Le Bernard Hennebert avocat des usagers culturels avait une autre facette : écrivain compulsif de petites annonces gay, qu’il a réunies dans un livre gai, Une vie à séduire.
Avec son air faussement débonnaire, Bernard Hennebert est un anachronisme vivant dans le paysage culturel francophone. Critique de musique française à la fin des années 1970, inébranlablement de gauche, poil à gratter de la RTBF, qu’il a forcée, entre autres faits d’armes, à accoucher d’une émission pour enfants (Les Niouzz), harceleur entêté de la Communauté française (la gratuité des premiers dimanches du mois, c’est lui), cet homme est resté fidèle à l’esprit de Mai 68. » Fidèle à moi-même « , corrige-t-il.
Militant du pouvoir des fleurs et de la libération tous azimuts, il traque avec constance les arnaques au temps libre, à la culture et aux loisirs, en faisant profiter ses 4 500 amis Facebook et les 15 000 abonnés de sa newsletter Consoloisirs. » La méthode est transposable à d’autres domaines, espère-t-il. Il ne faudrait pas que les citoyens oublient de se servir de leur pouvoir. Je suis persuadé qu’avec 10 % d’entre eux, on peut changer le monde. J’ai choisi de voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, mais pas de façon béate. » Sa prise de conscience remonte au » dimanche noir » de 1991, quand l’extrême droite a fait irruption sur la scène politique belge. » Si, déjà, les gens prenaient conscience qu’ils ont des droits en tant que consommateurs culturels, ils garderaient l’habitude d’être actifs « , observe-t-il.
Son nouveau livre est cependant très différent des précédents. Dans Une vie à séduire (1), Bernard Hennebert expose sa vie privée d’amoureux des hommes et des mots. Pour draguer les premiers, il a toujours envoyé les seconds en éclaireurs. Alertes, coquins, attentifs à la poésie de tous les jours. D’abord sur papier journal, ensuite sur Internet. Ces courts messages forment l’essentiel de son livre, rangés par ordre alphabétique. Des pages en quelque sorte d’anthologie, qui renvoient à une époque disparue, où la lenteur de la poste, comparé à l’Internet d’aujourd’hui, permettait une élaboration plus romantique du désir et de la rencontre.
» Le feuilletoniste des petites annonces de Libé dans la rubrique « Chéri(e), je t’aime » du supplément Sandwich du samedi, c’était moi, proclame Hennebert avec un grand sourire ! J’y racontais ce que j’avais vécu grâce à l’annonce précédente et je signais ( » A suivre… « ), suivi de mon adresse : BP 14-Ixelles 4-1050 Ixelles. » Ces petites annonces étaient gratuites, le journal ne publiait que celles qui lui plaisaient. En revanche, l’hebdo Le Gai Pied faisait payer ses annonces, mais avec trois bons, on pouvait en avoir un gratuit. » Avec neuf bons, j’écrivais trois petites annonces que j’intitulais chapitre 1, 2 et 3 « , se souvient ce consommateur averti. A l’époque, le plaisir d’écrire se mêlait à la nécessité de se frayer son chemin, minoritaire, dans la jungle de l’amour et du sexe. » Je prenais un râteau neuf fois sur dix. » Les petites annonces permettaient de réduire ce risque, mais la pratique était frappée de tabou.
Une vie à séduire relate donc la carrière d’un Don Juan infiniment respectueux des autres (il a retrouvé ses correspondants de trente ans et leur a demandé l’autorisation de les publier de façon anonyme), infidèle à son mari qu’il adore ( » Nous nous le disons « ) et partageant avec lui tous ses projets – dont ce livre. » Qui n’est pas un livre gay, précise l’auteur. Il ne traite pas de sexe, mais de séduction. » L’histoire de leur rencontre s’y trouve dûment approuvée.
Le changement apporté par Internet ne vaut pas que pour les homos. Aujourd’hui, beaucoup de couples hétéros se forment grâce aux sites de rencontre. » Je ne fais pas de différence entre les deux, précise Bernard Hennebert. Internet a amélioré certaines choses, en a dégradées d’autres. La rapidité est un acquis, la prévisibilité aussi. Quand une rencontre était acceptée, les gens se disaient : il doit être moche pour avoir dit oui si vite. Si on a envie d’une rencontre immédiate, Internet, c’est parfait. Mais ceux qui aimaient que le désir se construise progressivement sont moins gagnants. Quand on écrivait, c’était sept, huit, dix pages. Aujourd’hui, il faut être bref, deux-trois lignes, car il arrive qu’on soit plusieurs à répondre à la même personne au même moment. Internet mène à la concurrence et à un certain matérialisme. On va moins détailler ses sentiments, donner plus de détails physiques, envoyer sa photo. » Abondance rime parfois avec désinvolture. » A cause d’Internet, certains, dans la jeune génération, peuvent aussi se comporter en enfants gâtés. Quand un détail ne plaît pas, vous êtes rayé de la carte en un instant. Mais d’autres choses positives apparaissent, comme le sms après une rencontre. » Autant savoir.
(1) Une vie à séduire, par Bernard Hennebert, éditions Aden, 272 p.
Par Marie-Cécile Royen