Pierre Paul Rubens, une influence inimitable

 » Regardez Rubens, inspirez-vous de Rubens, copiez Rubens !  » Ce conseil, prodigué par Delacroix au jeune Manet, confirme l’impact qu’eut le peintre flamand sur des générations d’artistes qui admirèrent, quatre siècles durant, son talent… Bozar explore ces liens de parenté. Un dialogue entre tableaux du maître et de ses héritiers.

Les aficionados de Pierre Paul Rubens (1577-1640) exultent ! La rétrospective du Louvre-Lens (proposée en 2013) à peine digérée, Bozar lance une récidive axée sur de nouvelles perspectives… L’exposition bruxelloise insiste sur les qualités universelles du maître, mais aussi – et surtout – sur les peintres qui s’en sont directement inspirés. En effet, cet artiste inimitable est, paradoxalement, le plus influent de tous les temps. Pour des générations d’artistes, il incarne le modèle de référence par excellence.  » Rubens a influencé par sa virtuosité dans le traitement de l’allégorie, par l’érotisme et la poésie de son oeuvre, par la vitalité de ses compositions, par sa palette somptueuse « , explique Nico Van Hout, commissaire de l’événement. Pourtant, aussi étonnant que cela puisse paraître, ce phénomène exceptionnel – baptisé  » rubénisme  » – n’avait jamais bénéficié d’une étude exhaustive. Cette exposition inédite est par conséquent la première qui observe le peintre à travers les yeux de ses héritiers (Rembrandt, Murillo, Watteau, Fragonard, Gainsborough, Reynolds, Delacroix, Cézanne, Renoir…). L’accrochage se structure en six chapitres. Tous permettent d’ausculter l’oeuvre de Rubens et les liens qui l’unissent à ses successeurs. Deux remarques préliminaires : d’une part, la démonstration exclut la sculpture. L’impact de la peinture de Rubens sur certaines oeuvres sculpturales est si complexe qu’il mériterait une exposition distincte. D’autre part, on ne compte qu’une trentaine de Rubens sur les cent soixante pièces rassemblées.  » Nous avons préféré privilégier la qualité à la quantité, indique Nico Van Hout. Nous nous sommes efforcés de ne sélectionner que des oeuvres de sa main (et non de son atelier). Seulement une trentaine mais ce sont des chefs-d’oeuvre absolus qui ne sont jamais prêtés.  » En outre, certaines pièces trop fragiles ne pouvaient supporter le voyage.

Chap. 1 – Violence

Le visiteur comprend d’emblée que peu de peintres ont traité de façon aussi convaincante l’agression, le combat et l’horreur. Nico Van Hout ose même la comparaison (périlleuse) avec Quentin Tarantino :  » Dans ses scènes de chasse, dans ses scènes horrifiques, Rubens expose les choses terrifiantes, comme Tarantino. Il se présente comme un metteur en scène, un cinéaste avant la lettre qui ne nous épargne rien !  » Thème caractéristique, l’épreuve de force entre humains et animaux. Des scènes violentes et spectaculaires incarnées ici par une oeuvre emblématique, La Chasse au tigre, au lion et au léopard. Avec ses diagonales, Rubens introduit de l’ordre dans le chaos. Il se révèle aussi un fin observateur de l’instinct animal avec ces bêtes sauvages plus vraies que nature. Ce tableau, imprégné d’exotisme et d’orientalisme, ne manqua pas d’inspirer Delacroix. D’autres opus rappellent que la mythologie gréco-romaine constituait un répertoire inépuisable. Parmi les  » perles  » en déplacement à Bruxelles, une esquisse pour L’Enlèvement des filles de Leucippe récemment attribuée à Rubens.

Chap. 2 – Pouvoir

Lui-même diplomate, Rubens était un formidable peintre de propagande. Souvent, les oeuvres politiques résistent mal à l’épreuve du temps. L’exposition nous révèle un Rubens qui fait figure d’exception ! Souverains et grands dirigeants se disputaient les services de l’artiste (déjà au zénith de sa renommée). Il va ainsi glorifier une foule de personnalités politiques. La commande providentielle tombe en 1622 : la plus prestigieuse princesse du temps, Marie de Médicis, lui confie la réalisation de deux grandes séries de tableaux pour son palais du Luxembourg à Paris. L’ensemble devait évoquer, selon les termes du contrat,  » la vie très glorieuse et les actes héroïques de la reine « . Une sublime esquisse illustre Le Couronnement de Marie de Médicis à Saint-Denis. Le cycle sera gravé dans son intégralité au début du XVIIIe siècle (La Galerie du Palais du Luxembourg peinte par Rubens). Ici, un accrochage en tapisserie permet de mesurer l’ampleur de l’entreprise.

Chap. 3 – Luxure

Les oeuvres de Rubens sont souvent synonymes de sensualité et d’érotisme. Le peintre aimait représenter des femmes nues, bien en chair. Mais le plus provocant ne tient pas dans ces formes généreuses se dévoilant sans pudeur… Il réside dans le rendu troublant, presque palpable, de la peau. Au coeur du parcours, le dialogue se crée de manière spontanée avec le peintre Auguste Renoir. Ce dernier s’est fortement imprégné de la maîtrise picturale du maître flamand. Une technique faite de glacis translucides qui créent, par effet optique, des tons d’une subtilité infinie. Pièce centrale de l’exposition : Pan et Syrinx. Cette scène mythologique, considérée par quelques-uns comme  » rien de plus  » qu’une scène d’ébats interrompus, est étroitement liée aux conceptions libertines des aristocrates français. L’exposition en aligne d’autres versions : des interprétations signées Jacob Jordaens et François Boucher.

Chap. 4 – Compassion

En Belgique, Rubens est surtout connu pour ses tableaux religieux. Son atelier a produit un nombre impressionnant de retables pour les églises de Flandre et du nord de la France. Sans surprise, Vierges à l’enfant et Descentes de croix se partagent les cimaises. Plus inattendue, la portée internationale de son influence. Reproduites et copiées au moyen de la gravure, ses oeuvres qui inspiraient la foi furent utilisées par les missionnaires en Asie et dans le Nouveau Monde. Témoignage amusant de cette influence, une assiette en porcelaine chinoise de la dynastie Qing dont le décor s’inspire en ligne directe du Coup de lance de Rubens. Ces gravures furent également une source d’enrichissement pour la peinture baroque mexicaine.

Chap. 5 – Élégance

Ce chapitre éclaire une discipline longtemps considérée comme mineure : le portrait. Rubens immortalise la  » jet-set  » du XVIIe siècle. Il brosse quantité de personnages bigarrés de la haute société. Ses modèles sortent tout ce qu’elles ont d’étoffes de soie, de cols de dentelles et de bijoux précieux pour poser. Objectif ? Impressionner ! Son Portrait de Maria Grimaldi et son nain a dû faire forte impression sur Antoine van Dyck. Ce dernier nous livra un tableau d’une Dame de qualité génoise avec son fils qui affiche quelques parentés avec le premier. Autre air de famille : le portrait de  » la Polignac  » réalisé par Élisabeth Vigée-Lebrun… Cette dernière investit son modèle d’un naturel empreint de sentimentalisme et de naïveté directement inspiré du Chapeau de paille de Rubens. Pour des raisons de fragilité, cette oeuvre n’a, malheureusement, pu faire le déplacement.

Chap. 6 – Poésie

Ce dernier chapitre fait la part belle à la  » pastorale « , des joyaux qui partagent une préoccupation centrale : l’amour. À la fin de sa vie, Rubens réalise de nombreuses danses villageoises avec quantité de détails libertins. Les thèmes de la nature et de l’érotisme se mêlent dans Le Jardin de l’Amour.  » C’est la grande fierté de l’exposition, commente Nico Van Hout. Après des centaines d’années à Madrid, ce chef-d’oeuvre revient dans son pays natal à titre tout à fait exceptionnel. De plus, ce tableau – qui est en quelque sorte le premier pique-nique de l’histoire de l’art – est une oeuvre centrale, qui chante l’amour et aussi la mode contemporaine. Elle est montrée dans la dernière salle avec de sublimes dessins préparatoires.  » Des opus qui exaltent la légèreté de l’existence et la joie de vivre… sources d’inspiration d’Antoine Watteau.

À travers les salles, Pierre Paul Rubens est superbement placé sur un piédestal. Une reconnaissance ô combien méritée qui pourrait être résumée par cette phrase du critique d’art victorien, John Ruskin :  » […] son esprit fut d’emblée d’un tel calibre que je pense que le monde pourrait voir un nouveau Titien ou un nouveau Raphaël mais jamais un nouveau Rubens.

Sensation et sensualité. Rubens et son héritage, Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Jusqu’au 4 janvier 2015. www.bozar.be

Par Gwennaëlle Gribaumont

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