Paul VI face à la contraception et aux traditionalistes

 » Si Paul VI avait autorisé la pilule, il aurait été acclamé comme le libérateur de la femme « , estime un théologien cité dans une nouvelle biographie du pape qui sera béatifié par François le 19 octobre. Extraits.

A côté du mythique Jean XXIII, du très médiatisé Jean-Paul II et du populaire François, nul doute que Paul VI fait piètre figure. Réservé, austère, voire tourmenté, celui qui a gouverné l’Eglise catholique dans la délicate période de l’après- Vatican II s’est montré secret, distant et indécis. Surtout, son encyclique Humanae Vitae (1968), qui recommandait aux catholiques de ne pas avoir recours à la pilule, reste un point controversé de son long pontificat.

Pourtant, six mois après la canonisation de Jean XXIII, son prédécesseur, et celle de Jean-Paul II, son successeur, Paul VI se voit lui aussi remercié par le pape François : le 19 octobre, il sera béatifié, en clôture du synode extraordinaire sur la famille. La congrégation pour la cause des saints a reconnu comme inexpliquée une guérison attribuée à son intercession.

Qu’est ce qui vaut à Giovanni Battista Montini, né en 1897 et devenu souverain pontife en juin 1963, une telle reconnaissance ? Honore-t-on le pape qui a mené à bien le concile ? Celui qui a dû gérer par la suite les divisions profondes de l’Eglise et la mise en cause des dogmes ? Ou celui qui est venu parler de paix à la tribune des Nations unies ? Considéré comme le premier pape  » moderne « , Paul VI est sorti d’Italie et a inauguré les voyages pontificaux. Passionné d’art contemporain, fidèle du journal télévisé du soir, il était un ami personnel d’Aldo Moro, le dirigeant de la Démocratie chrétienne, enlevé et assassiné en 1978 par les Brigades rouges.

 » Pape de la simplicité, voire du dépouillement, c’est un homme de dialogue qui était pourtant profondément seul « , constate Christophe Henning, journaliste à l’hebdomadaire Pèlerin, auteur d’une Petite vie de Paul VI (Desclée de Brouwer), biographie dont nous publions les bonnes feuilles.  » Son humilité l’amenait à s’en remettre au jugement des autres. Il n’était pas à l’abri du découragement, peut-être même du doute, comme Mère Teresa, qu’il a fait connaître au monde. Son pontificat souffre d’un certain effacement dans les mémoires, alors que Paul VI a orchestré l’aggiornamento de l’Eglise et l’a engagée dans le dialogue oecuménique.  »

[Extraits] L’encyclique de la rupture

 » Si la méthode montinienne semble avoir permis de régler les dossiers brûlants comme l’expression de la foi ou la liturgie, elle n’a guère été efficace en ce qui concerne la question de la régulation des naissances.  » Confisqué  » par Paul VI lors de la troisième session du Concile, confié à plusieurs groupes d’experts successifs, et enfin à un collège de cardinaux, le sujet a finalement abouti à une encyclique très personnelle, à rebours de l’opinion générale, et dont la réception fut proprement catastrophique.

Dès le début des années 1960, l’Eglise s’inquiète de la nouvelle donne créée par l’apparition des méthodes contraceptives chimiques. C’est tout d’abord une question démographique, mais au fil des travaux préparatoires, il est davantage question de morale sexuelle. Et le vent de modernisme, qui traverse et la société et l’Eglise, conduit la grande majorité à l’acceptation de la pilule, y compris dans les foyers très chrétiens. Les diverses commissions qui ont préparé le dossier tendaient nettement vers la levée de l’interdit. Mais Paul VI résiste : il y a, pour lui, un enjeu capital. Comme à son habitude, il voudrait concilier les divers points de vue, et prend son temps…

Ce n’est donc que le 25 juillet 1968 – à peine trois mois après le mouvement étudiant – qu’il publie, au coeur de l’été, Humanae Vitae, confirmant la doctrine émise jusqu’alors et condamnant le recours aux méthodes contraceptives :  » L’Eglise, rappelant les hommes à l’observation de la loi naturelle, interprétée par sa constante doctrine, enseigne que tout acte matrimonial doit rester ouvert à la transmission de la vie « , écrit Paul VI avant de rappeler les deux aspects  » indissociables  » de l’acte d’amour,  » union et procréation « .

 » Dans ce nouveau Hiroshima qu’a été la parution ou, plus exactement, l’explosion de l’encyclique Humanae Vitae, clercs et laïcs ont, en effet, mêlé leurs voix pour faire monter bien haut, dans le ciel de la presse mondiale, les accents de leur scandale, de leur douleur et même de leur refus révolté « , analyse le théologien Gustave Martelet.  » Si le pape avait autorisé la pilule, il aurait été acclamé comme le libérateur de la femme. Il n’hésita pas à sacrifier sa popularité et son encyclique fut critiquée, y compris par les évêques de certains pays « , constate son biographe Yves Chiron.  »

Les années douloureuses

 » La crise profonde que traverse l’Eglise laisse Paul VI apparemment désemparé. Il n’écrira plus d’encyclique après Humanae Vitae en 1968, il n’effectue plus de voyages hors d’Italie après 1970. L’arthrose se développe et la fatigue gagne cet homme toujours fragile, et maintenant âgé de 73 ans… L’impression domine d’un pape  » anxieux, peu sûr de lui, fatigué, triste et marqué par une impopularité qu’il n’arrivait pas à surmonter « …

L’épine la plus douloureuse sera certainement la rupture qui se profile avec Mgr Marcel Lefebvre qui crée, en 1970, la Fraternité Saint-Pie-X et un séminaire à Ecône (Suisse). Si le conflit est entamé à propos de la messe selon le rite de saint Pie V, il n’échappe à personne que c’est tout le concile qui est en jeu, l’évêque réfractaire ayant été un des opposants les plus farouches aux grandes décisions de Vatican II, telle que la liberté religieuse, l’oecuménisme ou la collégialité notamment.

Paul VI, fidèle à son tempérament, voulut atténuer le différend. Mais Mgr Lefebvre n’entend pas pareil discours et ordonne treize prêtres en juin, sans y être autorisé. Tout en gardant son attitude d’ouverture au dialogue – en pure perte – Paul VI fut contraint de suspendre a divinis Mgr Lefebvre. Dans une lettre personnelle datée du 15 août 1976, Paul VI s’adresse à l’évêque traditionaliste :  » Considérez l’insoutenable irrégularité de votre situation actuelle… Ayez l’humilité et le courage, cher Frère, de rompre la chaîne illogique qui vous tient étranger et hostile à l’Eglise.  » La rupture sera définitivement consommée en 1988, et le schisme constaté sous Jean-Paul II, à la suite de l’ordination par Mgr Lefebvre de quatre évêques traditionalistes.

Ceux qui, à l’inverse, voient dans le concile un blanc-seing pour réinventer la foi catholique font autant souffrir Paul VI. Par petites touches – même s’il intervient peu directement – le pape encourage, soutient, avertit, rappelle, explique… et poursuit inlassablement le dialogue… Au soir d’une vie bien remplie, il lui arrive pourtant de confesser quelques regrets :  » Pourquoi n’ai-je pas suffisamment scruté, exploré, admiré le cadre dans lequel se déroule notre vie ? Quelle impardonnable distraction ! Quelle regrettable superficialité ! » Sa mission, il la connaît, il la médite et ne cesse de se donner pour elle :  » L’Eglise, à aimer, à servir, à soutenir, à édifier, avec tout le talent, tout le dévouement, avec une humilité inépuisable, avec patience : voilà ce qu’il reste à faire, en commençant, en recommençant, jusqu’à ce que tout soit consommé.  »

Par Olivier Rogeau

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