(1) Les @narchistes, Albin Michel, 328 p.
(2) Labor, Quartier Libre, 140 p.
(3) L’Evolution, la révolution et l’idéal anarchique, Labor, Quartier Libre, 154 p.
Dépassés les anarchistes ? Et si l’anarchisme, après avoir survécu à tant de luttes tragiques, de la Commune à la guerre d’Espagne, était au contraire, par sa pensée, plus vivant que jamais et préfigurait le combat de demain ? » demandait naguère Pierre Miquel (1). On se gardera de répondre à l’interpellation : les incertitudes de l’époque sont trop immenses et les idées qu’elle fait naître, trop volatiles. Mais, à relire certains textes, on se dit néanmoins que, par-delà leurs divergences, les fondateurs de cette doctrine politique – dont le trait distinctif est le rejet de toute forme de pouvoir s’imposant d’en haut à l’individu – abordaient des thèmes qui conservent une actualité. Mais aussi qu’ils furent parfois d’étonnants visionnaires.
Un exemple ? Dieu et l’Etat (2) publié par le Russe Bakounine (1814-1876). Le pamphlet heurtera certains fidèles. Pourtant, croyants ou non, nous devrions tous le méditer à l’heure où des » fous de Dieu » de toutes obédiences ambitionnent de mettre – ou de remettre – leurs catéchismes au milieu de la Cité… Dans cette profession de foi matérialiste, Bakounine, athée, libre-penseur, socialiste révolutionnaire proche de Marx et de Proudhon, pourfend l’idée platonicienne d’un monde réel gouverné par le divin dont il ne serait qu’un pâle reflet. Positiviste, il soutient que l’observation des choses et des faits est la seule base possible des connaissances humaines.
Bakounine regarde Dieu comme » l’origine de toutes les absurdités qui tourmentent le monde « . Dieu n’existe pas, dit-il, parce que son existence est incompatible avec cette spécificité de l’homme qu’est la liberté. Si Dieu est maître, explique-t-il, l’homme est esclave. Esclave de la divinité. Mais aussi – nous y voilà – de l’Eglise et de l’Etat qui, porté par elle sur les fonts baptismaux, n’en est que la » succursale temporelle « . Même issu du suffrage universel, même baptisé république, l’Etat, pour lui, n’est donc qu’un instrument d’oppression. Déclinant l’idée de la religion comme » opium du peuple « , il l’accuse de ne fonctionner qu’au profit d’une minorité d’exploiteurs. » Toutes les fois qu’un chef d’Etat parle de Dieu, écrit-il, soyez certains qu’il se prépare de nouveau à tondre son peuple troupeau » ! Bref : » De tous les despotismes, celui des doctrinaires ou des inspirés religieux est le pire. »
La charge, dirigée alors contre le » sombre cachot du catholicisme « , ne vaut-elle pas aujourd’hui encore pour tous les intégrismes qui tourmentent la planète. Y compris pour cet » évangile du marché » dont le productivisme sollicite la nature au-delà de ses limites ? Bakounine semble en tout cas l’avoir envisagé. » Notre planète (…) ne peut manquer de se détruire tôt ou tard par son propre développement « , prévient-il un siècle avant la découverte du changement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre. Rien d’étonnant dès lors à ce que nombre de verts considèrent un autre des principaux théoriciens de l’anarchisme, le célèbre géographe Elisée Reclus (3), comme le fondateur de l’écologie politique. l
de jean sloover