En dehors des sentiers battus, les disques de Hope Sandoval, Bertrand Betsch, Giant Sand et Morning Star méritent d’être écoutés
Les disques dont il est question ici ne s’offrent pas forcément d’emblée. Ils se logent dans un certain hermétisme et prennent plutôt une autre mesure du temps que les chansons habituellement programmées en radio. Bertrand Betsch et son B.B Sides se posent dans la lignée de Dominique A des débuts, dont on retrouve d’ailleurs un titre « agité et minimaliste » sur ce disque. La seconde livraison discographique de Betsch offre effectivement une série de murmures, de phrases toutes en confidence qui entourent l’auditeur et l’invitent à faire connaissance. La façon « confessionnal chantant » de Betsch peut rebuter mais, si l’on franchit ce cap, on trouve une tendresse certaine à Quand je reviendrai ou à cette version doucement bastringue d’un titre de Lou Barlow, Punch in the Nose. Qu’il reprenne un classique de Phil Spector de façon suave ou une chanson forcément lente de Leonard Cohen, Bertrand Betsch taille un univers où chaque détail compte, sans sonorité ni geste gratuits.
Ce « petit plaisir » est le cousin (éloigné) de celui que procure Hope Sandoval. Cette jeune Américaine de San Francisco s’est fait un nom au sein de Mazzy Star, dont elle reprend, avec son nouveau groupe baptisé The Warm Invention, l’essentiel des ingrédients: un chant extrêmement mélancolique posé sur des mélodies oniriques. Son disque The Bavarian Fruit Bread (Konkurrent) revisite nos rêves éveillés à coups de ballades country rock toujours un peu lymphatiques mais suffisamment lumineuses pour provoquer un véritable engouement. Il ne faut pas se tromper sur l’aspect indé de ce CD: si les radios avaient un peu de tenue, elles pourraient parfaitement passer ces histoires hypnotiques nourris des grands espaces de la culture nord-américaine. Aux instruments conventionnels (guitare, basse etc.), Hope Sandoval ajoute un harmonica plaintif, une trompette crépusculaire et un violoncelle qui vous accompagne comme un ami qui vous veut du bien. Un disque qui tient la promesse de ses langueurs.
Morning Star fait aussi partie de la grande famille des « ralentisseurs de rock »: le projet de l’Anglais Jesse D. Vernon sonne parfois comme des lettres musicales retrouvées dans les archives de Dylan, Woody Guthrie ou le Velvet Underground. Même si certains germes de sa musique rappellent qu’il est de Bristol et qu’il a travaillé avec des membres de Portishead. Sur My Place in the Dust, les arrangements pastoraux bénéficient d’instruments pas souvent usités – le violon – et de la présence de John Parish, producteur inspiré, récemment entendu sur les disques de PJ Harvey ou Sparklehorse. La qualité constante des chansons est indéniable et le disque s’écoute facilement. On doit encore citer le fantôme de Leonard Cohen qui traverse les manières de Morning Star, tout comme il existe dans l’ombre des deux autres CD cités plus haut et même dans celle de Giant Sand.
Cette formation est l’oeuvre de Howe Gelb, multi-instrumentiste d’Arizona qui, depuis deux décennies, additionne les projets au carrefour du rock, du folk et de la country music. Cover Magazine (V2 Records) présente ses propres compositions – à la fois charmantes et légèrement neurasthéniques – aux côtés de reprises de standards de la musique anglo-saxonne. Giant Sand offre pas moins de deux versions du tube de Sonny & Cher – The Beat Goes On – et un titre de Nick Cave tout en échardes et ressorts rythmiques. Ce qui, dans la plage suivante – King of the Road – ne l’empêche pas de retourner à son désert musical chéri, un cocktail jazzy-country de la plus élégante torpeur. On a souvent comparé Howe Gelb à Neil Young, mais l’Arizonien s’arrête là où le Canadien furibard commence à faire chauffer les amplis. Tout juste s’il veut bien reconnaître l’invention de l’électricité.
Howe Gelb est en concert le 6 février au Stuk, à Leuven. Tél.: 016-23 67 73
Philippe Cornet