Plan stratégique : le grand marchandage

Le plan Vandeput (N-VA) sur l’avenir de l’armée recalé, d’autres pistes moins onéreuses sont examinées par le gouvernement. Mais on serait encore loin d’un consensus sur les mesures concrètes.

Sorti des écrans radars ces dernières semaines, le  » plan stratégique  » à quinze ans de Steven Vandeput refait parler de lui. Le cabinet du ministre de la Défense reconnaît que plusieurs scénarios sur l’avenir de l’armée sont actuellement discutés en intercabinets. La pression exercée ces derniers jours par des parlementaires et les syndicats militaires, qui protestaient contre l’absence totale d’informations sur un plan promis depuis des mois, semble avoir porté ses fruits.

Rédigé à la demande du gouvernement, le plan stratégique devait en principe atterrir en mars dernier. A l’époque, le ministre de la Défense a fait savoir qu’il ne pourrait présenter,  » vers Pâques « , que les grandes lignes du projet, renvoyant à septembre 2015 les mesures d’exécution concrètes. En réalité, il a fallu attendre le conseil ministériel restreint du 8 mai dernier pour que tombe un accord, mais ce dernier ne concernait que les prémices du plan : la définition de l' » environnement sécuritaire  » dans lequel l’armée belge est appelée à évoluer. Ce contexte international est devenu plus incertain, avec les crises à l’est et au sud de l’Europe.

Les discussions entre cabinets ministériels ou en  » kern  » se sont succédé, sans résultat. A tel point que l’entourage du ministre a été forcé de reconnaître que le plan ne sortirait pas avant la rentrée parlementaire, début octobre. Mais à présent, plusieurs sources nous assurent que le plan sera finalisé, au plus tôt, en janvier 2016 !  » La version initiale défendue par Vandeput a été recalée trois fois en conseil des ministres restreint, glisse Wally Struys, professeur émérite à l’Ecole royale militaire et spécialiste de l’économie de la défense. Dans le dossier sur l’avenir de l’armée comme dans tant d’autres, de vives tensions opposent le CD&V et la N-VA.  »

Des avions, des drones, des frégates…

Depuis juin dernier, le contenu du projet de réforme concocté par le ministre N-VA est connu : une taupe en a diffusé les grandes lignes. L’enquête du SGRS sur ces indiscrétions a mené le service de renseignement de l’armée jusqu’au cabinet Vandeput, mais le ministre s’est opposé à la saisie de l’ordinateur portable d’un de ses collaborateurs. Grâce aux fuites, on sait que Vandeput place la barre très haut : il souhaite tripler le budget de l’armée entre 2020 et 2030. L’enveloppe annuelle atteindrait ainsi les 6,3 milliards d’euros dans quinze ans, ce qui ferait remonter les  » dépenses de Défense  » de la Belgique au niveau de la moyenne européenne (1,6 % du PIB).

Selon Steven Vandeput, cette hausse du budget et une réduction des effectifs de l’armée – de 31 000 à 27 000 hommes – permettraient de financer un vaste plan d’investissements. Parmi les achats prévus : le remplacement des chasseurs-bombardiers F-16 par de nouveaux avions de combat à capacité nucléaire (un marché de 4 à 5 milliards d’euros), des hélicoptères d’attaque, un bouclier antimissile de type Patriot, des drones armés et d’observation, de l’artillerie à guidage GPS, des avions ravitailleurs, trois nouvelles frégates, cinq chasseurs de mines…

Cette shopping list ambitieuse n’a pas été élaborée par l’état-major, mais par un petit groupe de collaborateurs du ministre.  » La logique du cabinet Vandeput est irréaliste, s’exclame Wally Struys. Il faudra inévitablement faire des choix. On peut d’ailleurs se demander quelle coalition, après les élections législatives de 2019, accepterait d’appliquer un programme aussi onéreux !  » L’option maximaliste de Vandeput rejetée, des niveaux de  » dépenses de Défense  » plus modestes sont désormais envisagés. Exit le système de défense antiaérienne, les hélicoptères de combat… Si le budget annuel de l’armée en 2030 ne dépasse pas les 2,6 milliards d’euros, seule une armée réduite à 18 000 hommes permettrait de sauver l’essentiel des gros investissements dans les composantes Air et Mer, en particulier l’achat du successeur du F-16.

Casernes à vendre

 » La composante Terre est, avec le service médical, le parent pauvre de l’armée, note Wally Struys. Cette situation risque de s’aggraver. D’autant que la composante Air captera la plus grosse part des investissements futurs.  » Le projet de Steven Vandeput d’articuler la force terrestre autour de quatre unités réduites, des  » groupements tactiques interarmes  » (ou battle groups) de 1 200 hommes combinant différentes missions, du génie aux forces spéciales, fait toujours débat.

 » On se dirige vers un grand marchandage politique, pronostique Patrick Descy, de la CGSP-Défense. Le futur plan sera sans doute un mélange des scénarios mis aujourd’hui sur la table du gouvernement. Une foire d’empoigne est prévisible entre ministres quand il s’agira d’adopter les modalités concrètes d’exécution : suppression d’unités, fermeture d’implantations…  » Le département  » MRInfra  » de l’armée, qui gère toute l’infrastructure militaire, en est encore, nous confie-t-on, à réaliser des études sur les casernes qui pourraient être vendues.

Un avenir en pointillés

En l’absence de décisions politiques, il n’y aura pas d’avancement à un grade supérieur pour les officiers et sous- officiers avant la mi-2016.  » Cette situation aura des implications financières pour les non-promus, alerte la CGSP-Défense. Nombre d’entre eux, proches de la pension, se demandent à quelle sauce ils seront mangés.  » Plus largement, l’avenir de l’armée belge s’inscrit en pointillés, alors que de lourdes menaces pèsent sur les infrastructures militaires wallonnes ; que des casernes ne sont presque plus entretenues ; que des missions de l’armée vont être externalisées…

Seule certitude : les économies prévues à la Défense sous cette législature ne seront pas remises en cause. Le gouvernement Michel impose au département une économie de 225 millions d’euros en 2015, pour atteindre 401 millions en 2019. Soit une perte cumulée de plus de 1,5 milliard d’euros sur cinq ans (le budget annuel de la Défense est plafonné à 2,1 milliards à l’horizon 2019, contre 2,45 milliards aujourd’hui). Pour le politologue belge Joseph Henrotin, spécialisé dans les questions de défense et de stratégie militaire, cette nouvelle réduction du budget ne manquera pas de provoquer un  » effondrement des capacités de l’armée belge « , déjà éprouvées  » par la succession de réformes conduites depuis les années 1990 « .

L’industrie s’impatiente

 » Le gouvernement joue la montre, estime Patrick Descy. Il attend la vague de départs à la retraite de militaires, qui atteindra son apogée en 2019-2024. La marge budgétaire dégagée serait alors investie dans le renouvellement d’une partie du matériel. A moins que la Défense soit soumise à une nouvelle cure d’amaigrissement !  »

Par ailleurs, tant que le plan stratégique n’a pas été adopté, la procédure de remplacement des F-16 reste dans les limbes.  » Les constructeurs européens et américains attendent les demandes du gouvernement belge en termes de capacité pour lui transmettre des propositions concrètes et détaillées « , prévient Wally Struys. De même, l’industrie aéronautique belge concernée par ce  » marché du siècle  » s’impatiente : elle doit rapidement savoir à quoi s’en tenir en matière de retombées économiques et industrielles pour pouvoir investir dans certaines technologies.

Par Olivier Rogeau

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