Portraits de familles

DE GAIFFIER D’HESTROY 725 ans de discrétion

Pas une rue, pas une place ne portent leur nom. Un oubli ?  » Je pense que si mes ancêtres l’avaient voulu, cela aurait été fait depuis longtemps. Mais nous n’avons jamais aimé nous mettre en avant « , glisse Guillaume de Gaiffier d’Hestroy, actuel représentant de cette lignée qui traverse les époques depuis… le XIIIe siècle !

La première mention d’un de ses membres remonte en effet à 1289, dans le livre des cens et rentes du Comté de Namur qui faisait état d’un seigneur Gaiffier. Le petit  » de  » n’était pas encore de rigueur et ne le deviendra qu’après l’anoblissement de la famille, obtenu à une date non déterminée. Peut-être ce clan d’origine méridionale était-il établi en vallée mosane depuis plus longtemps encore. Mais il y subsiste donc au moins depuis 725 ans dans la discrétion, qui ne rime toutefois pas avec inaction. Ce nom de l’aristocratie namuroise s’est tantôt distingué dans la magistrature, tantôt en politique. Nombre d’échevins, de bourgmestres et de conseillers provinciaux ont porté ce patronyme.

Le plus effréné fut sans doute Godefroid de Gaiffier qui, entre les XVe et XVIe siècles, enchaîna 27 mandats d’échevin. Le plus renommé fut probablement Paul de Gaiffier (1865-1940) qui devint gouverneur de la province et qui créa l’école hôtelière.  » Il n’a jamais voulu toucher ses émoluments ni habiter le palais provincial. Ses finances personnelles lui étaient sans doute suffisantes. Il a dépensé beaucoup de sa fortune pour son métier.  »

Tout comme son frère, Edmond, qui officia comme ambassadeur de Belgique à Paris, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à sa mort, en 1935, après laquelle il eut l’honneur de funérailles nationales.

Le fils et petit-fils de Paul devinrent par la suite respectivement bourgmestre de Houx et conseiller communal d’Yvoir. La tradition politique familiale s’arrêta là. Mais les de Gaiffier d’Hestroy, eux, sont bel et bien toujours présents.  » La descendance aurait pu s’arrêter en 1914 lorsque mon grand-père a combattu, mais il a finalement eu un fils et la lignée est repartie « , détaille Guillaume de Gaiffier d’Hestroy, qui travaille chez BNP Paribas Fortis et qui a deux frères et un cousin vivant aux Etats-Unis.

 » Il est important pour nous de conserver une continuité familiale. Nos ancêtres se sont distingués, ils ont fait passer l’intérêt général avant leur intérêt personnel, et nous nous devons d’adopter une manière de vivre irréprochable. Si nous sommes toujours présents dans cent ans, même si des difficultés financières se présentent, cela prouvera qu’il y a moyen de perpétuer l’esprit familial !  »

DELFORGE La presse et la foi

En apprenant le rachat de l’Avenir par Tecteo, le sang de Françoise Nahon-Delforge s’est quelque peu glacé. Le journal créé par son grand-père d’obédience catholique racheté par une intercommunale dirigée par un mandataire socialiste…

René Delforge n’aurait sans doute pas davantage apprécié le tournant qu’a pris  » son  » quotidien, créé en 1918.  » Mon grand-père, originaire de Montigny-le-Tilleul, était parti à Verviers pour fonder Le Courrier du Soir puis il est venu à Namur à la demande de l’évêque, qui voulait remplacer l’Ami de l’Ordre « , raconte-t-elle.

Le rédacteur en chef restera en place seize ans, jusqu’à son décès à 55 ans à peine. Son fils, Marc, prendra le relais, propulsé à ce poste par les dernières volontés de son père. Il y restera quarante ans et traversera une guerre (il fut obligé de s’exiler en Angleterre où il devint chef de cabinet du ministre de l’Information) et plusieurs affaires retentissantes, comme la scission de l’Université de Louvain, le drame du Softénon à Liège, la question de l’avortement, la guerre scolaire…

Puis il assista à la transformation financière de l’organe de presse qui devint de plus en plus soumis aux lois de l’économie.  » Il n’a pas facilement vécu cela « , pointe son fils, Paul, qui travailla à ses côtés comme journaliste. D’autant que Marc Delforge avait toujours pris soin de distinguer presse et gros sous. Des actions, il n’en avait achetées que cinq, pour pouvoir assister aux conseils d’administration.  » A sa mort, les gens des impôts ne voulaient pas croire qu’il avait exercé sa fonction sans devenir très riche !  »

L’homme de presse a eu sept enfants qui tous ont pris des chemins professionnels divers. Dont la politique pour Françoise Nahon-Delforge qui fut conseillère provinciale CDH et administratrice de l’UCM, ou encore le droit pour son cadet, Jean-Marie, qui a récemment pris sa retraite après une carrière de magistrat au tribunal de Namur.

Par le mariage de Marc Delforge et de Lucie Attout, des liens seront noués avec cette autre grande famille namuroise qui, via son représentant Emile Attout, reste associée à la création des mutualités chrétiennes et de la clinique Saint-Luc de Bouge.

BISTER Le hasard de la moutarde (fait bien les choses)

Il partait acheter un camion repéré dans les petites annonces. François (dit Franz) Bister est finalement ressorti de son rendez-vous avec une entreprise. Une fabrique de moutarde, qui produisait la marque L’impériale depuis 1877. Non que cet entrepreneur rêvait de se lancer dans le business des condiments, mais il savait repérer une bonne affaire.

Conséquence de son expérience accumulée dans la production de chicorée, un domaine dans lequel cet ancien tourneur-fraiseur s’était lancé après son retour, blessé, de la guerre 14-18. Mais dans les années 1920, une brutale inondation avait noyé ses installations. Le fameux camion était censé le remettre sur de bons rails.

Conséquence, sans doute également, d’un virus entrepreneurial transmis par son père, Jules. Un plombier zingueur ornemaniste issu d’une estimée famille de bateliers, installée à Namur depuis le XVIIIe siècle, et qui avait fondé une entreprise prospère. Les toitures du casino de Spa, du palais des Beaux-Arts de Liège ou encore de l’église Saint-Paul d’Anvers portent sa marque, tout comme une flopée de villas, hôtels et châteaux des rives mosanes.

Les pommes ne tombant jamais loin de l’arbre, Jean Bister poursuivra lui aussi la tradition en reprenant, en 1950, la moutarderie de son père Jules.  » Mais il était sans doute plus un financier qu’un industriel, décrit sa fille, Fabienne. Il était clairement « Monsieur Bister » et dans son esprit, l’entreprise allait mourir avec lui. Quand je l’ai rejointe, en 1991, il avait 66 ans et nullement l’intention de s’arrêter. Puis en 1995, les actionnaires familiaux m’ont demandé de prendre le relais.  »

Cette ancienne journaliste et consultante tient toujours les rênes, même si elle rêverait parfois d’une autre trajectoire professionnelle.  » J’ai fait trois fois le tour des descendants de mon grand-père, mais personne ne veut ou ne peut prendre ma place.  » Peut-être sa fille lui succédera-t-elle un jour, après ses études en sciences économiques.

En attendant, la société Bister se porte bien. Employant une quinzaine de personnes, elle coexiste désormais avec une deuxième usine installée en France depuis 2002, tandis que les entités jamboises ont déménagé l’année dernière vers le parc industriel d’Achêne. L’illustre bâtiment de la rue de Francquen sera transformé en immeuble à appartements. Mais que les nostalgiques se rassurent : le célèbre logo rouge sur la façade, lui, survivra à la transformation.

MATERNE La confiture saveur politique

A l’époque, la vallée de la Meuse fleurait bon les fruits. La fraise, déjà, à Wépion, mais aussi la pomme et la poire, juste à côté, à Dave. Comme beaucoup d’autres familles des environs, les Materne vivaient de la récolte et apprirent toutes les ficelles du métier à leur fils, Edouard. Après son mariage en 1888, celui-ci décida naturellement de perpétuer la tradition en créant sa société, active dans le commerce de fruits et de production de sirop.

Les bases du futur géant de la confiture étaient jetées. Ses fils (Jean, Albert, Henri, Paul et Joseph) le rejoignirent. Mais en tant qu’aîné, c’est Jean qui prit véritablement les commandes dès 1921, asseyant définitivement la notoriété de la marque. En 1938, leur nom trônait sur les tables de petit- déjeuner d’un Belge sur trois.

 » C’était une personnalité marquante, se souvient Pascal Vanderveeren, son petit-fils. Un véritable bourreau du travail, qui anticipait l’avenir.  » Un visionnaire qui, après la Seconde Guerre mondiale, comprit que les habitudes alimentaires évolueraient et fonda la première usine de surgelés du pays, baptisée Frima (Frigorifiques Materne).

L’homme s’investit aussi en politique et fut bourgmestre libéral de Jambes, puis sénateur. Précurseur, encore, puisqu’il fut l’un des premiers à faire construire des logements sociaux.  » Il avait un sens social aigu, c’était un patron adoré par le personnel. C’était aussi un francophone très wallon, grand ami de François Bovesse. Après que celui-ci ait été assassiné par des collabos, j’ai toujours entendu dire que mon grand-père aurait été le prochain sur la liste.  »

Jean Materne décéda en 1964. Son fils, Raymond, lui succéda comme bourgmestre. Mais la gestion familiale de l’entreprise ne lui survécut pas. En 1970, elle est rachetée par le groupe américain W.R. Grace. Une porte de sortie pour régler les problèmes de succession. Ironie du sort, après avoir changé plusieurs fois de mains, Materne est désormais géré par Jean-Luc Heymans, descendant d’une autre famille namuroise qui avait fondé le concurrent Confilux.

Le dernier à avoir travaillé au sein de la firme fut Jean-Claude, fils de Joseph, qui poursuivit ensuite sa carrière chez Colgate-Palmolive. Beaucoup d’autres descendants ont opté pour une profession libérale. Médecins ou avocats, pour la plupart. Comme Pascal Vanderveeren, inscrit au barreau de Bruxelles depuis 1968 et qui fut bâtonnier, ou son fils Olivier, qui exerce le droit humanitaire et a notamment travaillé avec le docteur congolais Denis Mukwege, célèbre pour son action envers les femmes victimes de viols de guerre.

ZOUDE Les ancêtres du cristal

A l’origine, elle ne s’appelait pas Zoude, mais Zouth. Cette famille d’origine irlandaise finira par franciser son nom au fur et à mesure des années suivant son installation en Belgique au XVIe siècle. Le clan gagna ses galons au sein de la bourgeoisie namuroise, tâtant tantôt du commerce, tantôt de la politique. Début du XVIIIe, Michel officiait ainsi comme échevin tout en étant maître de forges. Son frère, Pierre, travaillait comme maître batelier.

C’est le fils de celui-ci qui donna aux Zoude une renommée dépassant les rives mosanes. Sébastien Joseph (né en 1707) avait d’abord tenté sa chance dans le beurre, le lin, la mercerie. Mais il trouva finalement sa voie dans l’industrie du verre. Le cristal, plus particulièrement, dont il devint premier producteur d’Europe. Alors qu’il fut ensuite interné dans ce que l’on appelait alors une  » maison de débiles « , ses fils prirent le relais. Sans succès : Augustin préféra devenir prêtre et sous la direction de François, l’entreprise familiale vivota.

Son fils, Louis, fut celui qui remit la société sur les rails. Il surpassa même son grand-père : l’entreprise basée à Jambes employa jusqu’à 500 ouvriers et il acquit une réputation internationale. Après sa mort, en 1854, ses héritiers revendirent à la firme concurrente qui était venue s’installer trois ans plus tôt non loin de là, dans le quartier d’Herbatte. Ce rachat fonda les Cristalleries et Verreries namuroises, qui seront-elles-mêmes absorbées par les Cristalleries du Val Saint-Lambert.

D’autres branches de la famille se distinguèrent également. Comme Léopold, médecin qui s’était lancé dans la fabrication de boulets de canon, avant de devenir membre de la chambre des représentants pour le parti libéral puis sénateur, poste qu’il occupa jusqu’à son décès en 1853. Près d’un siècle plus tard, les Namurois entendront surtout parler des Zoude au travers de Charles, avocat, bâtonnier, journaliste puis bourgmestre de Namur de tendance catholique entre 1839 et 1842. Les livres d’histoire cessent ensuite d’évoquer la famille belgo-irlandaise. Si des descendants subsistent, ils vivent probablement désormais dans l’anonymat, loin de la capitale wallonne.

FAMILLE GRAFÉ Quatre générations de (bonnes) bouteilles

Sous les voûtes, dans les moindres renfoncements, des bouteilles vierges de toute étiquette prennent patiemment la poussière. Les sous-sols de la cathédrale de Namur semblent taillés sur mesure pour abriter les crus qui seront bientôt estampillés  » Grafé Lecoq, éleveurs- négociants depuis 1879 « .

L’histoire familiale n’est au départ pourtant pas marquée par le vin, mais par la robe. Celle que portait Joseph Grafé, fils de professeur devenu avocat respecté, qui comptait parmi ses clients la Ville de Namur et qui finit lui-même par se lancer en politique. Une rue namuroise porte d’ailleurs son nom. Robe universitaire, ensuite, que revêtait son frère, Alfred, parti enseigner à l’ULg et qui deviendra plus tard le grand-père d’un certain Jean-Pierre Grafé.

Aucune de ces toilettes ne faisaient envie à leur frère, Henri. Lui était tombé amoureux du vin. Un coup qu’il avait reçu au coeur, selon la légende familiale, lors d’un voyage en Bourgogne avec son épouse, Léontine Lecocq, au retour duquel il décida de lancer son commerce de spiritueux, à 20 ans à peine.

Pas question d’importer simplement des crus hexagonaux prêts à boire. Mais plutôt de les acheter bruts et de les faire vieillir. Encore aujourd’hui, l’entreprise est la seule en Belgique à pratiquer  » l’élevage  » du vin. Et les caves de la cathédrale, louées dès 1905, furent rapidement trop petites et bientôt complétées par celles du palais de justice et, plus tard, de la Citadelle.

Quatre générations plus tard, un Grafé Lecocq préside toujours aux destinées de cette PME d’une trentaine de personnes, qui a reçu le titre de fournisseur breveté de la Cour de Belgique. Bernard Grafé a succédé à son père, Jean-Loup, qui lui-même avait pris la relève de son père et son oncle, Henry et Jean.  » La cinquième génération est encore un peu jeune, mais on sent déjà que la culture du vin est bien ancrée chez elle « , sourit le dirigeant.

Il faut dire que la majorité des branches de la famille s’y sont mises. L’un des oncles de Bernard Grafé est producteur de cognac, un autre a opté pour les vins de Beaune et un troisième a lancé son vignoble en… Belgique, le domaine du Chenoy.  » Quand tout le monde se réunit, je vous laisse deviner le sujet de conversation…  »

Mélanie Geelkens

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire