, celui qu’il traîne depuis que, tout petit, sa mère lui disait : » Il ne faut pas se quitter fâchés, qui sait ce qui peut arriver pendant la nuit.  » C’est le thème de la deuxième plage, tout empreinte d’harmonica dylanien, enthousiaste sur nos impasses.  » Mes parents écoutaient Simon & Garfunkel, Joan Baez, Dylan, Pink Floyd, de la musique classique, Barbara. Ils sont tous les deux avocats, mais j’ai grandi, sans beaucoup de pognon, dans une banlieue parisienne. C’était sympa, on se marrait bien. Je voulais être tennisman (…) mais, assez vite, j’ai été fasciné par la musique des autres : Led Zep, Hendrix, un univers de sensations, de voyages dans le temps. Cela me faisait pleurer.  »

Doté d’un physique d’ange pasolinien, photographié par Mondino, Raphaël n’a pas l’air de la ramener et ne tisse aucun discours : ses chansons se contentent d’être plus grandes, plus mystérieuses que lui. Même si deux ou trois éléments le sortent d’emblée du lot, dont une complicité avec Gérard Manset (qui signe une chanson) et sa fille, Caroline, devenue son manager.

150 000 exemplaires vendus du disque précédent ?  » Cela reste marginal ( sic), tout le monde ne me connaît pas.  » Chanteur à minettes pour cause de belle gueule ?  » Cela ne me culpabilise pas, j’ai le sentiment d’avoir ce que je mérite.  » Trois morceaux suggèrent néanmoins que les cicatrices ne sont pas forcément loin pour le wonderboy, qui aura 30 ans en novembre. Dans Chanson pour Patrick Dewaere, qu’il aurait voulu interpréter avec un autre fusillé de la vie, Guillaume Depardieu, il bâtit une  » ode au romantisme, à la déchirure, à la fragilité. J’ai pensé à Dewaere, Léotard ou Depardieu « . Lorsqu’on parle de Schengen, Raphaël Haroche dit :  » Je n’ai rien contre les artistes qui s’insurgent, mais ce n’est pas mon cas. Cela dit, je ne comprends pas qu’on puisse interdire un pays à quelqu’un parce qu’il n’a pas le bon passeport. Mon père est venu du Maroc à la fin du protectorat français : pendant longtemps, il a eu peur d’être expulsé de France.  »

Reste l’insidieusement mélancolique Et dans 150 ans, qui est peut-être la version 2005 du désespoir caustique à la Ferré. Sous bordée d’accordéon slave, accoudé au sous-marin des sentiments, Raphaël repasse le passé au mode du présent. Il n’en reste pas grand-chose :  » J’étais avec mon père, il était un peu dans des soucis, dans des emmerdes de la vie de tous les jours, puis il m’a dit : ôDans 150 ans, on n’en aura rien à foutre. » Ouais, levons le coude !  » Inspiré de François Villon et de La Ballade des pendus, Raphaël nous fout le blues. Et c’est drôlement bon.

Philippe Cornet

Accoudé au sous-marin du sentiment, Raphaël repasse le passé au mode du présent

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