» Personne n’est homo ni hétéro à 100 % « 

Pourquoi ont-ils changé de bord ? La faute à la mère, au père ou aux gènes ? Nicolas, Cynthia et Marc n’adhèrent pas à la même hypothèse. Tout comme leurs familles. Récits de vie

Si j’avais eu une mère bienveillante et un père présent, peut-être ne serais-je pas homo.  » L’accusation est chargée de reproches. Nicolas, 20 ans, étudiant en sciences politiques et sociales, est un écorché vif. En plein centre de Louvain-la-Neuve, dans le kot à projet Accueil et Homosexualité, sa chambre bien rangée est remplie de peluches. Aux murs, des affiches dénoncent l’homophobie.  » C’est ma mère qui m’a dégoûté des femmes. Puis, quand j’ai eu 15 ans, elle m’a jeté dans les bras d’un de ses amants qui m’a initié à l’amour homosexuel.  »

Le résultat d’une histoire compliquée, douloureuse.  » Ma mère a quitté ses parents à l’âge de 17 ans. Elle a rencontré mon père peu de temps après. Ils ont bien vécu dans les années 1980. Ils tenaient un restaurant relativement prospère à Bruxelles. Un jour, ils ont voulu un enfant, un jouet. L’un et l’autre étaient irresponsables.  » Nicolas n’a pas de mots assez durs pour une mère qu’il qualifie d’adolescente et un père, d’absent.  » Elle ne pensait qu’au farniente. Ils sont partis à Barcelone ouvrir un resto au soleil. Cela a tourné à la catastrophe. Mon père a jeté l’éponge. Il est retourné, seul, en France, son pays d’origine.  » Quant à Nicolas, il est revenu en Belgique avec une mère qui a continué à enchaîner les aventures sentimentales, à vivre d’expédients. Au gré des frasques et des déménagements maternels, Nicolas change d’internat scolaire, séjourne tantôt chez une éducatrice, tantôt chez sa grand-mère. Le week-end, il vit difficilement le retour chez sa mère. Son mode de vie choque le jeune enfant.  » L’un de ses compagnons exploitait un cercle privé dans la région namuroise. Un sauna, un lieu de débauche. Le dimanche matin, je devais préparer le petit déjeuner parce que, fatigués, ils dormaient.  »

Une longue descente aux enfers

Mais ce n’est pas le pire :  » Cet amant était alcoolique et homophobe. Il ne supportait pas les infidélités de ma mère. Leurs scènes de ménage étaient terribles.  » Nicolas se rappelle avoir dû appeler plusieurs fois le 100 et la police, parce que sa mère battue ne tenait plus debout. La descente aux enfers culmine en République dominicaine.  » Ils ont voulu y monter une usine de céramique. Cette nouvelle aventure a évidemment viré au fiasco. Au retour, je n’ai plus voulu vivre avec eux. J’ai sollicité le revenu d’intégration sociale (RIS) pour être indépendant.  » Nicolas a aussi entrepris une thérapie.  » A l’école, j’étais imbuvable. Je faisais tout pour me faire exclure du groupe. J’avais des pensées suicidaires.  »

Aujourd’hui, l’étudiant connaît toute la littérature psy sur le sujet.  » Le gène de l’homosexualité, je n’y crois pas. Beaucoup d’hétéros ont des relations homos et s’en trouvent bien. Ils découvrent ainsi une autre partie d’eux-mêmes. Moi, j’ai également eu des conquêtes féminines. Mais je suis mal à l’aise avec une fille. J’ai la nausée.  »

Marc, 43 ans, manager, n’est pas du même avis :  » On naît homosexuel. Mais on ne l’accepte pas nécessairement tout de suite. Moi, j’ai mis longtemps pour mettre un nom sur ce quelque chose de latent que je ressentais.  » Cela remonte à l’adolescence.  » Les copains parlent alors beaucoup des filles. Moi, ça ne m’intéressait pas.  » Mais, pour ne pas être rejeté par ses pairs, Marc n’en dit rien.  » J’ai commencé à développer une seconde vie, en parallèle. Mais ces sorties nocturnes ne permettaient que des contacts superficiels. Même si certaines ont permis de belles rencontres.  »

Dans sa famille, profondément catholique et conservatrice, on est pudique, on ne pose pas de questions.  » Marc a toujours ramené énormément de copains à la maison, des jeunes hommes qui ne faisaient que passer, un peu efféminés, relate sa maman, une ancienne secrétaire de 67 ans, qui pèse ses mots. Lui-même n’avait pas des goûts classiques : à une époque, il portait des pantalons rouges et une chemise rose. Mais je n’ai pas approfondi. Peut-être, parce que, inconsciemment, je ne voulais pas savoir. Puis, à ce moment-là, je recherchais du travail, parce que j’étais en instance de divorce.  » Pour Marc, l’un n’a rien à voir avec l’autre.  » Rien dans mon éducation n’explique que j’ai pris un autre aiguillage. Pour moi, être homo relève de la loterie, comme le fait d’avoir des yeux bleus ou bruns. Voici une quinzaine d’années, j’ai rencontré la femme que j’aurais dû épouser. Du moins, si j’avais été hétéro. Or poursuivre une double vie, cela n’aurait pas été honnête vis-à-vis d’elle, ni chouette pour moi. Au moment de la rupture, je suis allé voir un psy. Il m’a trouvé équilibré. Au bout de deux séances, il m’a dit :  » C’est votre choix. Soyez heureux. »  »

Une  » bête  » relation de couple

Depuis quelques années, Marc vit avec un homme.  » Nous avons une  » bête  » relation de couple, tout ce qu’il y a de plus conventionnel, avec ses moments sublimes et ses engueulades.  » Marc a fini par en parler à sa maman :  » Cela ne m’a pas vraiment fait de la peine, se souvient l’intéressée. J’ai juste été un peu déçue. J’aurais préféré un mariage, évidemment, des petits-enfants… Mais c’est sa vie. Je trouve très bien qu’il y ait moins d’hypocrisie aujourd’hui à ce sujet.  »

Cynthia, 32 ans, ingénieure commerciale, est, par ailleurs, administratrice de la Fédération des associations de gays et lesbiennes (1).  » On fait tout un foin de l’homosexualité. Pour moi, c’est un faux problème. Ces catégories m’énervent. Ce n’est jamais tout blanc ni tout noir. Très peu de gens sont 100 % homos ou hétéros. Je ne suis jamais allée voir un psy. Mon intime conviction est que l’orientation sexuelle est déterminée par le caractère, les préférences…  » Dans la famille de Cynthia, les femmes ont toujours eu beaucoup de personnalité.  » Ma mère était ceinture noire de karaté, mais elle était très féminine.  » Enfance à Bordeaux, études à Marseille. Les parents de Cynthia sont agnostiques, ouverts.  » Mais, dans mon milieu, l’homosexualité n’existait pas.  »

Quand la jeune femme débarque à Bruxelles pour son travail, quelqu’un la convainc de jouer au rugby. Dans l’équipe évoluent plusieurs lesbiennes.  » L’une d’entre elles s’est déclarée à moi. Elle me plaisait. J’ai été tentée par l’expérience.  » La révélation.  » Depuis toujours, j’ai un bon fond féministe. Déjà dans la cour de récréation, je devais être la meilleure au foot. Je me méfie des hommes. J’ai toujours peur d’être dominée par eux.  » On ne peut pas avoir de véritable relation amoureuse quand on n’a pas confiance.  » J’étais infecte. J’ai régulièrement trompé les hommes avec lesquels j’ai vécu. En revanche, le quotidien avec une femme me comble. Je ne suis plus sur mes gardes. Je n’ai plus peur de perdre l’avantage.  »

Des poupées pour les filles, des fusils pour les garçons

Voici quatre ans, celle qui aimerait avoir des enfants a écrit à ses parents pour leur expliquer son choix.  » Ils ont été adorables. Ils ont eu peur de me perdre et m’ont immédiatement réaffirmé leur amour inconditionnel.  » Monique, sa maman, confirme :  » Pour moi, la famille, c’est important : la descendance, les enfants qu’elle n’aura pas… On a eu le sentiment qu’elle avait coupé un fil. Et moi, contrairement à mon mari, je n’en avais même pas eu l’intuition. Cela reste toujours un peu douloureux. Je me suis culpabilisée. Je me suis demandé ce que je n’avais pas fait dans son éducation. Ou si j’en avais trop fait.  » Dès l’âge de 2 ans, Cynthia choisissait elle-même ses vêtements. Mais elle ne mettait jamais de jupe.  » Pour ma part, j’ai toujours lutté contre les stéréotypes sexistes, poursuit Monique. Institutrice, je critiquais cette tendance à donner des poupées aux filles et des fusils aux garçons.  » A Noël, Cynthia et sa compagne se sont rendues à Bordeaux.  » Cela s’est très bien passé. Mes deux frères, dont l’aîné a des enfants jumeaux, étaient là. Ma grand-mère de 80 ans a adoré ma compagne.  » Mais son père, lui, n’aime toujours pas parler de l’homosexualité de sa fille.

(1) www.fagl.be

D. K.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire