Passé de guerre verrouillé

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Accéder au dossier d’une personne inquiétée pour faits de collaboration relève du parcours du combattant pour ses proches. Ou comment la chape de plomb maintenue sur les archives de la répression alimente mythes et frustrations.

Quatre cent mille dossiers ouverts pour faits de collaboration au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Une montagne de drames personnels, de traumatismes familiaux. Quasi inaccessible aux descendants poussés par le besoin de savoir, de comprendre. De pouvoir juger sur pièces les actes de leur parent.

Septante ans après la répression, la quête de vérité reste intense.  » Presque chaque jour, les chercheurs d’institutions scientifiques et d’universités sont contactés par des enfants ou des petits-enfants de collaborateurs qui cherchent de l’information sur les faits et gestes de leur père ou de leur grand-père durant la guerre « , témoigne l’historien Koen Aerts, spécialiste de la question à l’université de Gand. Le Cegesoma, Centre d’études et de documentation guerre et sociétés contemporaines, enregistre ainsi deux ou trois démarches de ce type par jour.

Pluie de sollicitations, vague de déception et de frustration. Les archives répressives liées à la collaboration ne sont ouvertes qu’au compte-gouttes. Selon le bon vouloir de la justice qui veille jalousement sur les pièces du sulfureux passé. Y accéder exige de montrer patte blanche et d’avancer de très bonnes raisons. Attester d’un lien familial avec l’un des quelque 100 000 Belges impliqués dans la collaboration ne suffit pas à décrocher automatiquement le sésame.

Comment tourner correctement la page ?

Les historiens ont aussi senti le vent du boulet. Pendant des décennies, ils avaient pu exploiter sans difficultés ces archives répressives. Jusqu’à ce que le collège des procureurs généraux opère un tour de vis. Par manque de personnel, par respect de la vie privée, ont plaidé les hauts magistrats. Qui pointent le risque d’ouvrir des dossiers concernant des personnes poursuivies mais jamais condamnées, ou réhabilitées ultérieurement.

Catastrophe pour les chercheurs entravés dans leurs travaux. Les historiens ont ferraillé pour reconquérir un droit de regard. Epaulés par quelques parlementaires, tous flamands, N-VA en tête. Pas un élu francophone pour relayer ce combat.

Le particulier qui n’a aucun motif scientifique à faire valoir n’a eu droit qu’à une promesse de plus grande souplesse.  » L’accès des familles au dossier répressif de leurs parents reste très difficile, presque impossible « , témoigne Rudi Van Doorslaer, directeur du Cegesoma. Qu’un descendant s’oppose à la consultation suffit à maintenir le dossier clos pour tout le cercle familial.

Comment tourner correctement la page d’une histoire hors d’atteinte ? La logique échappe à Koen Aerts.  » Celui qui craint d’ouvrir la boîte de Pandore, ou bien il aime la tension dramatique, ou bien il redoute la vérité. C’est une attitude absurde et maladroite.  » Qui plus est sur un terrain historiquement miné et politiquement pourri, livré à tous les mythes et à tous les clichés.  » C’est d’autant plus incompréhensible dans un pays où l’instrumentalisation de ce passé de guerre alimente largement l’affrontement communautaire et la rancune flamande à l’égard de la Belgique « , déplore l’historien.

Les descendants de collabos avérés, innocentés ou réhabilités ne demandent qu’à se faire eux-mêmes une religion. A briser la chape de plomb posée sur les archives de guerre. Avec le concours des historiens, insiste Rudi Van Doorslaer :  » Leur intervention en tant qu’intermédiaire pour la consultation des dossiers serait possible et nécessaire, par exemple au sein d’une cellule à mettre sur pied par les institutions scientifiques. Il y va de l’intérêt et de l’avenir du pays.  » De son apaisement, aussi. Au nouveau ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), de faire sauter le verrou.

Pierre Havaux

 » Celui qui craint d’ouvrir la boîte de Pandore redoute la vérité. C’est absurde et maladroit  »

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