L’ex-gouverneur de la Banque nationale, aujourd’hui lié à la Banque centrale européenne, n’envisage pas un Grexit sans un certain soulagement. Une sortie de la Grèce aurait valeur d’exemple et de rappel à la discipline.
Ses fonctions lui ont toujours commandé de surveiller ses propos. Mais Luc Coene ne peut tout contrôler, et notamment un micro resté fâcheusement allumé. Il y a deux mois, l’ex-gouverneur de la Banque nationale, invité par le parlement wallon à un banal tour d’horizon de la situation financière, se sent assez en confiance pour livrer aux députés wallons le fond de sa pensée sur le Grexit. » Franchement, je trouve que ce serait une bonne chose qu’on laisse la Grèce partir « , attaque l’orateur en poursuivant sa démonstration qui fait tout, sauf… sensation. La sortie de Luc Coene est pourtant détonante, car inédite dans le chef d’un nouveau membre du Conseil de surveillance prudentielle de la Banque centrale européenne. L’homme ne fait qu’anticiper imprudemment certains désirs peu avouables. Il confirme, si besoin était, une réputation de tenant d’une ligne dure vis-à-vis d’une Grèce aux abois qui refuse de courber l’échine. A l’heure de vérité, Luc Coene persiste et signe.
Le Vif/L’Express : La Grèce sur le point de quitter l’euro, c’est le bon scénario ? C’est celui qui a en tout cas vos préférences.
Luc Coene : J’ai effectivement déclaré au parlement wallon que laisser partir la Grèce serait une bonne chose, mais ces propos étaient destinés à rester en interne. Bon, soit… Laisser dans la zone euro un pays qui conteste constamment la nécessité d’une politique de convergence économique revient à attaquer les fondements mêmes du système et finira par mettre en péril la zone euro. Vouloir garder à tout prix la Grèce dans le système peut solutionner un problème à court terme mais créera un gigantesque problème à moyen terme.
Il n’y a donc pas d’alternative ?
A défaut d’union politique, le maintien d’une union monétaire exige une politique de convergence économique et le respect d’une discipline de la part de ses Etats membres. L’Union européenne ne souhaite pas le départ de la Grèce mais elle ne peut accepter son refus de la logique du système. L’Union ne peut se le permettre. L’euro jouerait son avenir dans cette crise mal résolue.
Le but est donc de faire un exemple ?
Le cas grec doit effectivement avoir valeur d’exemple. Mais la balle est dans le camp des Grecs.
Le départ de la Grèce ne poserait, selon vous, pas de problème pour la zone euro. Il y aurait même du positif…
Oui, parce que les conséquences d’une telle éventualité pourraient être mieux absorbées que ce n’était encore le cas en 2012. Il existe à présent des mécanismes et des procédures pour maîtriser ces conséquences. Des pays comme l’Espagne, le Portugal ou l’Irlande ont depuis lors pas mal corrigé les déséquilibres importants qu’ils connaissaient il y a trois ans.
Positiver le Grexit : c’est un discours qu’on a rarement entendu jusqu’ici, face aux scénarios catastrophes annoncés de toutes parts. On manipule l’opinion publique dans toute cette histoire ?
Oh, vous savez, il y a des croyants et des non-croyants. On verra bien tout ce que cela donnera. Je fais partie de ceux qui disent : mieux vaut avoir les Grecs avec nous, mais sans nous s’ils ne veulent pas accepter la logique du système.
Rejeter la faute sur les Grecs irresponsables, n’est-ce pas se dédouaner à bon compte ? L’Open VLD Karel De Gucht, ex-commissaire européen, dénonce » la mentalité de régents » des leaders européens. A juste titre ?
D’accord pour dire que les responsabilités sont partagées dans ce dossier. On n’a rien dit pendant des années alors que la situation se détériorait, et on a laissé les choses complètement déraper. C’est clair ! Mais le FMI a sa logique et ses règles, valables dans le monde entier, et il ne peut se permettre d’appliquer un traitement de faveur. La Banque centrale européenne a aussi sa logique et un mandat à exercer. La critique est un peu facile : toutes les solutions ne sont pas acceptables, il faut une solution qui ne mette pas en danger la survie de l’euro.
Les Grecs ne méritent-ils pas un peu d’indulgence, des circonstances atténuantes ?
Passer l’éponge serait une très mauvaise idée. Car en fin de parcours, quelqu’un devra payer la facture. Il ne faudrait pas oublier que tous les pays du centre de la zone euro financent le Mécanisme européen de stabilité, y compris le contribuable belge. Il faut un minimum de discipline. Il n’appartient qu’aux Grecs de vouloir rester dans la zone euro, mais pas pour y faire tout ce qu’ils ont envie de faire. Quand vous devenez membre d’un club, vous en acceptez les conditions. Si vous n’êtes plus d’accord avec ces règles, vous finissez par vous faire évincer.
Herman Van Rompuy, ex-président du Conseil européen, fustige » l’aveuglement idéologique » des Grecs. Mais leurs interlocuteurs européens ont-ils des leçons à donner en la matière ?
Adhérer à la zone euro implique de suivre ses règles et d’en assumer les conséquences. Réclamer cela d’un Etat n’est pas de l’aveuglement idéologique mais relève d’une réalité concrète.
L’intransigeance ne risque-t-elle pas de pousser la Grèce dans d’autres bras, les Russes par exemple ?
Je leur souhaite bonne chance. Ils verront vite à quoi tout cela aboutira…
Donner la parole au peuple grec par référendum sur un dossier qui engage à ce point son avenir, n’est-ce pas la moindre des choses en démocratie ?
Je n’ai aucun problème avec la tenue de ce référendum. Je m’étonne simplement qu’un sujet soit ainsi soumis à consultation par un gouvernement qui conseille de voter contre.
Entretien : Pierre Havaux
La Grèce dans les bras des Russes ? » Je leur souhaite bonne chance… »