L’ancien vice-Premier ministre critique les excès du débat sur la collaboration. Il considère l’amnistie comme » un mot tout à fait recevable « .
C’est une voix dissonante dans le concert d’indignation francophone. L’historien et ancien ministre socialiste Philippe Moureaux ne considère pas l’amnistie comme un tabou. Cette opinion à contre-courant, il s’y est rallié progressivement. Mais sans jamais l’exprimer en public. Retraité de la vie politique depuis cinq mois, il livre pour la première fois le fond de sa pensée.
Le Vif/L’Express : Cette hystérie dans le débat sur la collaboration, la Belgique n’en sortira jamais ?
Philippe Moureaux : Je pense malheureusement que la société belge a une très grande difficulté à dépasser cet événement historique. Le danger, c’est de confondre les errements de certains, qui sont aujourd’hui tellement lointains que je ne vois pas comment on pourrait encore poursuivre leurs descendants, et les idées abominables qui ont mené à la catastrophe que l’on sait. Autant je suis d’une extrême fermeté sur la condamnation des idées, autant je n’aime pas que l’on en revienne toujours à ce procès de la Flandre qui a été, partiellement, un foyer de la collaboration.
Le problème ne provient-il pas de l’ambiguïté d’une partie du monde politique flamand, qui renâcle à condamner de façon franche la collaboration ?
Ce qui a effectivement tout perverti, du côté flamand, c’est que ceux qui défendaient l’amnistie étaient un peu équivoques quant à leur pensée. Ils ne disaient pas seulement : après trente, quarante ans, le temps est venu de tourner la page. Leur action pour l’amnistie des collaborateurs comprenait aussi des relents d’amnistie par rapport aux idées jadis défendues par ces gens. Mais les torts sont partagés, la faute vient aussi des francophones. Après la guerre, il y a eu un rejet des collaborateurs, pas toujours rationnel, mais compréhensible… Depuis, les décennies se sont écoulées. Il y a une grande faute de la société belge de ne pas avoir réussi à tourner la page par rapport au passé.
Qu’aurait-il fallu faire ?
Progressivement, j’en suis venu à penser qu’on aurait pu tirer un trait. J’en ai parlé avec Hugo Schiltz, le leader de la Volksunie. On partait de points de vue très différents. En cheminant, on arrivait à la même conclusion : il aurait fallu solder non pas les idées du passé, mais les séquelles qui touchaient encore les personnes. D’autant qu’on a pratiqué, en Belgique, des dizaines de mini-amnisties honteuses. Moi-même, ministre de la Justice, j’ai régularisé des dossiers. Mais je disais à mes collaborateurs : surtout, il ne faut pas que ça se sache. Je n’ai pas eu le courage d’assumer cette position. C’était de toute façon inaudible à l’époque, et ça l’est encore largement aujourd’hui.
Vous auriez été favorable à une amnistie générale ?
Amnistie, c’est un mot tout à fait recevable. Les actes répréhensibles ne peuvent pas être poursuivis éternellement. Sauf cas exceptionnels, comme les gens qui ont participé à la Shoah. Peut-être aurait-il fallu trouver un autre mot qu’amnistie, pour éviter de braquer la population. Mais je pense en effet qu’on aurait dû être plus actif qu’on ne l’a été dans le règlement de ce passé-là.
Quand PS, CDH, Ecolo, FDF et PTB critiquent à l’unisson une phrase du ministre N-VA Jan Jambon ( » Les collaborateurs avaient leurs raisons « ), font-ils fausse route ?
Il faut s’attaquer à ce qui constitue aujourd’hui le danger, et pas toujours revenir au passé. Ces partis ont raison de dénoncer le racisme à peine caché de certains ministres N-VA. Ce que je déplore, c’est qu’on cultive parfois un raisonnement pervers : il y a eu des noirs, des collabos en Flandre, et donc la Flandre entière est noire.
Entretien : François Brabant