De plus en plus de particuliers décident de placer leur argent dans un immeuble de rapport ou un appartement à louer, aux quatre coins du pays. Mais les locataires suivront-ils ? D’autant que l’offre proposée n’est pas toujours en phase avec leurs besoins, financiers notamment.
Les Belges sont traditionnellement de grands amateurs d’immobilier, convaincus de la stabilité et la sécurité du marché qui est le leur – ce à quoi de nombreux indicateurs leur donnent d’ailleurs raison. Toutefois, l’investissement dans la brique résidentielle n’a jamais eu autant la cote qu’aujourd’hui. Et pour cause, cela fait maintenant quelques années que les revenus bancaires s’étiolent et que les placements en Bourse produisent des rendements incertains, les cours étant pris de soubresauts au fil des crises et des reprises timides. Conséquence ? » Le spectre des investisseurs s’est extrêmement élargi, observe Guillaume Botermans, président du conseil d’administration de Home Invest Belgium, société immobilière cotée dont le portefeuille est parmi les plus importants du pays, fort de quelque 1 350 biens mis en location. Des quadras ou des quinquas ayant remboursé l’emprunt de leur résidence principale aux couples de pensionnés, en passant par les jeunes ménages ayant quelques économies de côté : tout le monde cherche à acquérir de la brique. »
Soit une demande très forte, à laquelle le marché répond… avec enthousiasme. Preuve en est la multiplicité de chantiers que les promoteurs lancent un peu partout sur le territoire, et en particulier dans les grandes villes, délivrant des produits étudiés pour plaire à de futurs bailleurs : des appartements clé sur porte, comptant pour la plupart une ou deux chambres pour quelque 60 à 80 mètres carrés, idéalement situés à proximité des commerces et des facilités. » L’offre sur le marché primaire est abondante et bien organisée, acquiesce Guillaume Botermans. Les opportunités d’investissement pleuvent, à coups de publicité tapageuse et de promesses de rendement garanti, du moins sur un nombre d’années donné. » Le marché secondaire n’est pas en reste : les immeubles de rapport, les studios, les kots étudiants, les appartements et, dans une moindre mesure, les maisons jointives en bon état, au mieux, rénovés, et bien situés, sont traqués par les candidats à l’investissement, qui n’hésitent pas à y mettre le prix.
Une nouvelle génération de locataires
Autant de biens qui débarquent ensuite en masse sur le marché locatif, à destination d’un public lui aussi particulièrement dense, composé de différents profils de locataires. La plupart sont connus de longue date, quoiqu’ils tendent vers des types de logements diamétralement opposés : les ménages à bas revenus et, dans certains quartiers de la capitale (Uccle, Etterbeek, Ixelles…) comme aux environs des écoles internationales de Waterloo, les Français, eurocrates et autres expatriés. A noter que, s’ils sont toujours présents en nombre, ces derniers ne disposent plus des budgets faramineux d’antan, les institutions européennes comme les sociétés internationales ayant freiné les dépenses.
Mais on dénombre aussi certains nouveaux venus. » On est en train de créer une nouvelle génération de locataires faisant la part belle aux jeunes travailleurs, célibataires ou en couple, qui n’ont pas les moyens financiers de franchir le cap de la propriété « , dépeint Guillaume Botermans. Alors qu’il leur était possible, par le passé, d’emprunter l’équivalent non seulement du prix de vente d’un bien, mais aussi des droits d’enregistrement et des frais de notaire, désormais, ils doivent rassembler des fonds propres toujours plus importants pour espérer un geste de la part des organismes de crédit. » Et n’ont d’autre solution que rester sur le marché locatif le temps de réunir la somme nécessaire « , précise-t-il.
Autre cible de choix, dont les rangs ne cessent de grossir par les temps qui courent : les ménages monoparentaux et les personnes isolées suite à un divorce ou une séparation. » Sans oublier le marché émergent de la colocation, pointe encore Guillaume Botermans. Une solution de plus en plus répandue auprès des jeunes entre la fin de leurs études et leurs premiers pas professionnels, entre autres intéressante pour les biens les plus grands. Lesquels sont en effet souvent trop onéreux pour le budget d’une famille moyenne. »
Les nouveaux habitants constitueront eux aussi à l’avenir une part importante de la demande locative dans les grandes villes du pays, Bruxelles en tête. D’après les récentes prévisions démographiques du Bureau du Plan, en effet, la capitale verra grossir sa population de 315 000 âmes à l’horizon 2060 ; une vague de Bruxellois d’adoption qui sera surtout le fait de ménages à revenus modestes.
L’ennemi n°1 : le vide locatif
En termes de retour sur investissement, il faut distinguer le rendement locatif, d’une part, et la plus-value à la revente, de l’autre. » Certains acquéreurs tableront plus sur l’un que sur l’autre, intervient Michaël Zapatero, ingénieur-géomètre et consultant en immobilier chez de Crombrugghe&Partners. Tout dépend du type de bien et de sa situation. » Deux exemples, tant soit peu caricaturés : une belle maison à Ixelles ou à Watermael-Boitsfort performera comparativement moins à la location qu’à la revente, compte tenu de son importante valeur vénale ; a contrario, un appartement modeste à Charleroi rapportera un loyer intéressant tous les mois, mais peu de valeur ajoutée au moment de sa revente. De là à dire que la spéculation est l’un des motifs animant les candidats à l’investissement, il y a un pas, que les experts ne franchissent pas. » L’achat et la vente d’un bien dans les cinq ou sept ans est d’autant plus rare que, pour que l’opération soit rentable, il faut que la valeur du bien ait pris au moins plus de… 15 % endéans ce délai, afin de récupérer les droits d’enregistrement et les frais de notaire « , met en garde Julien Manceaux, senior economist au sein de la banque ING Belgium.
Le rendement locatif est par conséquent, à court terme du moins, l’objectif le plus répandu parmi les amateurs de brique plaçant leur argent » en bon père de famille « . Or, malgré l’existence de certaines statistiques, celui-ci est extrêmement difficile à évaluer. D’autant qu’il n’existe aucune garantie en la matière, contrairement à ce qu’aimeraient faire croire les promoteurs et les agents immobiliers, pourvoyeurs d’offres à 2, 3, parfois 4 ou même… 5 % de retour brut sur investissement. » Quel que soit le marché sur lequel on se situe, le type de bien que l’on propose ou le montant du loyer que l’on demande, ce qui importe, c’est la recherche de locataires. Sans matching réussi, on risque le vide locatif et donc, une perte financière sèche « , reprend Guillaume Botermans.
Trop d’offres à des prix très élevés
Et d’illustrer son discours par un exemple concret. » Prenons la commune d’Ixelles, que je connais bien puisque nous y avons pas mal de biens, détaille le président du CA d’Home Invest Belgium. Plaçons la barre à 1 000 euros de loyer mensuel, et divisons le marché en deux catégories de biens, et donc, de locataires potentiels. Sous cette jauge, les preneurs de bail seront surtout des résidents locaux et les offres… peu nombreuses ou, à tout le moins, rapidement retirées du marché. Au-dessus, il s’agira de ménages aisés à deux revenus, de cadres de direction et, jusqu’à 5 000 à 6 000 euros mensuels, de Français, d’eurocrates, etc. Le problème étant le suivant : dans cette seconde catégorie, le marché est complètement inondé puisque l’on compte actuellement plus… d’un millier d’offres ! »
Ici se trouvent, selon Guillaume Botermans, les deux pierres d’achoppement en matière d’investissement résidentiel : un, l’offre et la demande, si elles existent en masse, ne se répondent pas nécessairement ; deux, la concurrence fait rage sur le marché locatif, les biens affluant surtout dans des tranches de loyers similaires et… plutôt chérotes. Le neuf et le rénové, produits favoris des investisseurs, qui n’aiment pas se lancer dans de longs et fatigants travaux et encore moins acheter un chat dans un sac, sont en effet loin d’être bon marché. » A Bruxelles, le prix du neuf démarre entre 3 000 et 3 300 euros le mètre carré, et grimpe jusqu’à 5 000, voire 5 500 euros, argumente-t-il. Pour espérer un rendement de 3,5 %, il faut tabler, pour un deux-chambres classique, sur un loyer minimum de 1 400 à 1 500 euros mensuels. C’est beaucoup plus que ne peut se permettre une majorité de preneurs de bail. » » En province, poursuit-il, et sur le segment du neuf toujours, les prix plafonnent à 3 500 euros le mètre carré, tandis que les loyers sont moindres que ceux de la capitale : c’est bien simple, il n’existe pas de marché passés les 1 000 euros mensuels. »
Et de conclure en incitant les candidats à l’investissement à sonder le marché avant de se lancer. » Au sein de notre portefeuille bruxellois, trois locataires sur quatre s’acquittent d’un loyer mensuel inférieur à 1 000 euros. C’est ce qui fait notre succès et nous assure un taux d’occupation de… 95 % « , assène-t-il.
Par Frédérique Masquelier