» Nous sommes venus parce que les voies étaient ouvertes « 

Le parc Maximilien à Bruxelles s’est transformé en camp de réfugiés. Des Syriens, des Irakiens, des Afghans. Guidés par les trafiquants, mais aussi abusés par les forces de l’ordre de certains pays traversés, ils ne seront pas tous des demandeurs d’asile reconnus pour autant.

Assis en tailleur sur la pelouse devant la haute tour en verre de l’Office des étrangers, quatre hommes prennent le thé. Sans prêter attention au tohu-bohu qui les entoure, ils discutent en arabe, apparemment concentrés sur un sujet important. Autour d’eux, des militaires belges plantent les piquets d’une tente géante dans un bruit métallique qui cingle les oreilles, des volontaires circulent entre les tentes avec des caisses de repas préparés et des femmes, récemment arrivées, guettent, placides, le mouvement général depuis l’entrée de leur tente, un ou deux enfants enroulés autour de leurs jambes. Sur la pelouse du parc Maximilien, au centre de Bruxelles, un véritable camp de réfugiés est en train de prendre forme avec son mélange caractéristique d’affairement et de désoeuvrement.

Au regard de la fébrilité des volontaires belges qui débarquent dans le camp, chargés d’effets personnels rassemblés à la maison, de jouets d’enfants récupérés dans les armoires ou de matelas pneumatiques qui ne serviront plus, les hommes qui conversent en buvant leur thé, semblent étonnamment calmes. Sans doute n’en sont-ils pas à leur premier campement de fortune. Nous les abordons :  » Vous venez d’où ?  » Les hommes lèvent un regard souriant et répondent tout de go : de Bagdad, en Irak. Invités à prendre place parmi eux, nous leur demandons timidement s’ils peuvent raconter la route de l’exil qui les a menés jusqu’à Bruxelles.  » Pas de problème « , car leur périple n’est pas si compliqué. Ahmed, Abdel, Hisham et Ismael ont d’abord pris l’avion de Bagdad à Istanbul avec leurs papiers irakiens et quelques milliers de dollars sur eux. Arrivés à Istanbul, sur les conseils de compatriotes, ils se sont rendus à Bodrum, sur la côte turque, pour trouver un passeur vers la Grèce.  » Il y a dans cette ville des milliers de Syriens et d’Irakiens qui attendent de traverser la mer. Les passeurs sont partout. Il faut trouver le bon, c’est tout « , clarifie l’un d’eux comme si nous n’étions pas bien informés.

Dans cette cité côtière où les commerçants qui ont flairé l’air du temps vendent désormais des gilets de sauvetage au su et au vu de tous, le prix pour la traversée s’est stabilisé autour de 2 500 dollars pour le bateau de luxe et de 1 200 dollars pour le Zodiac. Les moyens financiers des quatre Irakiens partis ensemble leur ont permis de choisir le  » yacht « , comme ils disent. Arrivés sur une île grecque dont ils ont oublié le nom, ils ont été emmenés jusqu’à Athènes d’où ils ont emprunté un bus de ligne vers la Macédoine, puis la Serbie avec un papier les invitant à déposer une demande d’asile endéans les trois jours. Après la Hongrie, que chaque migrant évoque comme l’une des pires étapes du voyage, les quatre hommes ont traversé en bus l’Autriche, puis l’Allemagne avant d’être déposés sur la pelouse du parc Maximilien à Bruxelles.

Organisés pour durer

Ce n’était pas la destination qu’ils avaient choisie au départ de Bagdad, ayant plutôt imaginé l’Allemagne, mais les circonstances de leur exil en ont finalement décidé autrement. En tout, le périple leur aura coûté près de 5 000 dollars à chacun et duré une dizaine de jours. Espérant désormais une réponse positive à leur demande d’asile, nous les questionnons sur les motifs de leur départ d’Irak.  » Parce que nous avons entendu dire que les voies étaient désormais ouvertes « , déclare posément l’un d’eux, en expliquant qu’il a quitté son poste de fonctionnaire pour s’exiler. Nous enchaînons alors, un brin étonnée :  » Vous n’étiez pas menacé dans votre pays ?  » A cette question, un autre compatriote passant par là intervient, lève les bras comme s’il saisissait un fusil et lâche :  » Il y a des milices à Bagdad et notre vie est très difficile là-bas « . Dont acte.

Dans l’attente d’une décision sur leur sort et sous un ciel qui menace d’inonder leurs tentes, les migrants se sont organisés comme s’ils étaient là pour une certaine durée. Un coiffeur coupe les cheveux avec doigté, un médecin fait sa tournée, tandis que les migrants se sont regroupés spontanément par nationalité. Aux côtés des Irakiens, il y a quelques Afghans, quelques Erythréens et bien sûr, des Syriens. L’un d’eux s’appelle Ali. Il vivait à Homs en Syrie jusqu’au mois de mai. Commerçant, habitué à voyager, il s’est résolu à quitter la Syrie il y a quatre mois. Après avoir liquidé ce qui restait de ses affaires après trois années de guerre et emmené une importante somme d’argent et de l’or sur lui, il a conduit sa femme et ses quatre enfants jusqu’à Damas d’où il a pris l’avion vers Le Caire, puis Nouakchott.

 » Les pires ne sont pas les passeurs  »

A son arrivée dans la capitale mauritanienne, Ali a pris le bus vers l’Algérie, puis le Maroc jusqu’à la frontière avec l’enclave espagnole de Melilla. Il a alors déboursé 8 000 euros pour assurer la traversée de sa famille jusqu’à Malaga, en Espagne, qu’il a rejoint à bord d’un cargo déguisé en commerçant marocain. Emu par ce moment très critique de son voyage, Ali insiste pour montrer sur son portable comment il s’est déguisé, avant de nous confier :  » Les pires, ce ne sont pas les passeurs, mais les officiels marocains qui nous ont prélevé une partie de la somme payée. Nous avons clairement vu une connivence entre le passeur et le garde-côte marocain « . A Malaga, Ali avait épuisé son précieux pécule : près de 15 000 euros en tout. De la famille établie en France lui a alors envoyé une somme par Western Union afin de poursuivre le voyage jusqu’à Bruxelles. Cela fait trois jours à présent qu’il a installé sa famille dans le parc Maximilien. Sous la tente, les enfants d’Ali ont pris possession des lieux et jouent aux dames. La soeur d’Ali, qui a fait partie du voyage, est à l’hôpital où elle vient d’accoucher.  » Nous voulions aller en Allemagne, indique-t-il. Mais l’urgence de l’accouchement nous a bloqués ici. Nous sommes soulagés car en Syrie, la guerre a rendu toute activité impossible. Pourtant, nous vivions comme des rois là-bas. A présent, nous sommes des misérables.  »

D’un groupe à l’autre, les récits se répètent, les mots aussi : la traversée de la Méditerranée et la Hongrie reviennent comme des hantises. Les passeurs sont des hommes cupides et rodés, mais les autorités de certains pays traversés ont été la plus mauvaise surprise.  » Ils battent, ils prennent de l’argent et ne rendent même pas de service « , affirme Ali. Le montant prélevé par les autorités n’est pas connu des migrants, mais leur laisser-faire intéressé, les a écoeurés. Trouveront-ils un refuge en Belgique pour autant ? Les quatre Irakiens assis en tailleur sur la pelouse du parc Maximilien ont chaque matin les yeux rivés sur l’Office des étrangers, en espérant que leur demande d’asile sera acceptée. Mais l’asile est un corset étroit : il ne sera accordé qu’à ceux qui peuvent apporter les preuves de leur persécution dans leur pays. Les quatre Irakiens qui sont partis en toute légalité dans l’idée que la voie était libre risquent bien d’être déçus.

En revanche, le jeune Abdulmohemm Shakora, qui a fui la ville irakienne de Mossoul occupée par Daech, a toutes les chances d’être accepté. Il a laissé derrière lui, une ville terrorisée par des djihadistes, souvent des enfants, qui n’hésitent pas à brûler vifs des condamnés, à couper les doigts des fumeurs et à jeter les récalcitrants du haut des immeubles. Plus encore : il a des preuves de menaces attentant directement à sa vie. Malgré la grande confusion qui entoure le mouvement migratoire actuel, la Convention de Genève qui définit le statut de réfugié, principale porte d’entrée en Belgique, reste égale à elle-même : elle accueillera les réfugiés et non tous les migrants.

Par Laurence D’Hondt

 » Là-bas, nous vivions comme des rois. A présent, nous sommes des misérables  »

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