Ockrent

Contestée, isolée, y compris sur le plan politique, l’ex-star du PAF est dans une impasse. Son départ de l’Audiovisuel extérieur de la France paraît inéluctable.

C’était, situé au deuxième étage de L’Express, un beau bureau d’angle donnant sur la place de l’Etoile, à Paris. Une pièce claire aux murs tapissés de lithographies et dont le sol était couvert d’une moquette épaisse couleur bleu roi, choisie par l’occupante des lieux, Christine Ockrent. Mais, un lundi de mars 1996, les journalistes de l’hebdomadaire durent se rendre à l’évidence : celle qui avait dirigé ce journal durant dix-sept mois et que le propriétaire, le groupe Alcatel, venait de limoger au terme d’une longue crise, ne sacrifierait pas au rite du pot d’adieu. Une potion amère pour celle dont le bureau avait été entièrement déménagé, nettoyé, comme décapé, durant le week-end, jusqu’à sa moquette, évanouie elle aussi : la  » Reine Christine  » s’en était allée, laissant derrière elle une terre brûlée.

 » Je me demande ce qu’il se passe dans la tête de cette femme ?  » Douze ans plus tard, à l’automne 2008, Alain de Pouzilhac s’interrogeait à voix haute sous les lambris d’un grand hôtel parisien. Cet ancien PDG d’Havas, installé quelques mois plus tôt par Nicolas Sarkozy à la tête de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF), disait alors son incompréhension face à celle que le chef de l’Etat lui avait imposée comme directrice adjointe déléguée, et dont il se défiait.

De quel bois est faite cette journaliste, autrefois vestale de toute une profession, à qui Alain de Pouzilhac livre depuis des mois une lutte féroce, au point que chacun s’accorde à dire que le sort de l’inté-ressée est désormais scellé ? Exaspéré par la tonalité prise par cette guerre de tranchées qui oppose deux personnalités que rien ne peut désormais réconcilier – un Gascon au sang bouillonnant et une reine aux serres acérées – l’Elysée en appelle à la  » dignité « . Peine perdue : trop de haines rancies les séparent. La seule question qui subsiste est de savoir si Christine Ockrent tombera seule ou entraînera dans sa chute celui qu’elle rêve de voir décapité.

Au siège de l’AEF, où règne une ambiance de veille de désastre depuis qu’une motion de défiance lui a été infligée, le 16 décembre dernier, Ockrent affiche un masque de fer. Le climat est d’autant plus oppressant qu’est venue s’ajouter à ce conflit une sombre affaire d’espionnage interne, où on a voulu mêler le nom de la journaliste, sans qu’aucun élément soit, pour l’heure, venu étayer la rumeurà

Les pieds sur la table, cigarillo entre les lèvres

S’il est une chose, en tout cas, qui continue de méduser chez celle qui se cramponne à son siège, c’est bien sa solidité. En apparence, la dame a tout du militaire – la taille très droite, l’£il bref et bleu, l’allure ferme et raide. Quand elle s’assied dans un fauteuil face à une assemblée, l’assistance prend des allures de mess des officiers. Inébranlable malgré la litanie de conflits qui ont émaillé sa carrière, Ockrent semble être un roc.  » J’ai toujours été frappé par son aplomb « , confie l’ancien directeur de l’information de TF 1 Robert Namias, l’un de ceux qui l’ont vue débuter il y a trente ans, à Europe 1, où elle présentait le journal de 8 heures.  » Les pieds sur la table, se souvient-il, moqueur, un cigarillo vissé entre les lèvres et étrangement enrubannée de ses quelques mois passés à CBS, aux Etats-Unis, où, à l’entendre, elle était l’égale de cette immense vedette qu’était Walter Cronkite, elle affichait à l’égard des autres un mépris déconcertant. Son regard semblait dire que tous nos cerveaux réunis, c’est-à-dire ceux d’une génération où se côtoyaient Etienne Mougeotte, Gérard Carreyrou, Charles Villeneuve, Ivan Levaï et bien d’autres, n’arrivaient pas à la moitié du sien. Trente ans plus tard, elle le paie. « 

Ex-diva, et ex-protégée de l’ancien  » cardinal  » d’Antenne 2, Pierre Desgraupes, qui la coiffa d’une couronne en lui offrant sur un plateau, en 1981, le journal de 20 heures de cette chaîne – un  » JT  » qu’elle partagea avec Patrick Poivre d’Arvor – la voici au bord d’un énième (et dernier ?) exil. Ironie du sort, l’hiver 2011 la voit trébucher, au moment même où cet ennemi juré sombre à son tour pour plagiatà PPDA, Ockrent : deux ex-icônes en capilotade.

Mais qui est-elle vraiment ?  » Intelligente, mais brutale « ,  » généreuse avec les uns, implacable avec les autres  » : celle qui suscite les sentiments les plus contrastés n’est guère épargnée par la profession.  » D’une vanité illimitée, elle a toujours considéré que l’information était faite pour rentrer au chausse-pied dans une maquette de journal, dont elle était la pièce principale. Du tout-à-l’ego « , lâche Christian Dauriac, ancien patron de l’information de France 3, en 1999, quand elle officiait à la tête du magazine France Europe Express. Et de poursuivre :  » Il y a beaucoup d’insécurité chez celle qui pallie ses angoisses en s’entourant d’un premier cercle composé de chaouchs. Je dirais d’Ockrent qu’elle est d’abord victime d’elle-même.  »

Ce tempérament abrasif cacherait donc en réalité une femme de verre, susceptible de se briser à la première embardée. Semblable à une course de stock-cars, sa carrière est pourtant jalonnée de sorties de route dont elle semble toujours être sortie indemne. Impavide, l’intéressée préfère voir dans ces épreuves l’expression d’une  » bravitude « . L’une des scènes les plus mémorables reste son éviction de TF 1, en 1987, un épisode que rapporte son ancien PDG Patrick Le Lay :  » Nous étions tous les deux dans un ascenseur au siège de la chaîne. En sortant, je lui ai dit : « Vous voyez la porte là-bas, Christine, vous avez cinq minutes pour la prendre. » « Que voulez-vous dire par là, Patrick ? » m’a-t-elle répliqué, interloquée. « Que je ne veux plus jamais vous revoir ici ! »  » Un quart d’heure plus tard, elle quittait l’entreprise : alors directrice générale adjointe de  » La Une « , il lui était reproché de s’être répandue dans les cercles parisiens sur la chaîne de Francis Bouygues.

Et maintenant ? Christine Ockrent, qui confie au Vif/L’Express sa  » douleur  » et sa  » colère « , se dit  » meurtrie qu’après trois ans de travail passionnant et passionné avec les équipes de France 24 et de RFI le fonctionnement et l’image du groupe soient abîmés à ce point « . Elle s’estime aussi  » scandalisée qu’on parle d’une « affaire Ockrent », alors qu’à [sa] connaissance aucune enquête policière ou judiciaire n’autorise à la qualifier ainsi « .

 » Je les ai suffisamment gavés « , confie Sarkozy

Sentiment d’injustice, expression d’une solitude : pour la première fois en un peu plus de quarante ans de carrière, la journaliste, qui jusque-là a toujours su jouer du soutien d’un cercle d’amis influents et de la protection de quelques dirigeants politiques – dont François Mitterrand – ne peut que constater son isolement. Lors de son départ forcé du gouvernement de François Fillon, Bernard Kouchner avait demandé comme dernière faveur à Nicolas Sarkozy qu’il veille sur sa compagne :  » Protège Christine.  » Une supplique restée lettre morte. Le chef de l’Etat n’a pas l’intention de venir à la rescousse d’un couple qu’il évoque en privé de manière lapidaire :  » Je les ai suffisamment gavés « , confiait-il récemmentà Ce n’est donc pas de l’Elysée que la journaliste doit attendre son salut. Même s’il n’est pas question, au Château, de faire d’Ockrent une reine christique. Pour qu’après lui avoir tressé une couronne on lui dresse maintenant une auréole de martyre.

RENAUD REVEL

 » ELLE AFFICHAIT À L’ÉGARD DES AUTRES UN MÉPRIS DÉCONCERTANT « 

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