Trois expositions majeures explorent les périphéries du pop art et des sixties. En effet, les artistes furent nombreux tout autour de la planète à s’inscrire dans cette esthétique née au coeur de l’American way of life. Au total, plus de 350 oeuvres. Décryptage.
Près de trente ans après sa mort, Andy Warhol, le plus célèbre des artistes du pop art n’a pas fini d’étonner. Au musée d’art moderne de Paris (jusqu’au 7 février), l’accent est mis sur sa production de série dont la plus spectaculaire, Shadows, s’étire sur 130 mètres. A Metz, le Centre Pompidou plonge (jusqu’au 23 novembre) au coeur de l’Underground new-yorkais dont il fut la figure majeure. Oui, le pop art a le vent en poupe et chacun reconnaîtra l’extraordinaire créativité qui s’empara de toute une génération (de Rauschenberg et Jasper Johns à Oldenburg, Lichtenstein, Rosenquist, Dine et autres Indiana) dont le Wallraf museum de Cologne détient, près de chez nous, une collection remarquable.
Le pop art, c’est aussi désormais le » popisme « , comme l’a désigné une exposition organisée voici quelques mois à Sydney, en Australie. Aujourd’hui, trois rendez-vous élargissent le propos en ce sens. A Londres, à la Tate Modern, The World Goes Pop réunit, en écho aux productions américaines, 160 oeuvres créées aux quatre coins de la planète et ce jusqu’au Japon et au Brésil. Du coup, l’initiative révèle combien le tout à l’image devient, grâce à l’exemple américain, la voie royale pour exprimer avant tout les utopies et les révoltes de la fin des années 1960 et le début des seventies. A Bruxelles, l’Espace ING resserre le propos en visant à montrer, 130 pièces à l’appui, comment le pop art fut accueilli chez nous, d’abord par les collectionneurs puis par des artistes aussi différents que Panamarenko et Pol Mara, par exemple. Enfin, à Namur, la Maison de la culture a choisi d’explorer une seule thématique liée aux revendications féministes du temps. Mais toutes trois soulignent aussi combien, lorsque la créativité fait place à la volonté de démonstration, l’art n’est le plus souvent qu’un produit de son temps. Un temps forcément lointain, déjà.
Pop Art in Belgium à l’Espace ING, à Bruxelles
Aux cinq chapitres résumant les grandes thématiques du pop art (consommer, aimer, se représenter, vivre l’urbanité et se révolter), l’exposition ajoute une sixième section évocatrice du rôle joué par les galeries et les collectionneurs de chez nous. Dans les salles se croisent l’art américain, britannique, français et belge. D’où ces liens aussitôt établis entre les travaux de Claes Oldenburg ou Christo et ceux du jeune Panamarenko, l’influence de James Rosenquist sur Pol Mara ou encore l’usage du plâtre par George Segal qu’emprunte le jeune Marcel Broodthaers. Cette mise en évidence de ces rapports est d’autant plus passionnante qu’elle révèle souvent la singularité de nos artistes.
L’histoire de cette relation se précise en 1963 sous l’impulsion de plusieurs facteurs liés à la curiosité, l’audace et la détermination de quelques amateurs. En 1964, les musées d’Amsterdam, de Stockholm et de Berne consacrent le mouvement américain. Rauschenberg obtient le Lion d’or à la biennale de Venise. Nos artistes sont à l’écoute. Cette même année, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles consacre une grande exposition au mouvement en y incluant des artistes comme Vic Gentils (scandaleusement absent de l’expo de l’ING), Pol Mara, Paul Van Hoeydonck et Marcel Broodthaers. A partir de 1966, la galerie anversoise Wide White Space devient le haut lieu des happenings et autres expérimentations du trio Panamarenko, Hugo Heyrman et Wout Vercammen. De son côté, Roger Raveel, qui n’a rien demandé à personne, voit son travail assimilé à la tendance pop alors que d’autres comme Jef Geys ou Raoul De Keyser poursuivront une oeuvre qui n’aura plus que de très lointains rapports avec le pop art.
Jusqu’au 14 février 2016. www.ing.be/art
The World Goes Pop à la Tate Modern, à Londres
Dans une scénographie aussi variée que joyeusement colorée, le rose succède aux bleus pâles et les peintures à l’émail aux plastiques et bricolages tous azimuts. Mais dès la première salle, les peintures, assemblages et premières vidéos désignent une cible : l’Amérique du bien-être et son impérialisme aveugle. Dans un décor de jungle, le Français Rancillac s’en donne à coeur joie convoquant dans une composition en maelström mais de façon très appliquée, l’art de Warhol, la bande dessinée et les images du Vietnam. Non loin, dans une peinture du Norvégien Erro, l’affrontement visuel met en scène un camion fast-food en pleurs et les larmes d’un visage aux allures de Guernica. Oui, dans l’exposition londonienne, l’accent est manifestement politique. Mais au-delà, le choix de Picasso n’est pas anodin puisque l’artiste espagnol symbolise à lui seul toutes les recherches formelles de la première moitié du XXe siècle.
En effet, la leçon esthétique retenue par les artistes de la périphérie (de Rio de Janeiro à Moscou en passant par Barcelone et Paris) est bel et bien celle d’une page tournée. Aux richesses de la peinture à l’huile, voici la matité des premières acryliques. Aux tracés de coeur, la précision des graphistes et des dessinateurs de bédé. Aux gestuelles audacieuses, l’application et le recours aux assemblages et autres photomontages. Inspirés par l’art de la publicité, le psychédélisme, les mass-media ou encore les méthodes du réalisme socialiste, ces artistes peinent à convaincre même si, çà et là, une découverte éblouit comme la grande toile du Japonais Ushio Shinohara qui associe le monde nouveau à l’art populaire ancien des estampes.
En cause, sans doute deux raisons. La première réside dans le fait que le contexte de la vie des jeunes New-Yorkais à l’aube des sixties n’est pas exportable. Au mieux peut-on espérer l’imiter mais en mode mineur. La seconde tient au choix des commissaires. Sur les 160 oeuvres, 11 seulement sont antérieures à 1965. Or, à cette date, le pop art new-yorkais est déjà supplanté par l’art minimaliste et bientôt le conceptuel.
A la fin des sixties et durant les seventies (76 pièces sont postérieures à 1970), le pop est dépassé. En Europe de l’Est comme de l’Ouest ainsi qu’en Amérique latine et au Canada, l’heure est à la dénonciation. Contre l’impérialisme américain, ses croisades militaires et son indifférence aux malheurs du monde ou encore contre les oeuvres emblématiques de Warhol, Indiana ou Lichtenstein mises à mal dans les toiles des Russes Komar et Melamid. En point de mire, il s’agit aussi de pointer les dictatures. Franco en Espagne, Salazar au Portugal, tant d’autres de l’autre côté de l’Atlantique ou encore dans les pays communistes. L’occasion de ressortir les artistes d’Equipo Crónica, Fromanger et autres Cueco. Mais aussi, des créateurs moins célébrés. On songe au Polonais Jurry Zielinski, à l’Espagnole Eulalia Grau.
N’empêche, les plus percutants appartiennent à l’ancienne génération. Le Britannique Joe Tilson est né en 1928 comme Öyvind Fahlström dont la performance réalisée en 1964 dans les rues de New York (un micro-trottoir sur le thème » Etes-vous heureux » réalisé sous les portraits du président Mao et du comédien comique Bob Hope) garde toute sa pertinence comme cette paire de bombes dressées et peintes (Bombs in Love, 1962) par l’Autrichienne Kiki Kogelnik. Le parcours pointe aussi d’autres thèmes liés à la réification de l’environnement et du quotidien, les découvertes (la pilule contraceptive), le féminisme et la libération sexuelle dont les expressions sont, avec le recul, bien » sages « .
Jusqu’au 24 janvier 2016. www.tate.org.uk
Pop Impact à la Maison de la culture de Namur
Ici, on se concentre sur la seule création féminine des années pop. On songe évidement à Niki de Saint Phalle, bien représentée par des travaux en plâtre du début des années 1960. Cependant, on devine aussi que les combats rageurs et joyeux de l’artiste française conduisent à un autre point d’ancrage du parcours : la thématique de la femme libérée dont la Namuroise Evelyne Axell serait ici la représentante, même si elle occupe aussi le terrain à Bruxelles. Relevant autant de la subversion que de la complicité, ses dessins, plexi et peintures séduisent. Trop, peut-être. On découvre d’autres féminités bouillonnantes et méconnues comme Pauline Boty, Jann Haworth (qui réalisa avant Oldenburg des sculptures molles) ou encore Nicola L. Leurs propos, plus féministes, s’expriment souvent par des choix de matériaux particuliers comme le vitrail, les tissus, les miroirs… dont elles usent à la manière d’assemblages. Leur volonté commune paraît bien être l’expression d’une sensualité réprimée et la volonté de dénoncer (sous forme ludique parfois) les codes et les caricatures dont elles demeurent les victimes. Un peu isolée, Martine Canneel exprime de son côté, sur un ton aussi coloré qu’électrique, des préoccupations liées à la vie urbaine, voire à l’écologie.
Jusqu’au 14 février 2016. www.province.namur.be
Par Guy Gilsoul