Monna Lisa, la légende du siècle

Longtemps ignorée, La Joconde n’acquiert son statut de star mondiale qu’en 1911. A voir au Louvre dans son nouvel écrin

Chaque année, au Louvre, 6 millions de groupies jouent des coudes pour croiser son regard. Puis raflent, à la librairie, plus de 330 000 articles à son effigie û cartes postales, marque-pages, magnets ou calendriers. Aucune autre £uvre ne suscite un engouement comparable à celui que déclenche La Joconde. Savoir pourquoi ce tableau est devenu le plus célèbre au monde reste néanmoins aussi énigmatique que le sourire de la dame. Sa notoriété tient, bien sûr, au travail époustouflant de Léonard de Vinci, à ses effets d’ombre et de lumière, le fameux sfumato. Mais Monna Lisa n’a pas toujours été tant admirée. En effet, si elle porte beau ses cinq siècles, sa carrière d’idole est beaucoup plus récente.

C’est François Ier qui fit l’acquisition de la toile, en 1518. Louis XIV la fit venir à Versailles, mais ni Louis XV ni Louis XVI n’en firent grand cas. Et, quand elle entra au Louvre, en 1797, ce fut pour compléter un accrochage. Pendant longtemps, le musée la montra simplement parmi d’autres tableaux de la peinture italienne. Il faut alors attendre le xxe siècle pour que La Joconde devienne une vedette. L’événement qui, le premier, lui donne un statut de star est le vol rocambolesque du tableau, en 1911. L’affaire fait la Une des journaux. L’enquête policière, lancée tous azimuts, aboutit même à jeter Apollinaire en prison. La Joconde réapparaît deux ans plus tard, à Florence, lorsqu’un inconnu la propose à un antiquaire. Confondu, le voleur, un peintre en bâtiment d’origine italienne, prétend qu’il voulait la restituer à sa patrie. Le retour du tableau à Paris est triomphal. Ainsi naît la légende.

 » L’image a effacé le tableau  »

Les artistes eux-mêmes contribuent à la développer, s’emparant de La Joconde pour la tourner en dérision, au nom de la modernité. Duchamp, qui, en 1919, l’affuble d’une moustache et l’intitule L.H.O.O.Q., sera suivi de nombreux émules, comme Dali, Rauschenberg ou Warhol. Les historiens d’art prennent le relais, à coups d’hypothèses parfois farfelues, l’un d’eux affirmant que la belle dame est non pas Lisa del Giocondo, jeune épouse d’un marchand de soie florentin, mais un éphèbe travesti.

Plus sérieusement, Monna Lisa acquiert son statut universel grâce à ses deux voyages, très médiatisés. En 1962, elle part pour les Etats-Unis dans une cabine de première classe du paquebot France ; en 1974, elle prend l’avion pour le Japon et pour l’Union soviétique. A son retour à Paris, on l’enferme û pour la première fois, et définitivement û dans une vitrine. La curiosité s’en trouve décuplée.  » Le phénomène, lié au développement du tourisme culturel, s’est emballé, explique Cécile Scailliérez, conservateur en chef au département des peintures. Au point qu’on ne le maîtrise plus. L’image a effacé le tableau…  »

La Joconde est aujourd’hui une telle icône qu’on ne peut plus envisager de la faire voyager. C’est le seul tableau du Louvre qui, une fois par an, soit sorti de sa vitrine pour un examen approfondi sans quitter la salle où il est présenté. On n’ose même pas le toucher pour un simple toilettage.  » Si La Joconde était une toile ordinaire, on allégerait les vernis, témoigne Cécile Scailliérez. Mais c’est impossible. Son image serait modifiée. D’autant que, face à elle, le public n’a pas un comportement normal. Les flashs crépitent ; les gens se bousculent, crient. Résultat : l’émotion ne passe pas.  » L’emménagement de La Joconde dans la salle des Etats, dont la rénovation s’achève après quatre années de travaux, a donc suscité beaucoup de débats, car elle perturbe la vision des toiles environnantes. Cette fois, elle partage ses nouveaux appartements avec une cinquantaine d’£uvres vénitiennes du xvie siècle signées le Tintoret, Titien ou Véronèse. Mais, pour éviter les nuisances, on l’a installée dans un écrin blindé tout neuf, seule, au milieu d’un mur. Star un jour, star toujours.

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Annick Colonna-César