S’inspirant de modèles américains, des sites proposant aux étudiants de se faire de l’argent en vendant leurs notes de cours émergent en Belgique. Timidement en Wallonie, assurément en Flandre. Où des universités n’hésitent pas à interdire cette pratique, qui pose question concernant le droit d’auteur. Sans parler de l’éthique…
Zara Mahmood a peaufiné sa tactique. Un chapitre résumé préalablement, annoté durant l’exposé du prof puis posté en ligne. Un jour, l’un de ses documents a été téléchargé 38 fois, à 15 dollars l’opération. Soit 570 dollars engrangés d’un coup. Au total, cette étudiante en communication de l’université de Boston a amassé 4 321,95 dollars. Une somme moins importante que celle de John, diplômé de l’université de Floride qui a gagné… 15 779,44 dollars. Rien qu’en vendant ses notes de cours.
Aux Etats-Unis, ce business est désormais entré dans les moeurs estudiantines. Les sites qui l’organisent (il en existe une flopée : Flashnotes, Course Hero, OneClass, Chegg, NoteUtopia…) comptent leurs utilisateurs par centaines de milliers. Un succès ne restant jamais longtemps sans être copié, le concept a fait des émules au Canada, en Australie, en Inde, aux Pays-Bas… Et, depuis peu, en Belgique.
Ne cherchez pas des John ou Zara dans le sud du pays, ils s’y comptent encore sur les doigts d’une main. Il n’en va pas de même en Flandre. Le site néerlandais Stuvia, qui s’est récemment ouvert à la Belgique, comptabilise plus de 5 500 membres flamands issus de sept établissements supérieurs. Un challenger flamand, Graduator.be, a été créé en septembre 2013. » Nous sommes aujourd’hui une organisation en pleine croissance « , se réjouissent les initiateurs sur leur page Web.
La Wallonie et Bruxelles n’échapperont plus longtemps au phénomène. Trois Liégeois ont lancé, en mai dernier, NoteCampus.com, qui compte 3 000 inscrits alors qu’il n’est pour l’instant accessible qu’à six écoles. La plate-forme sera ouverte à tous dès septembre et ses concepteurs visent 200 000 à 250 000 utilisateurs d’ici un an.
Concurrence en vue
La concurrence risque d’être rude. Le français Studizen envisage d’élargir son audience chez nous d’ici trois mois. Stuvia lorgne aussi le sud du pays. » Mais les deux Régions de la Belgique sont très différentes, observe Jaap van Nes, cofondateur. En Flandre, l’activité commence à bien fonctionner. Dans la partie francophone, c’est plus difficile. Comme si les gens avaient l’impression qu’ils n’avaient pas le droit de vendre leurs documents. Nous ne désespérons pas : cela a pris deux ans aux Pays-Bas pour convaincre les gens. » Pour séduire les jeunes, les places de marché n’ont qu’un slogan : » Soyez enfin récompensés pour vos efforts. »
Au grand dam des universités. L’UGent vient d’introduire un paragraphe dans son règlement, spécifiant que la revente pourra donner lieu à une procédure disciplinaire. » De la réprimande à la suspension, si la règle a été consciemment violée à plusieurs reprises « , précise Stephanie Lenoir, porte-parole. Idem à la KULeuven. Du côté de l’UAntwerp, on ne prône pas l’interdiction, mais on réfléchit à d’autres mesures. » Parfois, des professeurs se plaignent de voir leurs images ou graphiques diffusés, détaille Peter De Meyer, porte-parole. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est demander qu’on engage un avocat, mais c’est un processus long et coûteux. »
Le (non-) respect du droit d’auteur gêne les universités aux entournures. Plusieurs considèrent que la matière dispensée par le professeur ne peut être vendue sans son autorisation. » Une diffusion limitée n’est pas contraire aux droits d’auteur, signale Sigrid Somers, directrice de la communication de la KULeuven. La distribution commerciale par les étudiants, en particulier sur des sites qui ont des objectifs de rentabilité, en est par contre une violation, en raison du caractère semi-public des documents. »
Les sites estiment au contraire que les étudiants disposent du copyright, car ils effectuent un travail de synthèse personnel. » S’il s’agit de recopiage à 100 % des dires d’un enseignant, nous retirons le texte « , affirme Ilan Amar, cofondateur de Studizen. Un système d’évaluation du vendeur est prévu, histoire de rassurer sur la qualité du » produit « .
Une qualité toute relative, selon Eric Haubruge, premier vice-recteur de l’ULg. » Personne n’a validé ces notes. Si quelqu’un les rachète et qu’elles sont mauvaises, cela pourrait avoir un impact sur la réussite. Il faut rester attentif, éviter les dérives. » » La plupart des cours ne sont pas figés dans le temps, ils sont mis à jour. Se tenir au courant de leur évolution relève de la responsabilité de chacun « , ajoute Philippe Emplit, vice-recteur à l’enseignement et aux apprentissages de l’ULB.
Les places de marché quant à elles se présentent comme des outils d’aide à la réussite. Selon un sondage réalisé par l’Américain Flashnotes, 87 % des vendeurs perfectionneraient leur moyenne en devenant plus attentifs dans les amphithéâtres, tandis que 94 % des acheteurs déclarent que leurs résultats se sont améliorés.
Vendre = mieux réussir ?
» Notre but est de mettre à disposition des étudiants un outil qui les aide à réussir, qui réponde vraiment à leurs besoins « , assure Florian Heine, qui a cofondé NoteCampus alors qu’il était toujours sur les bancs de l’école. Le site n’offre pas seulement l’opportunité de vendre des cours, mais aussi d’entrer en contact avec des anciens, d’organiser des travaux de groupe, d’échanger des tuyaux… Gratuitement, cette fois.
D’ailleurs, les plates-formes donnent la possibilité d’opter pour un téléchargement gratuit. Sans réel succès. Dans 80 % des cas chez Studizen et 95 % chez Stuvia, les jeunes se font payer. A la satisfaction des sites, qui se rémunèrent en prélevant une commission sur les transactions, de 25 ou 30 %.
Pour subsister, ces plates-formes doivent donc élargir leur audience. Car le prix moyen d’une opération tourne autour de 4 ou 5 euros. » On ne gagne pas encore d’argent, enchaîne Jaap van Nes, de Stuvia. Mais on emploie 10 personnes et on parvient à payer tout le monde, ce qui n’est pas si mal ! »
Le site néerlandais ne dépense en tout cas pas beaucoup en frais d’avocat. Il n’a jamais fait l’objet de plainte. » On reçoit beaucoup de mails de professeurs mécontents, auxquels on répond, mais on n’obtient jamais de retour. Un jour, un enseignant belge a envoyé un message à tous ses étudiants, leur indiquant qu’il refusait qu’ils utilisent notre site. Un magnifique coup de pub, car la plupart ne nous connaissait pas ! Nous ne faisons rien d’illégal. Une interdiction ne servira à rien : les membres utiliseront alors des pseudos. Ce qui gêne les universités, ce sont juste des considérations morales. »
Celles-ci ne s’en cachent d’ailleurs pas. » Je trouve personnellement ce genre de commerce limite sur le plan éthique, lâche Didier Lambert, vice-recteur aux affaires étudiantes de l’UCL. Cela ne fait pas partie de notre cadre référentiel de valeurs. » » Nous voulons faire comprendre qu’il n’est pas nécessaire d’acheter des cours pour réussir à l’université « , abonde Stephanie Lenoir (UGent).
De leur côté, les plates-formes entendent » faire bouger les lignes « , se revendiquant dans la lignée d’Airbnb ou d’Uber. Encore faudra-t-il vaincre la frilosité du côté francophone. Durant ses premiers mois d’activité, le site liégeois NoteCampus n’a enregistré qu’une vingtaine de téléchargements payants, pour un montant d’environ 70 euros. La gratuité a la peau dure. Pour combien de temps ?
Par Mélanie Geelkens
» Personne n’a validé ces notes. Si elles sont mauvaises, cela pourrait avoir un impact sur la réussite »