Oui, il reste encore des choses à dire sur les Beatles. La preuve via une nouvelle compilation d’entretiens réalisés avec Paul McCartney par le journaliste britannique Paul Du Noyer. Les bonnes histoires de l’oncle Paulo…
Cela reste l’un des moments musicaux les plus » étranges » de 2015. En janvier, alors que les esprits sortaient à peine des brumes du réveillon, Kanye West livrait un nouveau titre, FourFiveSeconds. Aux côtés du rappeur-superstar à l’ego surdimensionné, deux invités : non seulement la teenage idol Rihanna, mais aussi, passant presque inaperçu à la guitare… Paul McCartney. » Paul qui ? « , se demanda une partie de la twittosphère. Ce qui fut pris par certains comme une (nouvelle) preuve d’ignorance des millennials n’était évidemment qu’un trait d’humour – à l’image de ce commentaire lu sur YouTube : » C’est super que des artistes comme Kanye et Rihanna continuent à mettre la lumière sur des inconnus… » #Lol #MDR.
Car, en réalité, bien entendu, tout le monde connaît Sir McCartney. On ne marque pas la culture populaire comme il l’a fait avec les Beatles au siècle dernier sans contaminer le suivant. Des Fab Four, on ne sort à vrai dire jamais complètement. Près de cinquante ans après la sortie de son dernier album, le groupe qui a tout inventé continue de fasciner. Tout a été dit sur le sujet ? Il ne se passe pourtant pas un an sans que ne sortent inédits, rééditions et autres ouvrages en tous genres. En novembre prochain, Universal ressortira par exemple la compilation 1, augmentée des vidéos tournées à l’époque, dont une bonne vingtaine jamais diffusées.
C’est également ces jours-ci que sort un nouveau livre consacré à Paul McCartney. Publié aux éditions Baker Street, Des mots qui vont très bien ensemble est un recueil d’entretiens entre l’ex-Beatle et le critique rock britannique Paul Du Noyer. Il ne s’agit donc pas d’une énième bio au sens strict, mais d’un ensemble de » conversations « , étalées sur plus de trente ans, compilées et » remixées » selon les propres dires de l’auteur. A force, les deux hommes ont appris à se connaître – Du Noyer a même travaillé directement pour McCartney, rédigeant des notes de pochettes d’album, des communiqués, etc. Sans doute ne percera-t-on donc pas ici la carapace de celui qui est souvent présenté comme le plus lisse des Beatles. Dans le célèbre binôme Lennon-McCartney, les rôles ont en effet toujours été bien distribués : la morgue et l’arrogance pour le premier, la bienveillance et la diplomatie pour le second. La vérité est évidemment plus nuancée, mais, jusqu’à sa forme même – une succession de discussions détendues, jamais avares d’une digression -, le livre de Du Noyer confirme l’image d’un McCartney affable, chaleureux, pas prise de tête. Partisan de la ligne claire, McCartney a frôlé parfois dangereusement la mièvrerie, ont pu accuser certains critiques. Du Noyer n’évite pas le débat. Mais préfère surtout l’élargir, en revenant sur une carrière solo, balayée un peu trop souvent d’un revers de la main (ressortent d’ailleurs ces jours-ci Tug Of War et Pipes of Peace, ses deux premiers albums post-Beatles, post-Wings et surtout post-assassinat de Lennon).
De ce nouvel ouvrage, Le Vif/L’Express vous propose quelques bonnes feuilles. L’occasion de jeter un nouveau regard sur l’une des personnalités les plus emblématiques de la musique populaire, musicien essentiel dont la vie a été plus documentée qu’il ne peut lui-même s’en souvenir. Une légende vivante, ni plus ni moins, mais qui fait toujours mine de refuser ce statut. Question de santé mentale, on imagine…
[EXTRAITS] La première basse
A Hambourg, on était tout le temps fourrés dans un magasin de guitares, et il y avait cette basse (la Höfner Violin) qui ne coûtait pas trop cher. Je ne pouvais pas me payer une Fender. Même à l’époque, les Fender devaient coûter dans les cent livres. Je ne pouvais pas y mettre plus de trente livres.
Ça fait drôle quand les gens me font passer pour un radin : » Ah ouais, c’est typique, ça. » Mais ce n’était pas du radinisme, c’était la peur de manquer. Avec mon père, on tirait toujours le diable par la queue. Alors, pour une trentaine de livres, j’ai trouvé cette basse. Et pour moi, qui étais gaucher, j’avais l’air moins stupide, parce qu’elle était symétrique. Elle faisait moins moche que les guitares à pan coupé dans le mauvais sens.
Je suis donc parti là-dessus. C’est devenu ma basse principale. J’en ai eu quelques-unes au fil des années. En ce moment (en 1989), je prends l’une des basses de la dernière tournée des Beatles, avant d’avoir la Rickenbacker. Bien qu’elle soit petite, pas chère et bon enfant, elle avait un son étonnamment profond, et je suis toujours ravi de jouer dessus, ce qui m’arrive encore régulièrement.
En plus, elle est très légère, c’est ce qui fait sa réputation. Prenez n’importe quelle basse, ces temps-ci, comme ma Wal 5 cordes, vous avez l’impression de soulever une chaise. Alors que cette petite Höfner, vous la grattez, c’est comme si elle n’était pas là. Alors vous pouvez vous promener avec, vous déplacer, et de fait, ça modifie votre jeu. On a un jeu beaucoup plus rapide, plus aisé. J’ai vu récemment le concert sur le toit pour Let It Be, et j’ai remarqué à quel point ça paraissait léger de jouer sur cette basse. Je m’y étais tout de suite fait.
C’est donc là-bas que je l’ai achetée, à Hambourg. Et je suis parti sur le chemin de la gloire.
Rendez-vous avec Bob Dylan
Je me rappelle avoir rencontré Dylan, qui était descendu à l’hôtel Mayfair. Il était dans la chambre du fond, et dans la pièce voisine, il y avait moi, Brian Jones, Keith Richards et quelques autres. Je suis entré au bout d’une heure à peu près. Chacun son tour d’aller le voir, comme pour lui rendre hommage.
On faisait souvent ce genre de choses. J’ai rendu visite au philosophe Bertrand Russell. Il n’y avait qu’à demander, » Je peux passer vous voir ? Ça m’intéresse. » » Mais certainement ! » Il habitait à Chelsea, dans la Première Rue. Je connaissais son assistant, un Américain. On parlait du Viêt Nam. Cool, j’étais vachement content.
Donc, Dylan. Je suis entré et je lui ai joué quelques passages de l’album Sgt. Pepper. Il a dit : » Oh, j’ai pigé, vous ne voulez plus être mignons. » Et ça résumait plus ou moins le truc. La période mignonne était terminée. On avait été des artistes avec un côté charmeur, parce que c’était ce qu’on attendait de nous. En réalité, on aurait préféré ne pas la jouer comme ça. Mais ça aurait été un virage radical de dire à l’émission Top Of The Pops, » non, on va mettre des fringues de durs. On va casser la baraque. » On ne voulait pas faire ça tout de suite.
Ça commençait à être de l’art, voilà ce qui était en train d’arriver. Dylan apportait de la poésie dans les paroles, et on trouvait John en train de faire » You’ve Got To Hide Your Love Away » – » Hé ! » Une impression très Dylan. On était très influencés par lui, et il était très influencé par nous. Il avait entendu » I Want To Hold Your Hand » parce qu’il était classé numéro 1 aux Etats-Unis. A un moment donné, ça fait » I can’t hide, I can’t hide, I can’t hide » et il avait cru entendre » I get high, I get high » (« je plane, je plane »). Il m’a dit : » Ça me plaît, ça, mec. » Il était à fond dedans. J’ai dû lui dire qu’en fait, c’est : » Je ne peux pas me cacher. »
Entre nous, c’était comme une pollinisation croisée. Il faisait un morceau long, alors on savait qu’on pouvait se permettre » Hey Jude » en version longue. » Qu’est-ce que tu racontes, mec ? « Like A Rolling Stone » dure plus de six minutes. Pourquoi on ne ferait pas sept minutes ? » On commençait à repousser les frontières, à mettre en cause les valeurs établies.
Le tableau changeait. Ce n’était plus » On va au pub prendre un scotch, » ça devenait » On ne va pas au pub, on reste à la maison et peut-être qu’on dîne avec des amis, on boira du vin. » Une scène plus douce, civilisée. Du show-biz on passait à l’art et ça devenait très excitant. On fréquentait des galeristes, des gens comme ça. C’était pour moi une super période, très excitante.
Au bord de la rupture
Voilà à quoi on en était arrivé : des jeunes mâles qui se rentraient dedans. Et George, un jour (le 10 janvier 1969), n’était pas revenu après déjeuner alors qu’on avait prévu une réunion. Ça a donné : » Et merde ! Qu’est-ce qu’on a fait ? » » Eh bien, il s’est vraiment senti agressé, mon vieux, tu as dépassé les bornes, de lui donner des ordres comme ça. Il est tout aussi important que toi. » C’est vrai, j’imagine que j’avais besoin qu’on me le rappelle.
On a eu une réunion chez John. Et John, très pragmatique : » Eh bien, on va faire venir Eric Clapton ? » » Euh, je ne suis pas sûr, mec. Nous, ce n’est pas pareil, on est les Beatles, tu sais ? » Je me suis dit : » Non, je suis allé trop loin. Il faut que je fasse des excuses à George. » Et c’est ce que j’ai fait.
C’était une période intense. Le début de la rupture. Après ça, c’est devenu vraiment délicat, parce qu’on voulait tous avoir le dernier mot. Alors que dans le passé, John et moi, on écrivait la plupart des choses, on pouvait demander à George d’écrire une chanson et en écrire une pour Ringo. C’était la formule, parce qu’on pensait que Lennon et McCartney étaient les meilleurs auteurs-compositeurs, et personne n’avait jamais vraiment remis ça en question. Mais évidemment, au bout d’un moment, je pense que ça leur a tapé sur les nerfs : » Qui a dit que vous étiez les meilleurs auteurs ? » On ne pouvait pas répliquer : » Eh bien, c’est vrai, les gars. Il se trouve qu’on est les meilleurs. » On ne pouvait pas dire ça.
Vers la fin des Beatles, l’une des raisons pour lesquelles on a rompu, c’est qu’on s’était organisés pour que ce soit » quatre chansons de Paul, quatre chansons de John, quatre de George, quatre de Ringo. » Ça n’allait pas marcher, on le voyait bien. C’était déséquilibré. Ça devenait presque trop démocratique pour marcher, vous voyez ce que je veux dire ?
Tout recommencer à zéro
Je savais que ce serait difficile. Il y avait le problème » Que faire après les Beatles ? » Dès que j’ai essayé, j’ai su que ce ne serait pas facile. On se trouve au milieu du hit-parade parmi tous ces autres groupes au lieu d’être les numéros 1 incontestés. Mais j’avais toujours su que ça arriverait. Ce n’était pas comme si j’avais été pris de court. Je ne me suis jamais dit : » Oh, mon Dieu ! Nous ne sommes plus en tête des hit-parades ! » Je savais en montant le groupe à partir de zéro que nous devrions nous bagarrer pour gravir les échelons.
Tous ceux qui, comme Led Zeppelin ou Bowie, s’étaient lancés dans les années 60 et connaissaient maintenant le succès avaient évidemment priorité. Il fallait comprendre ça si vous vouliez survivre dans cette jungle : il y avait des gens plus grands que vous. Et c’était bien, parce que ça nous donnait un point de référence. Nous nous disions qu’un jour, nous serions aussi grands qu’eux. Ça faisait bizarre de tout recommencer. Mais ce n’était pas si terrible. Ça vous dégrise. Ce n’est pas mal d’être jeté à bas de son piédestal, de remettre les pieds sur terre. Il y avait beaucoup de ça avec Wings. Non seulement je devais faire des choses avec le groupe, mais je faisais aussi des tas de choses personnelles de mon côté. On vivait en Ecosse, je tondais la pelouse avec mon motoculteur.
Chacun de son côté
Il y a beaucoup d’énergie contenue dans Ram. Vous n’étiez plus avec les Beatles, à ce moment-là. Vous sentiez-vous en compétition avec eux ?
Oui, on était tous en compétition, essayant d’éviter les dates de sorties les uns des autres, comme on évitait les dates de lancement des Stones quand on était encore les Beatles. Quand John ou George sortait un album, je me renseignais pour voir ce qu’il préparait. La vérité, comme l’ont dit beaucoup de gens, c’est que nous nous manquions. Ce qu’on a pu dire de plus vrai à notre sujet à tous, c’est que la collaboration nous manquait, les » Faites ci » ou » Ne faites pas ça » de John. On se boostait mutuellement.
J’étais bien conscient que ça serait bizarre pendant un moment. Le choc avait été assez brutal. Vous savez, ne plus pouvoir passer du temps avec ses potes… Ils avaient toujours fait partie de ma vie, depuis mes dix-sept ou dix-huit ans.
Ça paraît étonnant, après coup, mais des quatre ex-Beatles, ceux qui ont fait les meilleurs départs, sur le plan commercial, étaient George et Ringo.
Ouais, All Things Must Pass de George… Pour reprendre ses propres termes, c’était comme la diarrhée : il avait dû se contenir si longtemps… Et George nous en voulait tellement. Il fallait bien que toute cette colère ressorte. Ce qui est une bonne chose pour un album.
L’effet » vous allez voir ce que vous allez voir « , que j’ai eu plus tard avec Band On The Run. » Ah bon, tu crois vraiment qu’on a besoin de toi ? » Et donc, George et Ringo ont démarré très fort. John et moi on a eu un peu plus de mal, mais avec le temps, on a tous fait des choses individuelles plutôt réussies.
Ce que j’aime maintenant, c’est qu’on voit arriver des générations plus jeunes, qui subissent ce que j’ai subi. A vingt ans, ils cherchent leur voie, comme nous cherchions le moyen de capter l’ambiance hippie, d’échapper à l’autorité et d’apprendre à nous débrouiller par nos propres moyens. Je pense que c’est ce que les jeunes s’efforcent de faire maintenant. Il y a quelque chose d’innocent là-dedans. C’est jeune. Plus jeune que la musique des Beatles.
Un coup de fil de Michael Jackson
Michael m’a téléphoné et m’a dit qu’il voulait qu’on travaille ensemble. J’ai répondu : » Comment ça ? » » Eh bien, j’aimerais qu’on fasse quelques tubes. » Moi : » Pas bête. » Et il est venu me voir à Londres.
On s’est installés dans mon bureau, à l’étage, j’ai pris une guitare, et ça a donné » Say Say Say « . Il a beaucoup contribué au niveau des paroles, même s’il n’y en a pas beaucoup dans la chanson. Mais c’était amusant de travailler avec lui, parce qu’il était vraiment enthousiaste. Cela dit, encore une fois, on ne peut pas comparer avec John, ça n’avait rien à voir. A ce moment-là, concernant Michael, on ne parlait même pas d’un auteur de chansons, plutôt d’un chanteur et d’un danseur. Mais il avait dit : » Faisons quelques tubes. » Et c’est exactement ce qu’on a fait.
Paul McCartney. Des mots qui vont très bien ensemble, conversation avec Paul Du Noyer, éd. Baker Street, traduit de l’anglais par Dominique Haas, 352 p.
Les intertitres sont de la rédaction.
Par Laurent Hoebrechts