» Ni Ducarme, ni Moureaux « 

Député fédéral, bourgmestre d’Hensies, l’ancien président de la Fédération socialiste de Mons-Borinage fait partie de ceux qui voudraient voir le PS muscler son discours et ses politiques. Ses explications.

Le Vif/L’Express : Vous assumez l’existence d’un  » lobby sécuritaire  » au PS ?

Eric Thiébaut : Beaucoup de bourgmestres socialistes veulent qu’on réaffirme la nécessité d’une politique axée sur la sécurité, oui. On doit arrêter de penser que la sécurité est une matière spécifiquement de droite. On n’est pas de droite parce qu’on considère la sécurité comme une priorité. On doit l’intégrer nécessairement dans notre façon de travailler et à notre mode de pensée. De nombreux bourgmestres socialistes font de la sécurité leur priorité, contrairement à une image répandue selon laquelle les socialistes seraient des adversaires de ce type d’orientation politique.

Si cette image existe, c’est qu’il y a chez vous au moins deux approches…

On n’est pas dans un parti où tout le monde est obligé d’avoir exactement la même opinion sur toutes les matières. On a un socle de valeurs communes, et puis, c’est salutaire que sur certains dossiers on ait des approches différentes.

Willy Demeyer, le bourgmestre PS de Liège, qui réclame, à la suite du gouvernement fédéral, des militaires dans les rues, c’est montrer sa différence, ça ?

Il ne faut pas être caricatural. Dans une situation de crise, où la menace terroriste est importante, faire appel à l’armée pour protéger certains bâtiments stratégiques, ça ne me dérange pas. Maintenant, on ne veut surtout pas remplacer nos policiers par des militaires. La logique voudrait qu’on renforce la police pour remplir ces missions de sûreté. Or, le fédéral veut montrer qu’il mène une politique axée sur la sécurité du citoyen et, en même temps, il diminue les budgets de la police et de la justice…

Vous ne reprochez pas au gouvernement sa politique, mais le fait qu’il n’y mette pas des moyens suffisants…

Mais oui ! Sur le niveau idéologique, où on a des problèmes, c’est sur sa façon de gérer la sécurité. Sur les objectifs, tout le monde veut plus de sécurité. Sur les moyens d’y arriver, c’est autre chose : Jan Jambon (NDLR : le ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, N-VA) favorise l’augmentation des pouvoirs des sociétés de gardiennage. Nous, on veut plus de sécurité, donc plus de moyens pour les forces de l’ordre, et pas privatiser une partie de la sécurité. C’est là qu’on ne sera pas d’accord. Mais sur l’objectif d’assurer plus de sécurité, pourquoi ne serions-nous pas d’accord avec ça ?

La lutte contre le radicalisme, pour vous, est donc aussi une priorité…

Pour contrer le radicalisme, il faut y mettre tous les moyens possibles. Dans ma commune, il y a trois mosquées. Avec elles, j’ai un dialogue permanent. Je leur ai dit que l’islamophobie me faisait peur. Je ne veux pas la voir monter. Il faut un dialogue avec les musulmans, et il faut qu’ils soient responsabilisés. Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, j’ai senti le profond malaise. J’ai expliqué aux représentants de ma communauté musulmane que je ne voulais ni d’une montée de l’islamophobie dans ma commune, ni d’une radicalisation. C’est un contrat entre nous. Je vous aide, je vous défends, mais vous devez me signaler le moindre problème, dès qu’un jeune vous semble se radicaliser.

Vous êtes plus proche du libéral Denis Ducarme que du socialiste Philippe Moureaux…

Non. Je ne suis proche ni de l’un, ni de l’autre. Sur ces questions-là, en tout cas. Ce que je prône, c’est le dialogue permanent. Avec Moureaux, j’ai souvent entendu dire qu’il n’y avait aucun problème dans sa commune, et je pense que les faits démontrent que ce n’est pas vrai… Denis, avec qui je m’entends très bien, a une vision de la société très différente de la mienne, et une expérience de vie dans des milieux très différents aussi… Vous savez, c’est très préoccupant, cette radicalisation du monde musulman. C’est une priorité parce qu’il faut absolument rassurer la population, qui s’imagine qu’on est en train d’être envahis. Les chiffres démontrent que ce n’est absolument pas vrai. Il y a une perception du monde musulman qui n’est pas bonne, et une radicalisation qui est préoccupante. Des musulmans vivent chez nous depuis cinquante-soixante ans, et aujourd’hui, on nous demande de faire un cours de gymnastique ou de natation spécifique pour les filles musulmanes… Pourquoi nous demande-t-on ça maintenant, alors qu’on ne le demandait pas il y a vingt ans ?

Mais quel est le rapport avec la criminalité ?

Ça a un rapport avec la radicalisation. Ces revendications n’existaient pas avant. Quand on entend les gens dire que parmi les réfugiés qui arrivent, il y a des terroristes, il faut leur rappeler que les derniers attentats ont été commis par des gens nés en France. Les djihadistes qui partent en Syrie depuis deux ans sont pour partie des Belges convertis à l’islam. Le vrai problème, c’est ça, c’est la radicalisation, pas les musulmans. Pourquoi ces gens-là se radicalisent ? Qui les radicalise ? C’est qu’il y a des mouvements derrière. Pourquoi vois-je des jeunes garçons qui se laissent pousser la barbe, ce que je ne voyais pas avant ?

Cette ligne sécuritaire n’ouvre pas encore plus d’espace à la gauche du PS ?

Je n’entends pas le PTB sur la sécurité. C’est curieux, non ? Je les entends sur le socio-économique, mais sur la problématique de la crise des migrants, sur la sécurité, ils ne sont pas là. On ne doit pas avoir peur d’être attaqués sur notre gauche. Et puis, je n’ai pas l’impression, sur les thématiques socio-économiques, que le PTB est plus à gauche que moi.

Ni Ducarme, ni Moureaux, mais moitié Valls, moitié Mélenchon ?

Clairement. Sur les questions économiques, il faut être plus à gauche. Le MR nous dit souvent qu’il fait ici ce que le PS fait en France. Et ça me fait mal. J’ai du mal à m’identifier à des gens comme Macron… Tout le monde s’accorde à dire que les recettes employées pour sortir de la crise ne fonctionnent pas. On a essayé l’austérité pour relancer la croissance, ça ne fonctionne pas. Et on est même parfois plus libéraux que les Etats-Unis, qui dépensent des milliards de dollars pour sauver leur industrie. Les socialistes français vont se prendre une claque énorme. Se faire élire sur un programme socialiste et, une fois au pouvoir, prétexter des contraintes extérieures qui nous empêcheraient d’être socialistes ? Autant changer de parti !

C’est aussi valable pour le gouvernement papillon, ça…

Non, il avait une marque centriste, mais avec certains accents de gauche. C’est très injuste, le procès que certains syndicalistes font à Elio Di Rupo. Ils lui reprochent les concessions faites pour composer un gouvernement. Comme si on ne savait pas qu’on devait en faire… Si on ne les avait pas faites, on aurait quoi ? Un gouvernement comme celui d’aujourd’hui : le saut d’index, le recul de l’âge de la pension, la réduction du budget des soins de santé, les privatisations de Belgacom et de bpost… Aujourd’hui, sans nous, tout ça est sur la table sans problème. On ne reconnaît pas ce qu’on a empêché à ce moment-là et qui arrive maintenant.

Entretien : Nicolas De Decker

 » Tout le monde veut plus de sécurité. Sur les moyens d’y arriver, c’est autre chose  »

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