Le PS passe à l’acte 2 de sa campagne radicale contre » les dérives sociales du gouvernement MR/N-VA « . Au MR, on parle d’une » opération de déstabilisation de l’Etat « . Ecolo et PTB, eux, moquent la » filiation » entre les gouvernements Di Rupo et Michel.
La législature Michel Ier a débuté dans un climat délétère. Le 14 octobre, le grand chahut de l’opposition qui a accueilli la déclaration gouvernementale du Premier ministre après les affaires Jambon et Francken avait donné le ton et laissera des traces, humainement et politiquement : sous la suédoise, les échanges seront musclés, » hystériques » parfois. La campagne de communication Injuste.be, lancée ce 21 octobre par le PS pour dénoncer de façon caricaturale les coupes claires du gouvernement MR/N-VA et appeler à la mobilisation dans les rues, confirme combien cette législature risque d’être un champ de bataille. Au MR, on parle ni plus ni moins d’une » opération de déstabilisation de l’Etat » menée par les socialistes avec leurs » bras armés » syndicaux et mutuellistes. » Ceux qui espèrent une chute rapide de ce gouvernement se trompent, prévient toutefois Olivier Chastel, président intérimaire du MR. Cela nous conforte dans notre volonté d’obtenir des résultats. »
Voici la politique belge devenue un théâtre où les injures volent bas et où les animosités s’expriment. Une scène bipolaire où, du côté francophone, PS et MR se livrent à un bras de fer géant, sanglant, sous le regard de petits partis – Ecolo, CDH, FDF et PTB – qui ne se contenteront pas de compter les points.
» Une campagne mûrement réfléchie »
Tout a commencé en début de semaine par une paire de ciseaux jaune et bleu envoyée de façon anonyme avec ces mots : » Ils coupent dans votre portefeuille. La mobilisation se prépare ! » Le 21 octobre, le PS a dévoilé une campagne de communication inédite face à ce gouvernement Michel Ier qu’il se contente de nommer le » gouvernement MR/N-VA « , avec à la clé une série de vidéos appelées à circuler sur les réseaux sociaux. L’une d’elles représente une famille qui passe à table, un homme habillé en yuppie déboule et vole le morceau de tarte réservé aux enfants : » Ça, c’est pour le gouvernement MR/N-VA ! « . Une façon tranchée de dénoncer le saut d’index prévu par la suédoise en 2015. » Chaque travailleur perdra en moyenne 400 euros par an et 25 000 euros sur une carrière complète « , martèle Elio Di Rupo. » Un site apocalyptico-manichéen « , raille le philosophe François De Smet.
» C’est une campagne mûrement réfléchie, précise le directeur de communication d’Elio Di Rupo, Guillaume de Walque. Cette démarche inédite se justifie par les événements, cette accumulation de mesures profondément injustes décidées par le gouvernement MR/N-VA, le saut d’index mais aussi l’augmentation de l’âge légal de la pension, du coût des soins de santé surtout chez les spécialistes, ou une régularisation fiscale permanente. On tape sur les classes moyennes et sur les plus fragiles. »
C’est l’acte 2 de la mobilisation tous azimuts décidée par les socialistes. » Il faut reconnaître que la situation est extraordinaire ! justifie Laurette Onkelinx, cheffe de groupe à la Chambre, qui assume le ton véhément adopté en séance plénière. Il y a un vice à l’origine même de la constitution de cette majorité. C’est, du côté du MR, une coalition basée sur le désespoir de ne pas avoir été dans les gouvernements régionaux. C’est une rupture, oui, mais négative à plusieurs égards. Ce sont désormais les Flamands qui dirigent la Belgique, avec une minorité francophone. Du jamais-vu dans l’Histoire. Bart De Wever est le vrai architecte de cet accord. Quant aux ruptures de justice sociale, elles s’annoncent très graves ! Nous devons les dénoncer ! » Cela promet de nouvelles joutes verbales d’anthologie au Parlement. Qualifiée d’ » hystérique » après la rentrée parlementaire, Laurette Onkelinx s’indigne : » Quand un homme énonce les choses clairement, on dit qu’il est convaincu. Quand c’est une femme, on dit qu’elle est hystérique. C’est un relent de machisme dont je suis habituée en politique. »
Après les valeurs démocratiques, le portefeuille : l’indignation socialiste à son paroxysme. Le PS appelle d’ailleurs à participer à la manifestation nationale organisée par les syndicats le 6 novembre. L’Action commune – qui réunit le PS, la FGTB et Solidaris – semble à nouveau bien vivante, à l’échelon fédéral du moins. Sur le terrain, l’agitation sociale est déjà à l’oeuvre. Les cheminots ont débrayé à plusieurs reprises de façon sauvage pour dénoncer les approximations chiffrées de la ministre de la Mobilité, Jacqueline Galant (MR) au sujet des économies à réaliser à la SNCB. Mardi, des syndicalistes de la FGTB Namur ont dégradé la façade du MR à Bruxelles en la bariolant de peinture jaune et en l’affublant d’un slogan : » Stop au bain de sang social ! » » Une mise en bouche « , selon la FGTB. De l’agit-prop digne de l’extrême gauche…
Un mail de la CGSP destiné à des fonctionnaires et intercepté par le MR confirme que » c’est la guerre » : » Voilà, la guerre commence… Premier combat, la manifestation du 6 novembre 2014… Dépôt de grève fédéral déposé à partir du 6 novembre 2014 et pour une durée indéterminée donc toutes les actions seront couvertes en grève… Au combat, camarades… »
» Des méthodes d’extrême droite »
Olivier Chastel dénonce les actes de vandalisme à Bruxelles. » Il n’y a pas de volonté de dialogue par de tels actes « , dit-il. Plus fondamentalement, au MR, on ne trouve pas de mots assez durs pour qualifier » l’hystérie collective » initiée par le PS. » On sent bien que les socialistes tentent de mener une opération de déstabilisation totale de l’Etat avec leurs bras armés, la FGTB et les Mutualités, s’indigne-t-on. Pour rappel, ces organismes sont payés par de l’argent public… Le PS agit comme si l’Etat lui appartenait, alors qu’il ne représente que 30 % de l’électorat francophone. Laurette Onkelinx, ce n’est pas tellement la déclaration gouvernementale qui la choque, c’est le fait de ne plus être au pouvoir… Tout cela risque de créer un climat de haine dans le pays. »
» Je savais que l’entrée en piste de ce gouvernement serait tendue, surenchérit Denis Ducarme, chef de groupe MR à la Chambre. C’est normal que l’opposition soit dure dans un tel schéma politique inédit. Mais là, cela va trop loin ! C’est plus grave que l’hystérie, car c’est une stratégie réfléchie. J’ose la comparaison : le PS utilise de vieilles recettes de l’extrême droite en déployant la stratégie de la peur de l’autre, du gouvernement dans lequel il n’est pas, pour mobiliser les gens. C’est très inquiétant, d’autant que le vocabulaire est de plus en plus musclé. Ils veulent la guerre civile ou quoi ? »
Au MR, on reconnaît avoir été embarrassé par les débuts difficiles de Jacqueline Galant. » C’est sûr que cela n’a pas aidé… » On prend acte, aussi, de la défection de Philippe Kerbush, chef de groupe au conseil communal de Sambreville, qui a justifié son départ par la difficulté d’assumer la collaboration avec la N-VA et le programme trop à droite. » Un acte isolé, précise-t-on au parti. Nous n’excluons pas l’une ou l’autre défection au niveau local, suite à des pressions, mais nous recevons aussi beaucoup de preuves de soutien. » Mais au-delà, pas question de céder à ce que les libéraux considèrent être de » l’intimidation « .
» Le PS essaie visiblement de faire tomber rapidement le gouvernement avec cette campagne ultra-agressive, prolonge-t-on chez les réformateurs. Il se trompe. Cela renforce au contraire la cohésion au sein de la majorité. Nous ne changerons pas le cap d’un iota ! Même si nous savons que nous n’avons pas choisi le chemin le plus facile, nous prendrons les responsabilités politiques que les socialistes se refusent à prendre. Leurs excès peuvent même renforcer le caractère courageux de Charles Michel. Le PS essaie sans doute aussi de cacher les mesures populaires prises en Wallonie et à Bruxelles. Il se trompe, enfin, car il ne parle plus à la Flandre. Il faudra longtemps avant que l’on ne revoie une association de la gauche flamande avec la gauche wallonne… » La N-VA, elle, a déjà saisi la balle au bond : elle promet des mesures pour lutter contre les grèves sauvages.
A peine élu président intérimaire, Olivier Chastel a promis qu’il reprendrait contact avec ses homologues présidents. Avec le PS, il y aura du travail. Comme avec le CDH, d’ailleurs : le chef de groupe MR Denis Ducarme et le président humaniste Benoît Lutgen ont échangé des amabilités après que ce dernier l’a qualifié de » collabo » au Parlement – en évoquant la collaboration avec la N-VA. Catherine Fonck, cheffe de groupe CDH, avoue quant à elle » un profond malaise » suite aux premiers pas de Michel Ier. » Au fur et à mesure des événements, j’ai compris que le Premier ministre était tombé dans un terrible piège, jusqu’à renoncer à des valeurs fondamentales, lâche-t-elle. Je suis très inquiète : jusqu’où le MR sera-t-il prêt à aller pour sauver ce gouvernement ? » Le FDF n’est pas en reste : » Charles Michel a sous-estimé le caractère symbolique des incidents avec la N-VA, argue son président, Olivier Maingain. Le résultat, c’est que ce gouvernement sera en permanence sur le qui-vive. »
» Une filiation avec Di Rupo »
L’agressivité du PS a toutefois le don d’irriter… jusque sur les bancs des autres partis d’opposition francophones, qui ont leur agenda. » Ce serait une erreur de structurer la législature sur le mode d’un bloc contre l’autre, souligne Jean-Marc Nollet, chef de groupe Ecolo à la Chambre. Telle n’est pas notre intention, ni sur le plan stratégique, ni sur le fond. » Il décline déjà : » Nous privilégierons notre travail au Parlement avec Groen pour contrôler le gouvernement, en venant avec des propositions constructives, contrairement au PS qui adopte une attitude purement destructrice. Laurette Onkelinx a conclu sa prise de parole au Parlement en disant qu’elle mènerait une opposition de résistance. Nous privilégierons une opposition de l’alternative. »
Le PS, ajoute-t-il, aura bien de la peine à convaincre de la sincérité de son propos car… bon nombre de politiques du gouvernement Michel Ier découlent directement d’options prises par l’équipe Di Rupo. » Cela va plus loin, c’est plus dur, mais les portes avaient déjà été ouvertes par le gouvernement précédent. Il y a une filiation sur le plan socio-économique que nous allons démontrer. »
Au PTB, à l’extrême gauche, on boit du petit lait. » Le fait que nous soyons présents au Parlement joue beaucoup sur le ton adopté par le PS, s’amuse son président Raoul Hedebouw. Personne n’est dupe sur la raison pour laquelle il est aussi dur. Mais on le sent gêné aux entournures en raison de son manque de consistance dans l’Histoire récente et par la politique qu’il pratique dans les entités fédérées. » Le PTB mènera lui aussi une campagne de fond contre le budget fédéral du gouvernement Michel Ier. Slogan : » Le budget fédéral, c’est Cap 48 pour les riches. » Il y dénonce notamment l’absence totale de taxation sur le capital. Un objectif : démontrer que l’original radical vaut mieux que la copie socialiste…
» Pour le moment, il faut bien dire que le PTB est moins outrancier que le PS « , persifle-t-on au MR. Où l’on a parfaitement compris, quand il le faut, l’art de diviser pour régner…
Par Olivier Mouton