Avec plusieurs dizaines de projets urbains validés pour les cinq prochaines années, Namur se dirige vers un marathon de chantiers. Maxime Prévot en fait-il trop ? La méthode impétueuse du bourgmestre CDH divise et inquiète l’opinion publique. Tout comme l’ambition métropolitaine qu’il déploie sur la capitale wallonne, à grands renforts de subsides.
Dans un grondement rauque, les pelles mécaniques déblaient la terre sous l’ancien centre médical régional de la SNCB, le long des voies ferrées bordant le nord du centre-ville de Namur. Vers l’ouest, quelques arbres centenaires sont tombés sur le square d’Omalius, un minuscule triangle de verdure cerné de voiries à réaménager. Pour le moment, c’est tout. Ces deux percées plutôt modestes ne laissent en rien présager l’ampleur des chantiers qui se dessinent dans la capitale wallonne pour les cinq prochaines années. Sous l’impulsion de son bourgmestre en titre, Maxime Prévot (CDH), Namur s’apprête à devenir un véritable laboratoire du redéploiement urbain, où se mêleront plusieurs dizaines de projets plus ou moins controversés. Après trois ans de préparation et de tractations diverses, la ville de 111 000 habitants entre cette fois dans la phase de concrétisation. Les grands travaux débuteront partiellement après l’été.
Dès son accession au trône maïoral, sept mois avant sa large victoire aux élections communales d’octobre 2012, Maxime Prévot entendait tourner la page de la » politique pantouflarde « . Par le passé, Namur avait selon lui trop longtemps laissé les trains de subsides régionaux et européens filer vers les concurrentes que sont Liège et Charleroi. Rapidement, le bourgmestre fait donc appel aux services de son ami Philippe Buelen, une éminence grise du CDH, pour officier en tant que » chasseur de subsides « . Les premiers résultats tombent dès mai 2013 : 50 millions d’euros pour une gare des bus multimodale, 25 millions pour renforcer l’attractivité urbaine et 10 millions dans le cadre d’une convention liée à la rénovation de sa Citadelle. Plus récemment, il y a un mois, la Ville a obtenu 30 millions d’euros dans le cadre de la programmation 2014 – 2020 des fonds européens (lire également l’encadré en p. 55). Une grande première dont Maxime Prévot, par ailleurs ministre des Travaux publics depuis juillet 2014, se félicite encore aujourd’hui. » Réjouissons-nous d’avoir enfin les moyens de nos ambitions « , martèle-t-il.
La première déconvenue
Pourtant, à l’heure où les grands projets s’apprêtent à sortir de terre, ces mêmes ambitions divisent largement l’opinion publique namuroise. Après sa prouesse électorale, qui l’a gratifié de 13 549 voix de préférence en 2012, Maxime Prévot pensait avoir acquis durablement une légitimité incontestée pour mettre en oeuvre sa vision de la ville. Mais la consultation populaire autour du projet de complexe commercial en centre-ville, défendu par la majorité CDH – MR – Ecolo, a illustré toute la difficulté de poser un choix stratégique sur la seule base des résultats électoraux. Près de 20 % des Namurois ont fait le déplacement, en février dernier, pour donner leur avis, plutôt défavorable au terme du dépouillement, sur la construction de ce complexe de 23 000 m² condamnant les arbres du square Léopold. La nouvelle mouture a été présentée le 19 juin dernier (lire aussi l’encadré en p. 53).
La saga du centre commercial ne constitue toutefois que la face émergée de l’iceberg. De son côté, l’opposition socialiste, qui rassemble tout de même plus de 28 % des voix à Namur, s’est affirmée comme le seul bastion de résistance politique face à l’avalanche de projets urbains. Depuis sa défaite de 2012, nuancée par la disparition sur les listes d’anciens dinosaures du parti, le PS namurois fédère les déçus de la politique que prône Maxime Prévot. » Namur dispose d’atouts sur le plan historique, d’un petit centre-ville convivial et surtout de la présence d’administrations et de pôles décisionnels « , souligne Eliane Tillieux, cheffe de file du PS namurois mais collègue de Maxime Prévot au gouvernement wallon. » Jouons sur nos spécificités plutôt que de concurrencer les autres villes en créant des projets identiques. »
Quel crédit accorder aujourd’hui à la stratégie portée par la Ville, au-delà de l’enthousiasme d’une fructueuse moisson de subsides ? Le centre-ville sera-t-il en mesure d’encaisser autant de nuisances dans un temps si court ? Les projets ne risquent-ils pas de dénaturer le cadre de vie plutôt paisible auquel tient une grande partie des habitants ? Une brève présentation du microcosme namurois s’avère indispensable pour décrypter les débats fissurant la marche en avant de Maxime Prévot.
Enclavée au point de convergence des vallées de la Meuse et de la Sambre, la troisième ville wallonne n’est en rien comparable à Liège ou à Charleroi sur le plan de l’aménagement urbain. Moins de deux kilomètres séparent la pointe ouest de la pointe est de la » corbeille « , le véritable centre-ville de Namur. Du nord au sud, celui-ci ne s’étend que sur 800 mètres au maximum. La congestion des voies d’accès à deux bandes, couplée à la faible réserve de parkings d’ouvrage, rend la problématique de la mobilité d’autant plus criante aux heures de pointe. Confiée au partenaire Ecolo, la stratégie visant à éviter au maximum l’usage de la voiture en centre-ville, notamment via la création de parkings-relais décentralisés, est d’ailleurs loin d’avoir obtenu le résultat escompté. » C’est une solution doctrinaire qui ne ressemble à rien et qui nous coûte horriblement cher, admet Luc Gennart (MR), échevin du Développement économique et des Voiries. Avec les 6 millions d’euros que cela nous a coûtés en dix ans, on aurait pu construire un parking d’ouvrage drôlement bien rentabilisé. »
Namur plonge dans l’inconnu
C’est dans cette réalité géographique confinée, tiraillée par des idéaux politiques souvent antagonistes, que les grands projets structurants verront le jour dans les prochaines années (voir la carte ci-dessus). Le pari de Maxime Prévot ouvre la voie vers une ère nouvelle aux incertitudes multiples, dont la gestion conjointe de grands chantiers constitue le volet le plus urgent. Depuis quelques mois, la Ville a mis en place un groupe de travail interne pour développer des solutions de mobilité alternatives et garantir l’accès au centre-ville. » Namur ne deviendra pas un grand chantier, assure Luc Gennart. Le phasage est prévu pour que les travaux soient réalisés successivement. » Il reste néanmoins une inconnue majeure, que Maxime Prévot reconnaît ne pas maîtriser : des retards de procédures chambouleront probablement le planning théorique. » D’autant que l’on s’attend à recevoir des recours contre certains projets « , glisse un élu de la majorité.
Le PS estime dès lors que la menace d’une paralysie du centre-ville est bien réelle. Elle porterait un grave préjudice aux habitants et aux commerçants. » Les chantiers d’ampleur vont forcément perturber la circulation et le parking, commente Eliane Tillieux. Or, le principal facteur d’attrait d’une ville, c’est son accessibilité. Si l’on entame en même temps les travaux de la gare, du centre commercial et de l’Espace Confluence au Grognon, ce sera un désastre. » Namur, contrainte de calibrer ses projets subsidiés par l’Europe à l’horizon 2020, pourrait décider de reporter l’une ou l’autre étape de la revitalisation du nord de la corbeille. Ce n’est toutefois pas le souhait de Maxime Prévot. Convaincu que sa ville ne peut plus attendre, le bourgmestre veut voir aboutir toutes ses ambitions dans le courant de la prochaine législature. » Grave erreur « , répond le PS, qui l’attendra au tournant.
Sur le plan immobilier, les observateurs namurois balaient l’hypothèse d’un exode massif des habitants dès le lancement des travaux. » Le délai des chantiers sera plus court que le temps nécessaire à la décision de vendre ou non un bien « , avance Thibault Bouvier, un promoteur incontournable du centre-ville. Paul de Sauvage, administrateur délégué de la société Actibel, défend globalement l’ambition des autorités publiques. » Namur mériterait de voir ces projets se concrétiser. C’est un passage obligé pour asseoir son statut de capitale. » Pour Renaud Degueldre, directeur général du BEP – l’intercommunale de développement économique de la province de Namur – la dynamique de la Ville pourrait même constituer, à moyen terme, une opportunité attrayante pour l’implantation d’entreprises tournées vers le concept des smart cities. Une analyse que partage Sylvie André, directrice de l’ASBL de gestion du centre-ville (GAU Namur). » De plus en plus de porteurs de projet ont déjà pris contact pour s’installer dans le haut de la ville « , atteste-t-elle.
Le théorème du parking
Ces projections enthousiastes se heurtent toutefois à quelques rudes critiques contre les priorités actuelles de la majorité. Tant pour le PS que pour les acteurs immobiliers interrogés, l’aménagement d’espaces de parking supplémentaires aurait dû devancer l’échéancier des chantiers en surface – hormis les travaux justement nécessaires à la construction de nouveaux parkings en sous-sol. Actuellement, le centre-ville dispose de 5 192 places de parking si l’on inclut les emplacements en voirie (hors parkings-relais décentralisés). Le potentiel futur chutera drastiquement pendant les travaux, avant de grimper à 6 037 places d’ici 2020 – soit une timide augmentation nette de 845 places. Pour Thibault Bouvier, c’est largement insuffisant. » Dans le futur quartier des casernes, on pourrait construire un mégaparking de plusieurs milliers de places en sous-sol, affirme-t-il. Au lieu de ça, la Ville va créer un parking ridicule de 300 places qui ne permettra même pas de répondre à la demande des habitants et du personnel du futur palais de justice. » Les réponses apportées par la Ville sur cette épineuse question, et notamment sur la forte baisse du nombre de places en voiries (650 en moins d’ici 2020), s’avèrent pour le moins nébuleuses.
Il s’agit bien de la seule thématique sur laquelle le bourgmestre namurois est critiqué pour son manque d’ambition. Dans les autres dossiers, les craintes s’inversent. Maxime Prévot serait-il mégalo ? » Le problème à Namur, c’est que l’on a toujours voulu être modéré dans tout, résume-t-il. Résultat : on se fait dépasser partout. » Selon la thèse qu’il défend, le salut de la capitale wallonne passera obligatoirement par la concrétisation de nombreux projets à vocation métropolitaine : un nouveau palais des congrès, une grande salle de spectacle, un téléphérique vers la Citadelle ou encore un port numérique à la pointe du Grognon, au confluent de la Meuse et de la Sambre. Ce dernier projet, subsidié via les fonds européens, symbolise d’ailleurs à lui seul le culte presque allégorique que Maxime Prévot voue au développement urbain. Depuis plusieurs années, il plaide à cet endroit pour un » geste architectural à la Bilbao « , afin d’en faire la » carte de visite » de la ville. » Nous devons montrer que nous ne sommes pas que des frileux à Namur « , maintient-il aujourd’hui.
Plusieurs chantiers à venir sont pointés du doigt pour leur démesure. C’est le cas pour la future gare des bus qui s’implantera sur le toit de la gare SNCB, avec la construction d’un pont haubané pour en garantir l’accès. Le projet répond à un idéal porté par Ecolo auquel a souscrit Maxime Prévot. » Certains imaginent que ce pont sera un beau geste architectural dans le centre, commente Eliane Tillieux. Nous pensons au contraire qu’il va complètement défigurer la place de la gare et créer une coupure entre le quartier de Bomel et le centre-ville. » Le parti d’opposition regrette que la majorité n’ait pas suivi la proposition consistant à couvrir les voies ferrées pour y aménager une gare des bus alignée à l’horizon du bâti existant. La bataille autour du coût supposé de cette alternative a rendu le débat stérile.
Folie des grandeurs ?
Au-delà du bras de fer politique, d’autres indicateurs accablent le bien-fondé du projet. Si l’objectif initial consistait à rapprocher au maximum les bus et les trains pour favoriser l’intermodalité, la réalité des usages a rattrapé l’ambition écologiste. D’après les dernières estimations chiffrées, seuls 5 % des navetteurs débarquant en train à Namur poursuivent leur itinéraire avec le bus. En outre, la gare multimodale accueillera exclusivement les bus périurbains, reportant ainsi le trafic des autres lignes sur une place de la Station où transiteront 30 à 50 % de navettes supplémentaires – jusqu’à 1 050 bus par jour. » C’est un vrai problème « , concède l’échevin Luc Gennart. Après avoir vanté les mérites de cette option, copieusement subsidiée par la Wallonie, la Ville doit désormais trouver une solution pour éviter les dégâts collatéraux. Elle l’attend toujours.
Le futur téléphérique reliant Namur à la Citadelle, dont le montant des travaux subsidiés s’élève à 8,7 millions d’euros, suscite également la polémique. » C’est une folie qui va obérer les finances de la Ville pendant des années ! » s’insurge Thibault Bouvier. Au PS namurois, les avis divergent. Eliane Tillieux y voit un projet fédérateur, dont la symbolique d’un passé florissant rencontre les ambitions de Namur sur le plan du tourisme et de la mobilité. » Mais ce n’est pas une priorité « , nuance-t-elle. Parmi la vieille garde socialiste, Jean-Louis Close se montre nettement plus critique. » Le coût de ce téléphérique est totalement disproportionné vu les faibles activités touristiques présentes sur la Citadelle, tance l’ancien bourgmestre. Et personne n’ira garer sa voiture sur l’esplanade pour ensuite descendre faire ses courses en ville via une cabine payante. »
» 30 % de taudis dans le centre »
Farouche détracteur des projets structurants de la majorité, Thibault Bouvier torpille plus largement les ambitions » dispersées » de Maxime Prévot, ainsi que la logique de chasse aux subsides qui y est liée. » Namur ne fera pas parler d’elle à l’étranger avec son port numérique. Le seul projet que la ville doit porter, c’est de rester elle-même. Il y a au moins 30 % de taudis dans le centre. Que l’on commence d’abord par rénover le bâti et le patrimoine existant ! » Cette analyse complète en partie le message de l’ASBL Namur 2080, dont le raisonnement plutôt conservateur il y a quelques années encore a évolué vers un plaidoyer prônant l’intégration des enjeux écologiques et sociétaux dans le développement urbain. » Maxime Prévot en fait peut être trop d’un seul coup, commente Geoffrey Caruso, président de cette ASBL citoyenne. Nous sommes plutôt preneurs d’un investissement progressif. Ce n’est pas avec l’accumulation de grands chantiers que l’on améliorera le cadre de vie des habitants. Si Namur parvient à
recréer du lien, elle se développera probablement bien mieux que les autres villes wallonnes. »
Malgré les critiques, dont l’étendue dans l’opinion publique reste difficile à évaluer, Maxime Prévot maintient le cap qu’il s’est fixé. » Il y aura toujours des détracteurs pour dire que c’est une politique bling-bling. Avec la 6e réforme de l’Etat, notre statut de capitale prendra encore plus de sens demain. Les Namurois ont tout à gagner à voir ces projets subsidiés se concrétiser. » En 2018, aux prochaines élections communales, ils auront l’occasion de répondre à cette affirmation dans les urnes. Namur sera alors en plein travaux. Avec une opposition socialiste en embuscade, prête à bâtir son éventuel retour au pouvoir dans la poussière des chantiers.
Par Christophe Leroy