Nietzsche et la volonté de puissance
Pour occuper la place qu’on désire faut-il, comme le dit Nietzsche, être un surhomme ?
Gérard Urbain, GemappesPour Nietzsche (1844-1900), la métaphysique est l’expression d’un arrière-monde qui occulte la réalité : la vie telle qu’elle est. Cette métaphysique se présente comme une succession de représentations née de la frustration de nos désirs. Elle est décadence par refus de la vie réelle. La morale accompagne ce mouvement d’irréalité en tant qu’éloge de la faiblesse par rapport à la vie, c’est-à-dire » cela qui est contraint de se surmonter « . La modernité (avec la démocratie) est à ses yeux le comble de la décadence avec sa morale, son souci des faibles, sa révérence pour la rationalité et la loi. Elle étouffe le désir et son moteur : la volonté de puissance qu’il importe de relégitimer. Quant à la vérité, elle désigne les valeurs qui » (existent) d’un point de vue utilitaire dans l’intérêt de la conservation et de l’augmentation de la puissance « . Les sociétés trop faibles pour agir en ce sens refoulent le sentiment salvateur et s’enfoncent dans la mauvaise conscience. Quant à l’art, il s’apparente à la consolation ultime : » Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité « . En un mot comme en cent, la volonté de puissance veut arraisonner la métaphysique, la religion, la modernité, les Lumières. Elle seule peut instrumentaliser le chaos, non pour réaliser le Bien mais dans son intérêt uniquement.
Pareil effort ne prétend pas, par un effet d’accumulation, définir on ne sait quelle idée de progrès. Il est, au contraire, le seul prédicat permanent du chaos-monde. Il était, il est, il sera toujours identique à soi. Il ouvre la voie au retour éternel : cette immutabilité de la volonté de puissance dans l’absence de toute finalité qui rend inutiles la création, la téléologie et la divinité ( la mort de Dieu).
Le surhomme est l’homme affronté à ce réel-là. Il est celui qui a compris que la vérité commande d’assumer son destin en tant que volonté de puissance. Pour cela, il renonce aux valeurs décadentes (les nôtres) et valorise l’instinct, la créativité et la compétition. Face à la faiblesse, à la morale, à la démocratie, il opte pour une société aristocratique.
Si la critique nietzschéenne de certains aspects du faire-semblant de nos sociétés est juste, si sa critique de la métaphysique est solide, si sa présentation de la religion comme consolation-opium rejoint celle de Marx, ses solutions n’ont guère d’intérêt et peuvent se révéler dangereuses pour des esprits faibles ou pervers (voir les nazis).
Nietzsche, philosophe du non-politique, reste un petit-bourgeois génial et poète.
Jean Nousse
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