» Non au retrait de nationalité « 

Un expert d’Itinera le confirme : la guerre contre l’Etat islamique pourrait rallier certains musulmans belges au  » djihad défensif « . Ses recommandations sont sur la table de la suédoise.

Politologue de la VUB, spécialiste des relations euro-méditerranéennes et euro-arabes, Bilal Benyaich a écrit, en 2013, un Islam en radicalisme bij Marokkanen in Brussel (Islam et radicalisme chez les Marocains de Bruxelles, aux éditions Van Halewyck) prémonitoire. Il y dépeint l’emprise du wahhabisme saoudien et des Frères musulmans sur la communauté musulmane de la capitale de l’Europe. Membre du think tank Itinera Institute, il a remis aux négociateurs de la suédoise une série de recommandations relatives aux djihadistes syriens, dans un contexte international inquiétant. Le Vif/L’Express l’a rencontré.

Le Vif/L’Express : Le recrutement de djihadistes belges va-t-il augmenter avec l’intervention de la coalition en Irak et en Syrie ?

Bilal Benyaich : Jusqu’à l’entrée en guerre de la coalition des pays occidentaux et arabes, sous la direction des Etats-Unis, en Irak et en Syrie, le conflit était perçu par les belligérants comme une guerre entre sunnites et chiites. Aujourd’hui, il risque d’être présenté comme un combat de l’Occident contre les musulmans ou l’islam, encourageant le clivage  » eux-nous « , les reproches de néocolonialisme et d’impérialisme, les théories du complot… Certains djihadistes pourraient être instrumentalisés par l’EI contre les intérêts occidentaux, du Maghreb à l’Asie centrale, mais surtout ici, en Europe. Il y a pire encore : si la Turquie s’implique dans le conflit et que son territoire est attaqué, tous les pays membres de l’Otan pourraient être entraînés dans une guerre contre l’Etat islamique, avec déploiement de troupes au sol, en vertu de l’article 5 du Traité de l’Atlantique-Nord. De nombreux musulmans d’Europe pourraient alors se sentir concernés par le  » djihad défensif  » contre  » l’agresseur occidental « , alors qu’ils ne sont aujourd’hui qu’une petite minorité à soutenir l’Etat islamique.

Comment peut-on soutenir l’EI quand on voit les horreurs qu’il commet ?

Il ne faut pas sous-estimer son appareil de propagande. Ses dirigeants ont entre 25 et 45 ans et maîtrisent tous les outils de communication comme Twitter et Facebook. Ils ont déjà réussi à amener des centaines de jeunes Européens en Syrie et en Irak. Si l’Otan devait entrer en action pour défendre la Turquie, il faudrait avoir une politique de communication très élaborée pour contrer sa propagande. On entrerait dans une nouvelle réalité, avec beaucoup de paramètres dangereux. Même si ce scénario n’est pas statistiquement le plus probable, il faut néanmoins s’y préparer.

Le procès de Sharia4Belgium qui se déroule actuellement à Anvers va-t-il freiner le recrutement de jeunes djihadistes ?

Un tel procès est important sur le plan répressif et symbolique. C’est aussi une sorte de message adressé aux candidats djihadistes. Mais la répression doit rester proportionnelle et ne pas exclure la prévention. Il faut opérer la distinction entre l’expression d’une opinion, fut-elle radicale, et ce qui constitue une incitation à la haine menant à un combat qui peut porter atteinte à la vie d’autrui. J’espère que les juges anversois sauront faire la différence entre les inculpés qui ont exprimé des opinions salafistes et ceux que la haine des non-croyants a conduit à combattre dans les rangs d’Al-Nosra ou de l’Etat islamique. Si la justice n’est pas raisonnable, elle pourrait faire d’eux des martyrs aux yeux de certains croyants.

Me Abderrahim Lahlali, avocat de la défense, met en cause la responsabilité des services de police et de renseignement. Ceux-ci étaient au courant des velléités guerrières de certains et les ont laissé faire…

Dans les années 2012 et 2013, on a laissé partir beaucoup de jeunes gravitant autour de Sharia4Belgium, à Anvers, et du Centre islamique belge de Bruxelles. Une bonne partie étaient des musulmans déjà radicalisés mais ils n’étaient pas, par définition, des terroristes. J’ai la forte impression qu’on les a laissé partir, du moins un certain nombre, pour avoir une meilleure vue sur le réseau et pour les tacler vraiment, c’est-à-dire réunir assez de preuves pour les faire condamner. Je comprends la rationalité des services de police et de renseignement, mais il faut se demander si, parfois, ils n’ont pas une conception étroite de l’intérêt général. Si on avait empêché ces jeunes de partir entre l’été 2012 et le printemps 2013, on aurait probablement moins de combattants belges en Syrie et moins de polarisation chez nous, entre les musulmans et les non-musulmans, entre les modérés et les autres.

A-t-on minimisé ce risque ?

A l’été 2012, quelques dizaines de Belges d’origine étrangère, entre 30 et 40, sont partis en Syrie. Il fallait les arrêter à ce moment-là, car, de là-bas, ils ont commencé à envoyer des messages, à inviter leurs frères et amis à les rejoindre, ce qui a eu l’effet d’entraînement que l’on sait. Aujourd’hui, ils sont environ 380 sur zone. On en paie le prix. Il est vrai que nous n’avions aucun accord avec la Turquie pour les empêcher de passer la frontière.

Pourquoi y a-t-il, dans le procès Sharia4Belgium, une majorité écrasante de Belges d’origine marocaine ?

Plusieurs facteurs contribuent à cette réalité. Pour être bref, les Marocains forment la communauté musulmane de loin la plus importante de Belgique. Au fil du temps, l’identité religieuse y a pris le pas sur les identités nationales, qu’elles soient belge ou marocaine. Aujourd’hui, l’islam pratiqué couramment est dominé par les dogmes salafistes de l’Arabie saoudite. En outre, la communauté marocaine de Belgique est majoritairement composée de Berbères qui, sans vouloir généraliser, sont plus conservateurs que les arabophones. C’est surtout eux que l’on retrouve dans les réseaux islamistes. L’islam radical leur a offert une identité de rechange qui correspondait bien à leurs normes patriarcales.

Quel effet ce procès peut-il avoir sur la communauté musulmane ?

Si les peines sont lourdes, elles pourraient être perçues comme injustes et susciter de nouvelles radicalisations. Ensuite, on ne sait pas comment va tourner la campagne d’Irak et de Syrie…

Etes-vous favorable au retrait de la nationalité pour les binationaux de fraîche date condamnés pour terrorisme ?

Même les Belges de naissance peuvent être binationaux et donc tomber sous le coup de cette mesure. Non, je suis contre… Ce serait le début de politiques répressives qui auraient un impact négatif sur le vivre ensemble. On ne choisit pas la famille dans laquelle on naît. Retirer la nationalité belge d’un Belgo-Marocain de la deuxième ou troisième génération mais ne pas le faire pour un Belge de souche converti qui a commis les mêmes atrocités en Syrie ou Irak, car la loi ne permet pas de créer des apatrides, serait discriminatoire. Ce n’est pas du tout la voie à suivre. Il faut faire attention à ne pas créer de double standard dans le dossier des jeunes djihadistes. La question de la binationalité peut être débattue dans le cadre général d’une discussion sur l’intégration, mais pas dans le cas des combattants syriens. Cela risque juste d’accréditer l’idée que les binationaux sont des citoyens de seconde zone.

Entretien : Marie-Cécile Royen

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