En exclusivité pour Le Vif/L’Express, le patron belge d’Uber riposte face aux critiques du secteur des taxis : » Nous allons renforcer le contrôle de nos chauffeurs. » Il annonce l’arrivée prochaine du service à Anvers, Charleroi, Gand et Liège.
En mars 2014, à 37 ans, Filip Nuytemans quitte New York où il s’était installé avec sa femme américaine pour vivre à Bruxelles et y créer, seul, le service Uber. Un peu plus d’un an plus tard, cet ingénieur en technologies cellulaires gère une équipe de sept personnes et emploie des centaines de chauffeurs. Il se bat surtout pour que ce service florissant survive, dans un contexte tendu : absence de cadre légal, offensive des taxis qui fustigent une concurrence déloyale. En exclusivité pour Le Vif/ L’Express, il riposte.
Le Vif/L’Express : Uber, ça marche à Bruxelles, un an après son lancement ?
Filip Nuytemans : Cela représente une activité énorme, oui. Etant Belge, je n’aurais jamais pensé que l’on pouvait avoir une telle demande ici. Je me souviens encore de mes débuts, tout seul dans un bureau avec quelques conducteurs curieux d’essayer ce nouveau système. Maintenant, on parle de centaines de conducteurs et de 50 000 utilisateurs. Au début, nous avions un rapport de 80 % d’étrangers pour 20 % de Bruxellois ; aujourd’hui, c’est l’inverse.
Mais cela se fait toujours dans l’illégalité la plus complète, non ?
Pour le moment, il n’y a pas de cadre légal adapté aux nouvelles technologies, c’est ça, notre souci. Or, le secteur des transports de personnes est très strict, très réglementé. A Bruxelles, c’est le cas pour les taxis : le nombre de licences a été déterminé dans les années 1990 et les prix sont fixés par le gouvernement. Combien de secteurs sont encore dans ce cas ? Ce n’est pas efficace, cela empêche la compétition et donc, l’innovation. Et ne garantit pas, en outre, un bon service à coût réduit. Or, avec tous les problèmes de mobilité que nous connaissons, il faut un changement, une ouverture du marché, un cadre qui protège le consommateur et pas une industrie existante !
Les taxis se sentent attaqués par votre arrivée…
C’est vrai qu’il y a eu de fortes tensions. Que ce soit clair : nous ne sommes pas là pour mettre en péril le secteur des taxis, il y a vraiment un nouveau marché qui se construit. Il y a vingt ans, à 18 ans, je voulais tout de suite m’acheter un nouveau véhicule, c’était ma liberté. Aujourd’hui, mes deux jeunes frères, qui ont 23 et 24 ans, n’ont même pas leur permis. Un changement de mentalité s’opère : sans détenir de véhicule, les gens veulent pouvoir se déplacer en ville que ce soit en train, en métro, en Villo, en taxi ou en Uber, avec une grande flexibilité. Nous contribuons à la création de ce nouveau marché. En 2020 ou 2025, j’espère qu’il n’y aura plus beaucoup de propriétaires de véhicules.
Des négociations sont en cours avec le gouvernement bruxellois pour l’instauration d’un cadre légal ?
Je n’appellerais pas ça des négociations, mais davantage un dialogue constructif. Nous avons pu présenter les avantages de notre plate-forme technologique auprès de tous les acteurs politiques et pointer les problèmes liés à cette législation hyperrestrictive qui empêche toute compétition. En février de cette année, le gouvernement bruxellois a prévu dans son plan Taxis une section permettant de créer un cadre adapté à des plates-formes comme la nôtre. J’espère que d’ici un an, ce sera concrétisé.
Cela veut dire que l’on va vous imposer des règles, non ?
Oui et nous sommes complètement d’accord avec ça. On nous présente souvent comme des cow-boys, mais ce n’est pas du tout la vérité : on veut bien travailler dans un cadre légal en termes de sécurité ou de fiscalité pour autant qu’il protège le consommateur, qu’il autorise la compétition et permette de créer de nouveaux emplois. Il faut savoir que nous, en tant que plate-forme, prenons déjà nos responsabilités pour nos 50 000 utilisateurs. Tout le monde ne peut pas devenir conducteur : nous vérifions le casier judiciaire, l’assurance et l’immatriculation du véhicule. Il y a un training spécifique de chacun d’entre eux. Les nouvelles technologies permettent en outre de les évaluer en permanence via le feedback de nos clients. On peut même désactiver quelqu’un. En termes de fiscalité, il n’y a pas de cash, tout se passe par carte de crédit ou par virement bancaire, c’est 100 % traçable. Nous avons toujours dit aux conducteurs qu’ils doivent être en ordre au niveau de leur statut d’indépendant ou d’indépendant complémentaire pour déclarer leurs revenus, payer leurs cotisations sociales et la TVA. Depuis quelques semaines, nous vérifions systématiquement cela, la plupart sont en ordre mais ceux qui ne le sont pas seront désactivés. Je veux arriver à un point où je peux garantir que tous ceux présents sur le réseau sont en règle. Nous sommes même prêts à travailler avec le gouvernement pour assurer une transparence totale des revenus de chacun.
C’est en cela que vous pourrez vous accorder avec le politique ?
Oui, dans un cadre concurrentiel. La vision d’Uber, c’est » transportation like running water « , cela veut dire que l’on veut garantir le transport comme c’est le cas pour l’eau potable. Quand vous commandez avec votre smartphone, vous devez être sûr d’avoir quelqu’un qui vient vous chercher dans les cinq minutes. Ce marché peut créer énormément d’emplois.
En France, la situation est très tendue et le service a été suspendu. Comment voyez-vous cela ?
Il y a eu une grève superagressive de la part des taxis, avec quelques hooligans qui ont agressé des conducteurs, des clients et même des employés d’Uber. Nous ne pouvions plus garantir la sécurité et nous avons pris nos responsabilités en suspendant les activités. Mais on ne peut pas tolérer cette violence, ce n’est pas le moyen de se faire entendre dans une démocratie au XXIe siècle.
Ne craignez-vous pas de telles violences ici aussi ?
Il y a eu ce même genre de hooligans à Bruxelles, en mars et avril, avec quelques agressions, mais il y a eu une très forte réaction de la police. On peut ne pas être d’accord avec nous, mais il y a d’autres moyens de l’exprimer. Depuis, nous n’avons plus eu de problèmes…
Vous êtes une sorte de pionnier des temps modernes, en somme…
Quand j’ai découvert cette technologie aux Etats-Unis, en tant qu’ingénieur, je trouvais ça complètement génial, je suis tombé amoureux de cette application. Je suis entré en contact avec l’entreprise et elle m’a proposé de lancer le service en Belgique. Cela fait cinq ans qu’Uber existe et la valeur qu’on lui attribue dans le monde s’élève à 50 milliards de dollars. C’est quand même énorme ! Mais en même temps, nous restons une start-up. La proximité est fondamentale dans notre métier. Ce qui m’a convaincu de continuer malgré les difficultés, c’est le soutien des utilisateurs. On a vu que cela fonctionnait, que cela aura un impact sur le futur de la ville. Et le monde politique commence à le comprendre, lui aussi. Nous insistons aussi sur l’amélioration constante de nos services, la diminution des prix.
Vous avez un plan de développement en Belgique ?
Nous voulons être présents dans les grandes villes : après Bruxelles, nous visons Anvers, Gand, Charleroi et Liège.
A quelle échéance ?
L’avantage de cette technologie, c’est que l’on peut voir qui a déjà enregistré l’application et qui a déjà essayé de commander un Uber, même là où le service n’existe pas encore. A Anvers, il y a déjà eu plus de 15 000 demandes, nous devrions y arriver très prochainement. Il y a par ailleurs déjà beaucoup de gens qui prennent un Uber pour se rendre à l’aéroport de Charleroi, nous aimerions permettre l’inverse dans un futur proche.
Entretien : Olivier Mouton