L’escalator est le symbole de la modernité urbaine. Mais son omniprésence n’est-elle pas contestable ?
Bruxelles, station de métro Arts-Loi. Un mercredi, vers 18 heures. L’heure de pointe est passée, mais les rames continuent de déglutir un flot impressionnant de passagers. Les traits tirés, le visage marqué par leur journée de travail, ceux-ci cherchent à regagner au plus vite la surface de la ville. La plupart d’entre eux n’hésitent pas une seconde : au pied des marches, ils choisissent l’escalator. » C’est un réflexe, avoue Julie, 23 ans. Je ne prends jamais les escaliers « . » Chez moi, il y a deux étages, explique Aurore, jeune prof de français, elle aussi inconditionnelle des remontées mécaniques. J’en ai un peu marre de monter et de descendre… « . » Je roule en bicyclette, j’utilise les transports en commun, se justifie Lucas, à la barbe bien fournie. Alors, j’estime qu’un escalator de temps en temps, j’y ai droit « . Une trentaine de marches plus bas, Tony s’engouffre dans un autre escalator, qu’il remonte en courant. » D’habitude, je prends toujours les escaliers, affirme-t-il. Mais là, faut vraiment que je me dépêche ! »
Il reste malgré tout quelques réfractaires, qui persistent à ne compter que sur leurs mollets pour sortir du métro. C’est le cas d’Odile. Travaillant dans l’hôtellerie, elle doit rester debout une bonne partie de la journée. Pourtant, elle a encore le courage de gravir les escaliers. » C’est pour garder la forme. Cela fait partie de mes bonnes résolutions. » Tout le monde devrait imiter Odile. Les médecins sont formels : rien de tel pour la santé que de se farcir quotidiennement quelques volées d’escaliers, notamment pour la prévention des maladies cardio-vasculaires. » Un adulte doit au moins pratiquer trente minutes par jour d’activités physiques. Comme nos contemporains sont très occupés, tout ce qui peut être fait pendant la journée est bon à prendre « , confirme le Dr Christian Brohet, professeur de cardiologie à l’UCL.
Breveté en 1892 par l’ingénieur américain Jesse Wilfort Reno, l’escalator tire son appellation d’une marque déposée par la firme Otis. C’est maintenant devenu un nom commun. Mais l’objet n’a rien perdu de son pouvoir attractif. Habitante de Waremme, Marie-Pierre se souvient encore de son premier face-à-face avec les escalators. » C’était à la Fnac de Liège. Je devais avoir 10 ans. Quel émerveillement de découvrir ces escaliers qui marchaient tout seuls ! » Réparti sur quatre étages, le centre commercial bruxellois City 2 a forgé une partie de son identité sur les va-et-vient incessants de ce curieux automate. » L’escalier ne permet pas d’assurer une bonne circulation des flux, assure Xavier Pierlet, administrateur délégué de Citymo. Quant aux ascenseurs, ils impliquent un temps d’attente, et les gens n’aiment jamais attendre… L’escalator est vraiment la solution la plus confortable pour les consommateurs « .
Preuve de son intégration dans l’imaginaire urbain, l’escalator a donné lieu à plusieurs évocations artistiques, dont une fameuse scène de La Haine, le film culte de Mathieu Kassovitz. Il semble condenser tout ce qui est propre aux grandes villes, à commencer par la violence. » A la station Mérode, il y a un très long escalator, un peu glauque, coincé entre deux murs, raconte Pierre, 25 ans. A part une bande de gars, j’étais tout seul. Ils m’ont pris en sandwich et ont commencé à fouiller mes poches. Arrivés en haut, ils sont partis en me souhaitant un joyeux Noël. C’était fin décembre. » Spectateur passif de telles agressions, l’escalator peut lui-même accéder au rang de victime. Les actes de vandalisme constituent en effet la première cause des pannes, assure-t-on à la SNCB. Certains » rigolos » tirent de façon intempestive la poignée de sécurité, et bloquent par là toute la mécanique. A la Stib, une trentaine de personnes travaillent chaque jour à l’entretien des 600 escalators. Ces derniers représentent pas moins de 20 % des dépenses d’énergie dans les stations de métro et prémétro bruxellois (traction des véhicules non comprise). Le confort – ou la paresse – des voyageurs a donc son coût, à la fois économique et environnemental. l
François Brabant