Améliorer son empreinte écologique tout en réduisant la fracture sociale : c’est le projet initié par Ostende. La cité portuaire, nominée dans le cadre de notre concours de la ville la plus » smart » de Belgique, a imaginé un système de financement innovant pour permettre aux ménages modestes d’investir dans les économies d’énergie et d’en tirer les fruits. Un projet extensible… aux pouvoirs publics désargentés.
Ces dernières années, les économies d’énergie sont devenues la préoccupation de tout un chacun, sur un plan aussi bien individuel que collectif. Nombreuses sont les villes qui ont ratifié des conventions visant à réduire leur facture énergétique et leurs émissions de CO2 – voire à atteindre la neutralité carbone – en multipliant les incitants à destination des entreprises et des particuliers. Une seule a, dès le départ, pris l’initiative de cibler une population a priori moins sensible à la problématique car mobilisée par des préoccupations prioritaires : celles de satisfaire à ses besoins de base – et notamment de pouvoir s’éclairer et se chauffer. Car il s’agit des familles à très bas revenus, des ménages les plus pauvres de l’agglomération ostendaise.
Cette ville, c’est donc Ostende. Après avoir ratifié en 2010 la Convention des maires européens pour une énergie locale durable et lancé différentes initiatives en ce sens, la cité portuaire initiait dès 2012 un projet pilote baptisé » Garantie de rendement pour les mesures d’économie d’énergie réalisées par les familles à très bas revenus « . Maître d’oeuvre : AG EOS, la régie communale autonome Economies d’énergie, créée dans le cadre du plan d’action stratégique énergie de la Ville. » D’une durée de cinq ans, le projet pilote visait au départ quatre familles sélectionnées dans la tranche de revenus la plus basse « , explique Bart Van Camp, son promoteur au sein d’AG EOS.
Pourquoi cette cible ? » Jusqu’alors, la principale mesure prise par les pouvoirs publics en Flandre et ailleurs en Belgique consistait à accorder des prêts sans intérêt aux ménages décidés à investir dans les économies d’énergie. Mais même sans intérêt, ces prêts doivent faire l’objet de remboursements mensuels. Nous avons été sensibles aux cris d’alarme poussés par les associations à propos de ces familles incapables de faire face à la moindre charge de remboursement supplémentaire et, dès lors, exclues d’emblée de tout programme visant à rendre leur logement moins énergivore. Alors même que ce poste occupe une part importante de leur budget. »
Garantie de rendement
La régie a alors innové en imaginant un système indolore pour les familles dans le besoin, mais d’une grande efficacité. » L’idée est toute simple, poursuit Bart Van Camp. Elle consiste à faire en sorte que les investissements consentis pour réaliser des économies d’énergie soient intégralement remboursés par les économies effectivement réalisées. Le concept de » garantie de rendement » signifie concrètement qu’à aucun moment, l’investissement ne pèse sur le budget des ménages. »
Pour les quatre premières familles concernées, le projet comprenait une analyse approfondie de la consommation énergétique du logement, des travaux d’isolation de la toiture et des conseils sur mesure visant à maintenir la facture énergétique au niveau le plus bas possible. L’argent nécessaire a été investi par AG EOS, qui s’est ensuite fait rembourser progressivement sur la base de la différence entre les nouvelles et les anciennes factures de gaz et d’électricité des personnes concernées.
» Ce projet a non seulement réduit la facture énergétique et amélioré la qualité de vie de ces quatre familles, mais il a aussi favorisé l’inclusion sociale en touchant des ménages qui, sans lui, auraient été laissées pour compte « , souligne Tom Germonpré, l’échevin ostendais du Développement durable et de l’Egalité des chances. L’accompagnement et les remboursements s’étalent sur cinq ans, aux termes desquels les économies réalisées reviennent de droit aux habitants.
L’idée a fait des émules. En 2014, la Fondation Roi Baudouin, associée à la Loterie nationale, a financé son extension aux locataires d’une société de logements sociaux dans une phase de test élargie à chaque province flamande. Et cette année démarre un nouveau projet subsidié par la province, qui visera pendant trois ans 50 ménages de Flandre occidentale. » Cette fois, se réjouit Bart Van Camp, nous irons plus loin. Aux travaux d’isolation des toitures s’ajoutera dans chaque foyer la pose d’une nouvelle chaudière à condensation. »
Bientôt 5 000 familles ?
L’objectif est d’étendre le système du » rendement garanti » à toute la région avec l’aide des entités locales de l’Agence flamande de l’énergie (VEA), mais » nous sommes toujours à la recherche des fonds nécessaires « , précise notre interlocuteur. Ils pourraient venir de l’Union européenne : elle s’intéresse de près à l’initiative de la ville d’Ostende, dont l’expertise s’étend désormais aux pays voisins.
» Nous voudrions bien pouvoir passer de 50 à 5 000 familles, confirme Bart Van Camp, mais les montants en jeu sont énormes et il nous faudrait mettre en place une véritable plate-forme de gestion des factures et des remboursements. » A 10 000 euros d’investissements (maximum) par ménage, faites le compte : il en faudrait 50 millions ! Mais ça vaut le coup. Le rendement individuel doit au minimum dépasser les 10 %. » La sélection des ménages passe par les services sociaux et les CPAS, poursuit le chef du projet. Ils doivent évidemment consommer suffisamment d’énergie pour que l’opération soit rentable. » Pour les familles concernées, l’économie réalisée constitue un bonus non négligeable. Et c’est aussi tout bénéfice pour l’environnement.
Mais ce n’est pas tout. Ce nouveau modèle de financement peut bien entendu s’appliquer à d’autres catégories de consommateurs qui hésitent ou n’ont pas les budgets pour investir dans les économies d’énergie. Comme les entreprises… et les pouvoirs publics. Jamais avare d’une nouvelle idée verte, la cité du Mercator a ainsi décidé de l’appliquer à son éclairage public, qui sera progressivement rendu intelligent avec des LED, des détecteurs de présence et des modulateurs d’intensité. » Sans que le budget de la Ville en soit affecté « , se réjouit l’échevin Germonpré. Simple, mais il fallait y penser.
Par Philippe Berkenbaum