» On lui a fait un procès en sorcellerie « 

Laurent Beccaria parle enfin. Deux mois jour pour jour après la sortie de Merci pour ce moment, le patron des Arènes raconte les coulisses du tsunami politico-éditorial qui a fait vaciller François Hollande. Il en profite pour régler quelques comptes avec les médias.

Le Vif/L’Express : Commençons par les chiffres : où en est le livre de Valérie Trierweiler ?

Laurent Beccaria : A ce jour, nous avons expédié chez les libraires plus de 735 000 exemplaires de Merci pour ce moment. Si l’on comptabilise la Suisse et la Belgique, où le livre a aussi été n° 1, les clubs et la version numérique, nous avons dépassé les 600 000 exemplaires vendus en deux mois. C’est un phénomène qui nous dépasse.

Comment êtes-vous devenu l’éditeur de ce livre ?

Après sa séparation d’avec François Hollande, lors d’un voyage en Inde en janvier dernier, Valérie Trierweiler avait dit qu’elle envisageait d’écrire un livre. De nombreux éditeurs lui ont fait des offres, assorties de promesses sonnantes et trébuchantes.

On dit que certains d’entre eux lui auraient proposé une avance de 500 000, voire de 700 000 euros…

J’ai entendu parler de ces montants. Valérie Trierweiler a mandaté un agent littéraire, Anna Jarota, pour l’aider à choisir un éditeur. L’un des directeurs littéraires des Arènes, Florent Massot, était un ami d’Anna Jarota. Tout est parti de là. En mars, nous avons rencontré Valérie Trierweiler. Je lui ai expliqué que nous étions une maison d’édition indépendante, que nous pourrions lui garantir une confidentialité maximale et qu’une clause de son contrat lui donnerait la liberté de renoncer au projet à tout moment. Cette porte de sortie l’a rassurée. Le courant est passé tout de suite entre nous et j’ai senti une sincérité profonde chez elle. Le soir même, Anna Jarota m’appelait pour me dire : ce sera avec vous ! Et, dans la foulée, elle nous a donné les 30 premières pages à lire.

Le contrat a-t-il été difficile à mettre en forme ?

Cela nous a pris cinq minutes ! Ses droits d’auteur sur les ventes sont dans la fourchette haute, sans être hors norme. Les droits étrangers restent sa propriété. A ce jour, Merci pour ce moment a été acheté par 11 pays. Il a aussi été convenu entre nous qu’elle ne donnerait aucune interview à la sortie du livre.

S’est-elle fait aider pour l’écriture ?

Bien sûr que non ! Elle l’a écrit entièrement seule, comme tous ses articles chaque semaine dans Paris Match depuis vingt-cinq ans… Pour éviter tout risque d’intrusion d’un hackeur ou d’une officine, je lui ai donné un ordinateur non connecté à Internet, qui ne servait qu’à écrire ce livre. Elle me communiquait les chapitres tous les dix jours via des clés USB. De mars à juin, il y a eu des hauts et des bas, surtout lorsqu’elle se remémorait les moments heureux avec François Hollande. Je l’ai parfois sentie éprouvée ou épuisée, mais jamais elle n’a songé à renoncer. Il y avait un côté catharsis. Je relisais au fur et à mesure, suggérais d’enlever ici ou là une digression et lui ai conseillé d’utiliser le présent de narration partout, c’est tout.

On a pourtant dit que vous aviez  » censuré  » des passages de son texte…

La rumeur a même laissé entendre que je lui aurais demandé d’adoucir certains chapitres concernant Ségolène Royal. C’est faux. Bien sûr, en lisant le fameux passage sur les  » sans-dents « , j’ai mesuré l’impact politique qu’il pourrait avoir. Nous en avons parlé et elle m’a répondu que François Hollande avait utilisé cette expression à plusieurs reprises et qu’elle n’avancerait pas ce genre de choses sans assurances. C’est une journaliste avertie. Fin juillet, Valérie Trierweiler nous a dit :  » On y va ! Je sais que je vais en prendre plein la figure, comme d’habitude, mais on y va quand même.  » A partir du moment où elle a pris sa décision, elle n’a plus répondu aux sms de François Hollande. Nous avons fixé la sortie à début septembre. On nous a reproché de le publier en plein milieu du quinquennat. Elle ne voulait pas que cela soit trop près de 2017. Je trouvais courageux de sa part – et accessoirement de la nôtre – d’affronter un président de la République en exercice plutôt que d’attendre qu’il ne soit plus à l’Elysée.

Comment avez-vous pu garder le secret jusqu’au bout ?

Nous avons fait appel à une imprimerie allemande, à Leipzig, connue pour s’être occupée des impressions top secret de Harry Potter. Florent Massot est allé là-bas avec une clé USB contenant le livre. Merci pour ce moment a été imprimé fin août à 200 000 exemplaires. Le lundi 1er septembre, nos équipes de vente ont appelé 650 libraires en France pour leur annoncer ce que nous allions sortir et prendre les commandes. Le lendemain, une camionnette en a discrètement acheminé 1 000 exemplaires sous blister aux Arènes. J’ai demandé à un neveu de dormir au bureau pour les surveiller. Valérie Trierweiler en a récupéré dix et a sauté dans un TGV vers Angers, pour les donner à sa mère et sa famille. Le reste du tirage a été acheminé par camions et n’est arrivé en France que le soir. Les cartons ont été remplis dans la nuit par les équipes d’Hachette et expédiés le lendemain.

Entre-temps, les politiques n’en ont pas du tout eu vent ?

Je crois savoir que Manuel Valls l’a appris le mardi matin, un peu avant que l’information ne fuite via un tweet d’une journaliste. A midi, Valérie Trierweiler a appelé François Hollande pour le lui annoncer personnellement. Ensuite, le pouvoir a essayé de se procurer l’ouvrage avant sa sortie. Ce n’est que le mercredi matin qu’un haut dirigeant d’Hachette et le PDG de la Fnac ont envoyé tous les deux leur chauffeur en récupérer deux exemplaires dans les centres de stockage, dont l’un était  » pour l’Elysée « …

Vous attendiez-vous à un tel raz de marée en librairie ?

Impossible de prévoir l’impensable. Trente-six heures après la sortie, nos 200 000 exemplaires étaient déjà vendus ! On en a fait réimprimer instantanément 300 000. Les gens faisaient la queue devant les librairies, certaines personnes dormaient devant les Fnac ! Et, dans le même temps, sur toutes les chaînes de télévision, Valérie Trierweiler se faisait traîner dans la boue, on l’appelait  » la Pompadour « , on l’accusait d’avoir publié un  » torchon « , d’être une  » Cruella  » assoiffée de vengeance. Le fond était évacué au profit d’un procès en sorcellerie. Aucun des faits relatés dans son livre n’a pourtant été contesté. Mais il n’y a eu personne pour prendre sa défense publiquement, même si j’ai appris que des écrivains comme Annie Ernaux ou Jean-Paul Kauffmann ont aimé le livre.

Vous avez aussi été victime d’un piratage massif…

Certains ne voulaient pas payer pour le lire et les téléchargements illégaux ont été estimés à 75 000. Nous avons attaqué ces plates-formes. Mais nous avons affronté un autre phénomène inédit, qui aurait touché près de 400 000 personnes : l’envoi du fichier piraté par e-mail, soutenu par des mouvances très actives, comme la Manif pour tous ou le Front de gauche. Si vous additionnez ces chiffres aux  » vrais  » acheteurs, qui ont souvent fait circuler l’ouvrage autour d’eux, vous arrivez au chiffre impressionnant de 2 millions de lecteurs… C’est un fait politique.

Dans une lettre publiée par Livres Hebdo, vous avez dénoncé le fossé qui séparait la quasi-totalité des médias des vrais lecteurs. N’est-ce pas un peu poujadiste ?

Ayez la curiosité d’aller lire les mille commentaires déposés par des lecteurs sur Amazon. Plus de 75 % lui attribuent de trois à cinq étoiles et plébiscitent son courage et sa sincérité. Le bouche-à-oreille porte le livre. Valérie Trierweiler a fait deux séances de signatures, à Angers et à Strasbourg. Il y avait 500 personnes ferventes chaque fois. Les figures médiatiques sont en porte-à-faux avec les lecteurs : David Pujadas a expliqué au 20 Heures qu’il n’évoquerait pas ce livre, Laurent Ruquier tape dessus à chaque émission. Franz-Olivier Giesbert, Olivier Mazerolle et Michel Onfray ont été abjects de misogynie. Les éditorialistes ont fait corps avec le pouvoir comme une caste arrogante, qui ne souhaite pas que l’on regarde ce qui se passe dans son entre-soi. Leur violence a favorisé le succès de ce livre. Les lecteurs ont voulu se faire leur propre idée. C’est l’arroseur arrosé.

Mais Valérie Trierweiler n’est-elle pas elle-même l’incarnation de cette  » endogamie  » ?

Elle en est à la fois l’illustration et la victime. Mais elle n’en épouse pas les codes. Sinon, elle n’aurait jamais écrit un livre si brut, si explosif. C’est ce que j’aime chez elle : elle dit les choses. Merci pour ce moment raconte une histoire tellement française : il y est question d’une ascension sociale, d’une humiliation publique, de la comédie et du désarroi du pouvoir actuel. Elle donne aussi des clés pour percer le  » mystère Hollande « , ce président insaisissable. Pur hasard, le livre est sorti dans la foulée du remaniement, en pleine affaire Thévenoud, ce qui lui a donné une dimension politique très forte.

Avec ses scènes qui nous emmènent jusqu’aux appartements privés de l’Elysée, Merci pour ce moment n’est-il pas un livre voyeuriste ?

Où s’arrête la curiosité et où commence le voyeurisme ? Le voyeur, c’est toujours l’autre. Certains journaux qui se sont bouché le nez passent leur temps à publier des  » bonnes feuilles  » de livres de leurs journalistes qui explorent les frontières désormais si ténues entre politique et vie privée.

Vous passez pour être un éditeur  » humaniste  » et publiez la revue XXI. N’avez-vous pas brouillé votre image avec ce livre ?

J’assume ce livre, parce qu’il est d’une sincérité absolue. Au total, j’ai dû recevoir une trentaine de lettres d’injures anonymes et cinq désabonnements à XXI, contre une avalanche d’e-mails de soutien à l’auteur. La prétendue  » fronde des libraires « , qui auraient refusé de vendre Merci pour ce moment, est bidon. Par ailleurs, aucun auteur n’a quitté la maison et seulement un ou deux m’ont demandé des explications.

Un rapide calcul établit qu’avec entre 15 et 17 % de droits d’auteur hors taxes sur 600 000 exemplaires, Valérie Trierweiler devrait percevoir autour de 1,7 million d’euros…

Tous les médias se sont amusés à faire ce genre de calculs. Mais pourquoi ne le faites-vous pas avec Jean d’Ormesson, Emmanuel Carrère ou Eric Zemmour ?

Un tome II est-il prévu ?

Non, mais, qui sait, il n’est pas impossible que Valérie Trierweiler souhaite ajouter quelques pages à l’édition de poche, avant l’été. Rien n’est décidé. Elle a surtout envie de se consacrer à un autre livre, historique celui-là, loin, très loin, de la folie qu’elle a traversée.

Propos recueillis par Jérôme Dupuis

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