A certains égards, Barack Obama est en train d’enregistrer en Syrie une défaite comparable dans son ampleur à celle subie par son prédécesseur, George W. Bush, en Irak. La différence – de taille – vient de ce que Bush avait déclaré la guerre à l' » axe du mal » et qu’il avait entrepris une opération d’une grande envergure contre Saddam Hussein, tandis que son successeur a tout fait pour éviter une telle perspective contre Bachar al-Assad, tout en réclamant invariablement le départ de ce dernier.
Le résultat est, en tout cas, tragique. Le Prix Nobel de la paix 2009 est au centre de toutes les critiques et son bilan calamiteux va probablement, comme pour George W. Bush en 2008, alimenter le débat principal de la campagne présidentielle de 2016. Les challengers républicains auront beau jeu de réclamer un réinvestissement américain au Moyen-Orient, soit l’inverse du programme d’Obama, qui fit du retrait d’Afghanistan et d’Irak le point essentiel de ses promesses présidentielles. John McCain résume ainsi l’échec d’Obama après deux mandats : » C’est la conséquence de mots creux, de lignes rouges franchies, d’influence morale ternie, tout ça en arrière du front, et d’un manque total de leadership américain. »
De fait, tous les concepts savamment élaborés lors de l’ère Obama s’effondrent comme un château de cartes ; il n’en reste rien, ou presque. Le » pivot « , qui devait cibler l’Asie comme une priorité, se heurte à la crise de la croissance chinoise et au raidissement du régime de Pékin, qui suit de très près la ligne définie par Moscou en matière de relations internationales. La » stratégie furtive « , fondée sur le recours intensif aux drones et aux forces spéciales, plutôt qu’aux troupes régulières et à l’emploi d’armement lourd, a plus que montré ses limites. La terrible erreur de Kunduz, en Afghanistan, où un hôpital de Médecins sans frontières a été détruit lors d’une attaque aérienne, se conjugue à l’inefficacité des frappes contre Daech, en Irak comme en Syrie. La » relativisation » de la relation entre les Etats-Unis et l’Europe se heurte de plein fouet à la crise ukrainienne. Le » reset « , c’est-à-dire la remise à zéro, annoncé par Obama dans les liens tendus entre Washington et Moscou, a abouti à un zéro pointé.
Sans parler de la déroute américaine dans le dossier israélo-palestinien, ni des erreurs fatales commises à l’égard de l’Egypte, pays dans lequel l’administration Obama a cru bon de soutenir l’ancien président, issu des rangs des Frères musulmans, Mohamed Morsi. Non seulement ce dernier est derrière les barreaux, mais le général al-Sissi, qui l’a renversé, garde une dent contre les Américains, au point de conclure des accords importants avec la Russie de Poutine (et d’acheter des Rafale à la France…).
Une sorte de désastre, somme toute, dont le point d’orgue est constitué par le très vif accroissement de la rivalité entre la Russie et les Etats-Unis. Même si le rapport de forces militaire entre ces deux adversaires penche très nettement en faveur du second, Vladimir Poutine a obtenu ce qu’il recherche depuis plus d’une décennie, à savoir une confrontation directe avec la superpuissance américaine afin de démontrer qu’il n’y a plus d’hyperpuissance. Pour le maître du Kremlin, il y a de nouveau deux supergrands, engagés dans un bras de fer sur le même terrain, la Syrie, par alliés interposés, même si nul n’est dupe du poids réel de la Russie dans la mondialisation. Un scénario qui évoque tristement le passé et qui ressemble en tout point à une régression. Le but de la Russie est d’infliger une défaite à l’Amérique, laquelle ne pourra l’éviter qu’en augmentant son implication militaire au Moyen-Orient, soit le contraire de tout ce que le président américain avait promis. Obama ne laissera pas son nom à une stratégie, mais à une débâcle.
par Christian Makarian