Peter Eeckhout et le temple du soleil

Seul chercheur belge en archéologie andine, Peter Eeckhout fait parler de lui au Pérou. Il dirige une équipe sur le site de Pachacamac. Et fait des petits à Bruxelles

L’archéologue belge Peter Eeckhout marche sur les traces de Tintin au Pérou. Mais, nul n’étant prophète en son pays, c’est à l’étranger que sa renommée internationale est la plus établie. Ses découvertes sur le site inca de Pachacamac lui ont notamment valu d’écrire pour le prestigieux National Geographic Magazine, traduit en 29 langues. Des sols arides, son équipe extrait de nombreuses momies et une foule d’objets rares. Sous sa direction, sept Belges et une quarantaine de Péruviens étudient les pyramides et les temples anciens, dont le fameux temple du Soleil. Les enseignements qu’ils en retirent sont saisissants.

Pachacamac couvre 600 hectares, à l’embouchure du fleuve Lurin, qui s’y jette dans l’océan Pacifique. A 30 kilomètres au sud de Lima, il est l’un des cinq sites archéologiques les plus importants du pays. Il est aussi le plus visité du pays, après le célébrissime Machu Picchu, de plus en plus menacé par l’affluence excessive de touristes. Grâce au climat aride et au sol sec du site de Pachacamac, les vestiges ont été idéalement conservés, comme c’est le cas en Egypte.

Peter Eeckhout ne dit pas  » Pachacamac  » (qui désigne le  » dieu créateur  » chez les Incas), mais  » Ychsma « , qui était à la fois le nom du site avant la conquête inca et celui de la civilisation qui l’occupait à l’époque (1000 à 1500 de notre ère). Ychsma est aussi le nom du projet archéologique dont le Belge est codirecteur, avec le Péruvien Carlos Farfan Lobaton.  » Les sacrifices humains étaient bel et bien pratiqués par les civilisations ychsma et inca. Dans de nombreux cas, il s’agissait d’enfants « , précise Peter Eeckhout. Mais il ne s’agit pas là d’une découverte du professeur de l’Université libre de Buxelles (ULB). Son apport essentiel tient à la compréhension du site, c’est-à-dire à son  » fonctionnement « . Par la même occasion, il répond à une question cruciale qui entoure encore Yschma : pourquoi tant de palais ?

Appelés  » pyramides « , ces palais n’en affichent pas l’architecture traditionnelle. Ils se composent d’une série de plates-formes ascendantes, jouxtées d’une cour sur l’un des côtés. Plus précisément, il faut parler de pyramide  » à rampe « , en référence au plan incliné qui relie la cour à la plate-forme sommitale. A Ychsma, une dizaine de ces pyramides ont été découvertes. Certaines atteignent dix mètres de hauteur. Des quatre temples répertoriés jusqu’alors, celui du Soleil est le plus grand, qui culmine à 40 mètres.

Paroles de momies

« Les écrits des conquistadors trahissent une vision simpliste du site, qui fait référence à des modèles étrangers aux Andes, dénonce Peter Eeckhout. A Ychsma se trouvait un oracle. Dès lors, les colonisateurs ont imaginé que Pachacamac était comparable à Delphes. Comme Pachacamac était le plus grand dieu, ils se sont représentés le lieu comme une Mecque. Selon eux, les nombreux palais abritaient les quartiers généraux des différents peuples qui se rendaient là en pèlerinage. Comme les civilisations précolombiennes ignoraient l’écriture, j’ai décidé de ramener l’archéologie au premier plan, abandonnant le recours systématique aux traces écrites.  »

Sa nouvelle interprétation, Peter Eeckhout la tient en majeure partie des momies elles-mêmes. L’équipe belge est parvenue à les faire parler grâce à la bio-archéologie, qui étudie notamment l’ADN, les pathologies et les indices morphologiques laissés par les défunts. Chaque momie se présente en position f£tale, emmaillotée dans des tissus contenant des offrandes, un mobilier funéraire et éventuellement des personnes ou des animaux sacrifiés.  » Quand nous sommes face à ces hommes, c’est fascinant, raconte le professeur. Parfois, les paupières, les ongles, la peau et les cils sont encore intacts. Il y a alors comme une présence.  »

Mais le plus surprenant, c’est le nombre de défunts qui ont succombé à une maladie grave : cancer, syphilis, rachitisme, etc.  » Ce constat a été tiré par nos bio-archéologues. Il a pu être confirmé par nos recherches dans l’ancien cimetière, poursuit Peter Eeckhout. Dès lors, nous avons formulé une nouvelle hypothèse : Incas et Ychsmas croyaient que Pachacamac les guérirait de leurs maux, s’ils rejoignaient le site. Parfois, ils mouraient là, « sous sa protection ». Quant aux palais, nous remarquons que chacun d’eux n’était occupé que durant vingt à trente ans environ. Comme cela s’est vu sur d’autres sites andins, le palais était habité par un seigneur, à qui il servait de tombeau après la mort.  »

C’est essentiellement pour ces découvertes que Peter Eeckhout est devenu l’un des Belges les plus écoutés du mal nommé  » Nouveau continent « . Les grandes agences de presse de ce côté du globe lui ont toutes prêté l’oreille. Les chaînes de télévision CNN et Al Jazeera ont diffusé ses interventions. Les grands journaux américains, comme le Los Angeles Times, lui ont ouvert leurs colonnes.

Mais la contribution de Peter Eeckhout et de son équipe à Ychsma ne s’arrête pas là. Le projet aura dix ans, cette année. Pour commencer, les archéologues belges ont conféré au site ses premiers plans précis, sur papier et en 3D. Ensuite, ils ont jeté les bases d’une chronologie rigoureuse.  » Nous sommes des pionniers. Quand nous avons commencé, certains objets étaient datés avec une approximation de 500 ans, se souvient le directeur de projet. Au final, 90 % des dates absolues ( NDLR : repères chronologiques) définies pour le site l’ont été par des Belges. Nos recherches ont aussi permis de mettre en évidence que tout le pouvoir n’était pas exercé par les religieux, malgré le préjugé commun.  »

Plus concrètement, l’équipe d’Ychsma a exhumé un grand nombre d’objets et d’éléments organiques : des textiles colorés parfois comme neufs, des céramiques, des objets en bois ou en métal, des colliers, des ornements d’oreille, des couteaux sacrificiels (en forme de demi-lune), des vêtements et des armes miniatures (offrandes symboliques des moins nantis aux défunts), des outils en pierre (grattoirs, perçoirs, polissoirs…), des vases.

 » Les textiles sont magnifiques. De même qu’une coiffure en plumes extrêmement bien conservée, confie l’archéologue. Quelques vases présentent de somptueuses couleurs et des éléments délicatement sculptés, comme des oiseaux ou des fleurs. Je citerais encore ce fléau de balance en bois, orné d’or et décoré d’animaux mythiques finement ciselés.  »

Parti d’un rêve

Avec son ancien directeur de thèse, le spécialiste de la civilisation aztèque Michel Graulich, Peter Eeckout a créé l’an dernier une nouvelle orientation dans les études d’  » histoire de l’art et archéologie  » à l’ULB : l’Amérique précolombienne. Un tiers des étudiants ont choisis de s’y consacrer.  » Dans le domaine, il s’agit de l’une des formations les plus complètes en Europe. La première en Europe francophone, assure Peter Eeckhout. Nous emmenons des étudiants au Pérou et au Mexique.  »

Le Mexique sera peut-être le théâtre d’un nouveau projet belge. A moins que ce ne soit le Guatemala. À 39 ans, Peter Eeckhout espère s’adonner à sa première passion, la civilisation maya.  » Avant d’étudier l’archéologie, j’ai connu de nombreux petits boulots. Je pensais que les études n’étaient pas pour moi, tant j’avais été un élève médiocre dans le secondaire. Puis j’ai flashé à la vue d’un temple maya dans un livre…  »

Comblé aujourd’hui par son travail, l’archéologue éprouve d’autant plus d’amertume à l’égard des pillages contre lesquels il mène une lutte acharnée.  » À Ychsma, plus de 90 % des richesses ont été pillées. Des hommes en armes doivent maintenant garder le site. Ce n’est pas aux pillards que j’en veux le plus. S’il n’y avait pas les collectionneurs et les marchands ! On trouve de ces vendeurs peu scrupuleux à Bruxelles. Or une collection privée n’a aucune raison d’être. Un objet privé de son contexte est un témoin muet.  » Et les vestiges de Ychsma ont encore beaucoup à nous dire.

Texte : Benjamin Moriaméet photos : Oliver Papegnies

Benjamin Moriamé

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