Le patron des patrons des puissantes classes moyennes flamandes, l’Unizo, juge les réformes engagées par la coalition suédoise encore trop timides. Et dénonce la manoeuvre syndicale de déstabilisation du gouvernement.
Le Vif/L’Express : Pleins feux sur le gouvernement fédéral Michel Ier. Les gens craignent pour leur portefeuille, la colère gronde, la rue s’échauffe. A tort ou à raison ?
Karel Van Eetvelt : Je comprends que l’inquiétude des gens cherche une voie pour s’exprimer. Que les syndicats informent, qu’ils organisent des manifestations, pas de problème. L’Unizo aussi a déjà organisé des actions pour défendre les intérêts des indépendants et des entrepreneurs. Mais ici, je ne comprends pas la manière.
Le but vous échappe ?
Il s’agit de manifestations politiques ou de mouvements de grève qui visent à faire chanter les entrepreneurs, afin qu’ils fassent, à leur tour, pression sur le gouvernement pour qu’il recule sur ses décisions. Cette fois, la CSC suit la FGTB dans cette manoeuvre de déstabilisation. Et ce ne sont pas les plus riches qui perdront dans ce genre d’escalade.
Contester des mesures qui feront mal, n’est-ce pas justifiable ?
Si, bien sûr. Mais attention : il faut un moment arrêter d’agiter le peuple. Quand je vois la différence entre la manière dont la N-VA menait l’opposition au gouvernement Di Rupo et la façon dont le PS et le CDH s’en prennent à la coalition suédoise : ici, quelle violence dans les propos ! Je dis : danger ! Gare à la fracture entre le nord et le sud du pays.
Nous y voilà ?
Oui, parce que l’agitation sociale est beaucoup plus forte au sud du pays. Il suffit de voir les grèves déclenchées dans les magasins Delhaize.
La Flandre serait-elle plus raisonnable ?
Au nord du pays, les gens sont aussi inquiets et mécontents. Mais ils sont conscients de la nécessité de faire un effort, qu’il faudra travailler un peu plus pour améliorer le bien-être. 30 % des électeurs flamands ont voté pour la N-VA et son programme qui était pourtant dénoncé comme asocial. Ces électeurs savaient donc ce qu’ils voulaient, et ils veulent effectivement s’en sortir.
A l’inverse des Wallons ?
J’ai l’impression qu’ils ne sont pas informés de la même manière. Nous vivons dans un beau pays, vraiment très social, très socialiste même. Mais il faut en sortir pour s’en rendre compte. J’espère que nous préserverons aussi ce modèle social pour nos enfants. Mais cela a un prix.
Exorbitant, aux yeux de certains…
Allons donc ! Les changements annoncés sont vraiment modérés. Les syndicats, relayés par certains médias, essaient de dramatiser les choses. Est-il nécessaire de prendre des mesures ? Oui, bien sûr. Il est d’ailleurs déjà trop tard, il aurait fallu commencer à bouger il y a déjà quinze ans.
Ce gouvernement n’en ferait-il pas assez ?
Il agit au maximum de ce qu’il peut faire, compte tenu des circonstances. Il tente d’ouvrir la voie à des réformes structurelles. Mais ce n’est effectivement pas assez.
Pas assez de relever l’âge légal de la retraite de 65 à 67 ans ?
Non, parce que les carrières restent trop courtes. En moyenne, les gens ne travaillent et ne cotisent à la Sécurité sociale que 32 ou 33 ans, mais ils atteignent une carrière fictive de 40 à 45 ans. Parce que les périodes assimilées, comme le crédit-temps ou la prépension, restent prises en compte pour calculer les pensions. Je suis surpris que le gouvernement n’ait pas prévu d’y toucher ou d’en discuter. Je ne demande pas que les gens gagnent moins, mais qu’ils travaillent un peu plus.
Est-ce un gouvernement de vraies réformes ou de réformettes sur lesquelles il finit peu à peu par reculer ?
L’accord de gouvernement contient beaucoup de points positifs. Le plus positif est qu’il essaie de créer plus de viabilité pour les entrepreneurs.
Logique, vous dira-t-on, puisque Michel Ier roule pour les patrons…
J’invite les gens à calculer le niveau de taxation imposé aux entrepreneurs : il est mortel. Tout comme je les invite à me citer en Europe et dans le monde trois pays où le système de protection sociale est comparable au nôtre. Et ce, même après le passage du gouvernement Michel Ier…
La conviction est pourtant là : les riches ne seront pas les premiers à trinquer…
Mais de quels riches parle-t-on en Belgique ? D’une poignée de Français venus s’installer chez nous, de quatre ou cinq CEO qui gagnent beaucoup. Lors d’une soirée-débat, il y a quelques années, j’ai demandé à l’assistance de me citer des riches : on m’a lancé le nom de Carlos Britto (NDLR : CEO d’InBev), qui est Brésilien et ne paie pas ses impôts ici. Puis, plus rien. A mon tour, j’en ai cité : Tom Boonen, Justine Henin, des vedettes de la chanson… Les entrepreneurs ne sont-ils pas aussi des êtres humains ? N’ont-ils pas aussi une famille, des enfants ? Eux aussi vont contribuer à l’effort demandé, proportionnellement à leurs revenus. La Belgique est un des pays où la différence entre riches et pauvres est la plus faible.
Faire payer la crise aux riches n’aurait donc aucun sens ?
J’ai proposé d’instaurer un impôt sur la fortune. Les techniciens m’ont répondu que cela ne rapporterait pas grand-chose. Je le sais très bien : mais au moins, c’est en instaurant un tel impôt que les gens s’en apercevraient.
Les tabous ont-ils la vie dure ? Pas de limitation dans le temps des allocations de chômage, pas de véritable réforme fiscale, pas de suppression de l’index.
La fiscalité reste toujours aussi complexe, et c’est regrettable. Dommage aussi qu’on ne limite pas dans le temps les allocations de chômage. Mais on ne peut pas tout obtenir… Quant à l’index, je n’aime pas ce mécanisme qui date des années 1960 et que nous sommes les seuls à conserver. Tout comme je n’aime pas le saut d’index : il a un effet négatif sur le marché intérieur mais il est la seule manière de réduire le coût salarial de 2 %.
Parler de gouvernement d’ultra-droite, c’est une foutaise de gauche ?
Comparez le programme de la coalition suédoise à la politique de Margaret Thatcher dans les années 1980, et vous verrez la différence ! Dois-je supposer qu’avant Michel Ier, c’était de l’ultra-gauche au pouvoir ?
Où est le fond du problème dans tout ça ?
C’est un problème de mentalité. Aux Etats-Unis, je me suis retrouvé en contact avec des fonctionnaires de l’administration du Travail. Il y avait là des femmes de 68 ans encore actives, qui avaient une mentalité de trentenaire. Innover est une nécessité. Chez les entrepreneurs, mais aussi chez les gens.
Faut-il en arriver à mettre les syndicats au pas ?
Je ne suis pas partisan de limiter le pouvoir des syndicats. Je ne voudrais pas qu’on le fasse pour l’Unizo non plus… Mais ils ont beaucoup de prérogatives. Ainsi, ne pas leur appliquer la personnalité juridique est pour moi inacceptable, antidémocratique. Personne ne comprend cela, à part les dirigeants syndicaux… La possibilité de les poursuivre et de les sanctionner aiderait à les responsabiliser.
Certains suggèrent de leur retirer le paiement des allocations de chômage, qui serait une source importante d’affiliations ?
Je trouve effectivement anormal que les mêmes organisations défendent les intérêts des travailleurs et versent les allocations de chômage. Mais soit, je suis un pragmatique. Les syndicats ont surtout beaucoup d’affiliés parce que les patrons paient les primes syndicales. Je peux accepter le maintien de ce système si cela peut préserver la paix sociale. Et si les syndicats prennent aussi leur responsabilités. Le » après nous, le déluge « , c’est non !
Entretien : Pierre Havaux