Mestdagh : le petit poucet a grandi

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Un an après avoir repris seize supermarchés à Carrefour, le distributeur carolo est rassuré : les magasins jadis jugés non rentables seront à l’équilibre dès 2012. La sauce Mestdagh a pris…

Rien ne ressemble autant à une botte de poireaux qu’une autre botte de poireaux : l’une et l’autre se fichent comme de leur première radicelle de l’enseigne qui les vend. Mais pas Eric et John Mestdagh, les patrons du groupe de distribution éponyme. Depuis un an, le parc de leurs supermarchés a singulièrement pris du galon avec la reprise, dans le cadre d’un sévère plan de restructuration du groupe Carrefour, de 16 sites. Le chiffre d’affaires de Mestdagh (525 millions d’euros en 2009) devrait, du coup, gagner 40 %, tandis que les effectifs sont passés, entretemps, de 1 850 à près de 3 000 personnes. Un solide morceau à digérer d’un coup pour un groupe qui, jusqu’à présent, avait plutôt progressé par petites touches.

Parmi les 16 magasins transférés d’une enseigne à l’autre, 11 étaient jugés non rentables par la direction de Carrefour. Qu’en est-il un an plus tard ? Le chiffre d’affaires des 16 magasins transfuges est aujourd’hui comparable à celui d’il y a un an, avant leur reprise. Ce qui relève de l’exploit. Les patrons de Mestdagh, qui comptaient initialement reprendre ces supermarchés en juin 2010, avec un chiffre d’affaires dégradé de  » seulement  » 5 à 8 % en raison des circonstances, n’en ont effectivement pris les rênes qu’au 1er octobre, avec un chiffre d’affaires en recul de 15 %.  » Notre objectif initial était d’afficher, fin 2011, un résultat supérieur de 3 % au niveau historique de ces sites lorsqu’ils étaient encore attachés à Carrefour, précise John Mestdagh, directeur commercial du groupe. Mais nous n’y serons pas.  » La longueur des négociations autour du scénario de reprise, le départ de nombreux travailleurs de Carrefour avant le 1er octobre et la fermeture de rayons entiers dans les magasins, faute de personnel, ont trop largement grignoté le chiffre d’affaires pour y parvenir.  » Le retour à l’équilibre de ces sites est prévu pour l’an prochain, précise John Mestdagh, et le seuil de rentabilité que nous visons (soit un résultat opérationnel avant amortissement et dépréciation de 4 %), en 2013 ou 2014. « 

Dans le Carrefour Market de Schaerbeek, désormais membre de la famille Mestdagh, la couleur des murs n’a pas changé, pas plus que l’éclairage ou la disposition des rayons. Le chiffre d’affaires de ce site de 2 500 m2, pour 7 000 références de produits, vient pourtant de renouer avec les résultats du supermarché lorsqu’il dépendait encore du groupe Carrefour, en septembre dernier. Soit une progression de quelque 20 %.  » Avec l’incertitude liée à l’éventuelle reprise des magasins et les grèves qui ont accompagné les longues négociations entre Carrefour et Mestdagh, le nombre de passages aux caisses était tombé l’an dernier d’environ 12 500 à 10 500 par semaine, précise Frédéric Herregods, directeur du magasin. Aujourd’hui, nous avons retrouvé le niveau de clientèle d’origine et nous ne sommes plus en perte. « 

La recette ? Remplir les rayons, d’abord, la base du commerce.  » Quand je suis arrivé ici, les étagères étaient clairsemées « , raconte le directeur, qui dirigeait auparavant l’implantation Champion à Nivelles. Rendre les rayons attrayants, ensuite. Depuis un an, les rayons  » frais  » qui font la réputation du distributeur carolo, à savoir la boulangerie, la boucherie et les fruits et légumes ont également été renforcés : des tables de vente pour les fruits et légumes ont été installées, tandis qu’à la boucherie, désormais livrée en viandes Mestdagh, on pratique la découpe traditionnelle.  » Les rayons frais sont les moteurs de la reprise des magasins, insiste Frédéric Herregods, et l’explication de leur rentabilité retrouvée.  » Il est vrai que la marge bénéficiaire du seul rayon boulangerie atteint 38 %, pour 21 % en légumes.

Les aménagements plus importants du magasin (remodeling) sont, eux, prévus pour l’an prochain : selon l’estimation de la direction de Mestdagh, de 400 000 à 1 million d’euros devront être investis dans chaque site pour l’élever aux normes du groupe familial.

Voilà pour le plus visible. En attendant ces nouveaux agencements, une grande partie du travail a consisté, pour les directeurs des 16 magasins transférés, à faire tourner des équipes hybrides. A Schaerbeek, le personnel se composait, il y a un an, d’une cinquantaine de collaborateurs, dont trois quarts étaient des intérimaires.  » Il a fallu assurer leur formation et responsabiliser chaque membre du personnel, notamment en déterminant une répartition des tâches très précise « , précise Frédéric Herregods. Des réunions hebdomadaires avec les quatre managers du site ont également été mises en place. Elles permettent d’analyser les résultats des ventes au plus serré et de corriger le tir, si nécessaire, notamment par des actions de promotion ciblées.

Un certain effet de surprise

Parmi les quelque 700 personnes nécessaires pour faire tourner les 16 supermarchés, 350 sont des anciens collaborateurs venus de Carrefour et 350, de nouveaux travailleurs.  » Le personnel commence à se stabiliser maintenant, constate Evelyne Zabus, secrétaire permanente de la CNE Namur-Luxembourg et coordinatrice nationale du groupe Sixteen, créé pour abriter les 16 sites. Mais au départ, cela a été difficile, notamment dans les magasins où les anciens de Carrefour étaient peu nombreux.  » Pour appliquer la recette Mestdagh au plus vite aux supermarchés repris, la direction du groupe carolo en a systématiquement confié les rênes à des directeurs responsables jusqu’alors d’enseignes Champion. Depuis avril 2011, le cadre du personnel est rempli à environ 90 % par des travailleurs engagés à contrat à durée déterminée ou indéterminée.

Ceux-ci sont un peu plus nombreux que prévu, car le volume de personnel initialement calculé par Mestdagh afin de faire fonctionner ses nouveaux magasins s’est rapidement révélé insuffisant pour assurer la logistique, toujours garantie par le groupe Carrefour pour l’instant : l’organisation de la livraison et de la réception des marchandises, ainsi que le système informatique imposés par la multinationale ont imposé au distributeur carolo de recourir à plus de bras que prévu.

En termes d’intégration des anciens, la sauce Mestdagh semble également prendre : sur les 350 ex-collaborateurs de Carrefour passés sous l’enseigne de leur concurrent, moins d’une dizaine ont choisi de déserter le groupe après l’avoir  » essayé  » pendant quelques semaines.  » Les travailleurs sont, pour l’essentiel, contents de travailler dans une société non cotée en Bourse, notamment ceux qui ont été dégoûtés par le fonctionnement d’une multinationale comme Carrefour, affirme Evelyne Zabus. L’ambiance entre travailleurs est plutôt bonne, mais la charge de travail est plus élevée.  » Logique : alors que 800 personnes travaillaient dans les 16 supermarchés à l’enseigne Carrefour, elles sont aujourd’hui entre 720 et 750.

Pour l’instant, certains de ces collaborateurs – les plus anciens – profitent toujours des conditions salariales que leur offrait Carrefour mais d’ici à 2013, tous devraient être rémunérés en fonction des barèmes en vigueur chez Mestdagh. Avec une perte mensuelle maximale de salaire de quelque 100 euros.  » Dans la mesure du possible, nous proposons à ceux qui le souhaitent soit de travailler quelques heures de plus, soit de profiter d’une promotion interne, de manière à combler ce manque à gagner « , explique Baudouin Defrance, directeur des ressources humaines chez Mestdagh.

Le dialogue avec les syndicats semble en tous cas d’une tout autre nature chez Mestdagh que chez Carrefour.  » Nous avons affaire à un interlocuteur qui est à l’écoute et les contacts que nous avons avec lui sont positifs « , confirme Maxime Passerini, coordinateur, au sein du groupe Sixteen, pour le Setca. La direction est plus proche des points de vente et veille à trouver des solutions, pour tout problème soulevé, qui soient acceptables pour tous.

Jusqu’aux élections sociales de 2012, l’équilibre syndical qui prévalait chez Carrefour (majorité en faveur du Setca) sera maintenu. Ensuite, les cartes seront rebattues. Et la structure des lieux de dialogue paritaire sera allégée : le nombre de comités de prévention et de protection au travail passera ainsi de 9 à 3.

En attendant, le groupe Mestdagh s’attelle à construire une culture d’entreprise commune pour le personnel de ses 69 magasins Champion et de ses 16 Carrefour Market, appelés à poursuivre leur route ensemble sous une enseigne qu’ils partageront, à partir de 2013.  » Notre objectif est que cette culture commune reprenne le meilleur des deux enseignes, mais sur le socle des valeurs l’entreprise Mestdagh, précise Baudouin Defrance. Autrement dit, le Mestdagh d’aujourd’hui ne sera pas celui d’hier.  » Cette nouvelle culture sera le fruit d’un climat de confiance à construire, entre autres par le biais de la communication interne.  » C’est surtout un vrai projet de pérennisation des magasins qui mobilisera les équipes « , souligne le directeur des ressources humaines.

D’ici là, la direction de Mestdagh continue à peaufiner, avec les organisations syndicales, les différentes mesures à mettre en place pour unifier à terme le statut de ses divers collaborateurs. Avec quelques étonnements.  » Avant de décider de reprendre les 16 magasins, nous avions bien analysé la situation et nous n’avons pas été confrontés à de mauvaises surprises catastrophiques, assure Baudouin Defrance. En revanche, nous rencontrons, au jour le jour, des situations que nous n’avions pas prévues, notamment l’investissement en temps, très important, à consentir pour établir un dialogue social. Ce n’est pas facile, cela exige beaucoup de travail, mais le défi est beau. « 

Les organisations syndicales, elles, considèrent que le groupe Mestdagh ne disposait pas, au départ, des ressources en interne suffisantes pour relever ce défi. Notamment en gestion des ressources humaines.  » Je ne pense pas que le groupe Mestdagh ait vu trop grand, analyse Evelyne Zabus. Mais il n’était pas assez préparé pour reprendre les 16 magasins. Ses patrons n’ont pas réalisé l’ampleur et la complexité de la reprise. Ils ont, par exemple, découvert après-coup une série d’avantages spécifiques dont bénéficiait le personnel de Carrefour. On a dit à l’administrateur délégué, Eric Mestdagh, qu’on lui laissait le temps pour organiser les choses, mais ce délai a dû être rallongé plusieurs fois, ce qui met clairement en évidence un manque d’efficacité.  » Entre la prise de certaines décisions par Eric Mestdagh et leur application dans les points de vente, les organisations syndicales ont parfois dû patienter…

Pour autant, estime Maxime Passerini,  » cette reprise n’était pas suicidaire. On a affaire à de vrais commerçants « .

LAURENCE VAN RUYMBEKE

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