» On ne doit pas s’accoutumer à la menace terroriste « 

Le professeur de psychologie israélien Mooli Lahad est spécialiste du stress post-traumatique lié aux actes terroristes. Il a formé des médecins à cette discipline dans le monde entier pour prodiguer ses conseils.

Le Vif/L’Express : La France connaît pour la première fois un attentat suicide sur son territoire. Le recours à ce procédé extrême ajoute-t-il au choc psychologique pour la population ?

Mooli Lahad : Les attaques terroristes produisent un traumatisme spécifique, comparé à un tremblement de terre ou à un tsunami. Pour aller et venir en confiance parmi ses semblables, l’être humain bâtit un sentiment global de sécurité. L’idée qu’un autre puisse risquer sa vie dans le seul but de le tuer, lui, un parfait inconnu, n’est pas une hypothèse plausible en temps normal. Encore moins si cet autre choisit de se suicider. L’événement est dévastateur pour le système de défense psychique des individus. D’où la peur, et le réflexe de ne plus sortir de sa maison.

Rester chez soi, c’est le signe d’un traumatisme ?

Limiter ses déplacements, éviter les endroits très fréquentés comme les gares ou les cinémas constituent des attitudes naturelles lorsqu’on les adopte juste pendant quelques jours, voire quelques semaines. Au-delà, ces comportements peuvent révéler un syndrome de stress post-traumatique, qui nécessite un accompagnement psychologique. Souvent, les intéressés n’en ont même pas conscience.

Qui est susceptible d’être touché ?

Notre expérience, à l’échelle mondiale, montre que 7 à 10 % de la population conserve ce sentiment de peur plusieurs mois après les événements. Les attentats du 13 novembre à Paris ont causé quelques 400 morts et blessés. En extrapolant à leur entourage, environ 4 000 personnes se trouvent sérieusement exposées à ce risque.

En quoi consistent vos méthodes ?

Nous avons défini deux cercles d’intervention qui tiennent compte de la vulnérabilité des individus. Le premier, celui des victimes directes, nécessite un soutien individuel, en face à face avec un thérapeute. La problématique est différente pour le deuxième cercle, celui des victimes indirectes, les simples témoins des événements, les pompiers ou les services de secours. Pour ces derniers, la participation à des groupes de parole animés par un professionnel constitue la bonne thérapie. Entendre des récits similaires au leur, constater que leur ressenti est partagé est le meilleur traitement possible. Les victimes directes, au contraire, doivent être protégées des témoignages et des images concernant les attentats, qui aggravent le traumatisme.

Un pays peut-il apprendre à vivre avec la menace terroriste ?

Je ne souhaite pas aux Français de s’habituer à ce danger. Après une période d’attaques terroristes intensives, comme en Irlande du Nord dans les années 1980 ou en Israël, il se produit une forme d’accoutumance, qui rend la situation collectivement plus supportable. Le problème, c’est que la sensibilité à la violence diminue dans la même proportion. Les citoyens tolèrent davantage de souffrances. Le prix social à payer est alors élevé.

Est-il est donc possible, selon vous, de se reconstruire après de tels drames ?

L’être humain est l’animal le plus résilient qui soit. La routine appelle la routine, et la plupart des gens vont reprendre assez vite une vie normale. Il faut être attentif à la petite minorité des plus fragiles, en sachant que le rythme de la reconstruction psychologique peut être très différent d’une personne à l’autre. Pour certains, c’est l’affaire de deux jours. Pour d’autres, cela peut prendre plusieurs mois. Mais le traumatisme n’est pas éternel.

Entretien : Estelle Saget et Corinne Scemama

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