Mangez du beurre

Diabolisé pendant plusieurs décennies, le beurre entame sa lente réhabilitation. A commencer par les Etats-Unis, où les scientifiques remettent la guerre contre le fat en question. A-t-on eu tort de faire du gras un ennemi ? Notre enquête.

On a fait des graisses l’ennemi absolu. Celui dont il faut absolument se méfier. Au risque d’en oublier un peu vite les vertus de certaines graisses. Mais les choses commencent à changer. Le 23 juin dernier, le newsmagazine américain Time titrait en couverture :  » Eat Butter. Scientist labeled fat the enemy. Why there were wrong  » ( » Mangez du beurre. Les scientifiques ont fait de la graisse leur ennemi. Pourquoi ils avaient tort « ). En résumé ? Ce n’est pas le beurre qu’il faut remettre en question, mais la façon de le consommer.

Pour rappel, le beurre est un corps gras d’origine animale et un aliment complètement naturel. Sa composition réunit 82 % de matière grasse et 18 % d’un mélange d’eau et de lait. Le beurre est fabriqué par le barattage de la crème du lait. On obtient cette dernière par la séparation de la matière grasse qui est présente dans le lait à raison de 30 à 40 g au litre. Le barattage consiste à  » battre  » ou à fouetter la crème du lait. C’est comme si vous vouliez monter de la crème fraîche en chantilly et que vous fouettiez un peu trop longtemps…

Il y a deux sortes de beurre : le beurre de ferme et le beurre de laiterie. Dans une production traditionnelle, à la ferme, le beurre est fabriqué à partir de la crème du lait ayant subi une maturation naturelle, grâce aux ferments contenus dans le lait. En laiterie, le beurre est produit à partir de la crème du lait pasteurisée. On l’ensemence ensuite avec des ferments lactiques purs. Une fois mûre (ou fermentée), la crème est barattée. Grosso modo, les beurres fermier et laitier sont naturels et il n’y a pas de différence en termes de composition.

Une nouvelle méthode, mise au point pour améliorer le rendement de la fabrication, utilise le barattage en continu. L’avantage ? Les gouttelettes d’eau sont plus petites, mieux réparties dans le beurre et celui-ci se conserve mieux. En revanche, dans le barattage en continu, on utilise des crèmes moins acides que dans le barattage classique, ce qui confère au beurre un goût plus neutre.

Le beurre est un produit vivant, un peu comme le raisin. Sa qualité dépend de la race des vaches, de leur alimentation, de leur lactation et des saisons. En été, le beurre est jaune, de couleur plus ou moins intense car les vaches broutent de l’herbe riche en bêta-carotène. En hiver, le foin et les ensilages dont elles se nourrissent donnent au beurre une coloration plus blanche et plus pâle. Il semble que le consommateur ait une préférence pour le beurre plus jaune. On le colore donc avec du carotène (seul colorant autorisé), pour le rendre plus appétissant.

Qu’y a-t-il dans le beurre ?

Avant tout, de la matière grasse : 82 g par 100 g. Le beurre contient aussi 230 mg de cholestérol en moyenne, des protides et des glucides à raison de 600 mg, des minéraux comme le sodium, potassium, calcium, magnésium, fer et phosphore, et des vitamines A, D et E. Ce sont des vitamines liposolubles et il est donc normal qu’on les trouve dans la graisse. La vitamine A est davantage présente dans le beurre d’été, quand les vaches mangent de l’herbe qui est riche en caroténoïdes.

La vitamine A est utile pour la vision, la protection de la peau, la sécrétion des hormones et la résistance générale de l’organisme. Quant à la vitamine D, on a longtemps réduit son utilité à la prévention du rachitisme chez l’enfant, ignorant les effets bénéfiques qu’elle possédait chez l’adulte. Ils sont pourtant multiples. Tout d’abord, elle fixe le calcium indispensable à nos os et ralentit l’ostéoporose au-delà de 60 ans. Grâce à son action anti-infectieuse, la vitamine D renforcerait aussi le système immunitaire, aidant l’organisme à lutter contre la grippe, agirait sur les maladies auto-immunes et la sclérose en plaques. Elle ralentirait également le vieillissement vasculaire cérébral, prévenant ainsi le déclin cognitif, et jouerait un rôle positif dans l’évolution des cancers du côlon et du sein. La vitamine E est antioxydante.

Dans le beurre, on trouve aussi une variété exceptionnelle d’acides gras, plus de septante !  » Parmi eux, il y a des acides gras très particuliers au niveau de la forme chimique, notamment les CLA (Conjugated Linoleic Acids), explique Yvan Larondelle, doyen à la Faculté des Bioingénieurs Agro Louvain (UCL). Dans les années 1990 et 2000, les CLA ont fait l’objet de nombreuses études chez l’animal. Toutes les conclusions convergent : ces acides gras ont des effets bénéfiques pour la santé animale et leur effet anti-cancer est particulièrement puissant. Et ce, sur différents types de cancer. Des études in vitro (culture de cellules humaines) ont également montré leur effet toxique sur les cellules cancéreuses. Cela dit, il faut se montrer extrêmement prudent car aucune étude n’a encore été réalisée sur le cancer chez l’homme en raison des difficultés de mise en place de telles expériences. En résumé, certains acides gras particuliers de la matière grasse laitière comme les CLA pourraient avoir des effets positifs spécifiques sur la santé, mais nous n’en avons pas de preuves.  » A ce propos, signalons que David Servan-Schreiber, dans son livre Anticancer, publié en 2007, suggérait  » le rôle des CLA contre la croissance des cellules cancéreuses « .

Le beurre labellisé

A l’instar de quelques produits alimentaires naturels, certains beurres affichent des labels :  » Agriculture biologique  » ou encore  » Appellation d’origine protégée  » (AOP). Le beurre bio garantit au consommateur que les fabricants de lait et de beurre respectent les cahiers des charges de l’agriculture biologique pour la production de la matière première et sa transformation. Concrètement, la charte bio interdit de nourrir les vaches avec des aliments contenant des OGM et impose un séjour en prairie pendant au moins cinq mois par an. Par ailleurs, au moins 50 % de l’alimentation doit être constituée d’herbe et les traitements vétérinaires doivent être réduits au strict minimum. Le beurre bio peut être fabriqué en continu comme n’importe quel beurre classique et il ne se distingue pas par une qualité gustative spécifique. Est-il meilleur pour la santé ? Non. Aucune étude n’a démontré un avantage nutritionnel particulier. En revanche, la filière bio a un impact positif sur l’environnement et sur le bien-être des vaches.

Le label européen AOP a été créé en 1992 pour harmoniser les différents labels nationaux dont le français, bien connu, AOC (appellation d’origine contrôlée). Il s’applique à tout produit  » dont la production, la transformation et l’élaboration doivent avoir lieu dans une aire géographique déterminée avec un savoir-faire reconnu et constaté « . Le beurre labellisé AOP garantit donc la provenance. C’est un beurre d’exception (extra-fin pasteurisé) et cette qualité est due principalement à la spécificité du terroir, la qualité de l’herbage et la tradition du savoir-faire. En revanche, la race des vaches n’a aucune influence ni sur la qualité ni sur le goût du beurre.

En France, il existe deux appellations d’origine protégée : le beurre d’Isigny (dont la réputation est née il y a des siècles), produit dans près de 200 communes en Normandie, et le beurre Charentes-Poitou qui ne peut être fabriqué que dans les départements de la Charente, de la Charente-Maritime, des Deux-Sèvres, de la Vendée et de la Vienne. Les beurres normands sont  » gras « , onctueux même en hiver, assez mous en été et se distinguent par une coloration assez affirmée, apportée par la chlorophylle et le bêta-carotène de l’herbe. Les beurres charentais sont plus pâles et plus fermes. Le bouquet des beurres normands est également plus développé que celui des charentais qui ont un arôme plus fin et délicat. Les deux types de beurre sont fabriqués selon les procédés traditionnels. En Belgique, seul le beurre d’Ardenne (pasteurisé) a droit au label AOP (depuis 1996). Sa production est limitée à la province de Luxembourg, à certaines localités de la province de Namur et à quelques endroits de la province de Liège.

Gare aux acides gras saturés athérogènes

Dans les années 1970, les campagnes diabolisant le beurre ont explosé. On s’est rendu compte que certains types de matières grasses consommées pouvaient avoir un impact sur le risque de développer des maladies cardio-vasculaires et de causer des accidents tels que l’infarctus du myocarde ou l’AVC. A cette époque, on s’est focalisé sur la corrélation entre l’alimentation et le cholestérol, l’un des facteurs des maladies cardio-vasculaires.  » La réponse du corps médical a été différente aux Etats-Unis et en Europe, souligne le Dr. Yvon Carpentier, professeur honoraire de nutrition et de biochimie pathologique à l’ULB. Aux Etats-Unis, on a préconisé de réduire drastiquement la consommation de toutes les graisses. L’industrie a alors fourni beaucoup de produits sucrés, ce qui a eu pour conséquence une explosion de l’obésité. En Europe, en revanche, on a observé des différences dans l’incidence de maladies cardio-vasculaires, faible dans les régions méditerranéennes et élevéedans les pays nordiques.  »

Dans les pays méditerranéens, on mange traditionnellement beaucoup de graisses mais sous forme d’huile d’olive et de poissons gras. Au nord, on consomme beaucoup d’acides gras saturés qui se nichent dans les viandes rouges, le beurre, le lait entier et les fromages. A la suite de ces observations, le corps médical a proposé de réduire les acides gras saturés et de les remplacer par les acides gras qui sont plutôt bons pour la santé, l’huile d’olive, d’autres huiles végétales (à l’exception de certaines huiles riches en acides gras saturés comme l’huile de palme) et les poissons gras.  » Pendant tout un temps, on a mis tous les acides gras saturés dans le même sac, les qualifiant de mauvais, poursuit le Dr. Carpentier. Aujourd’hui, on a une approche plus nuancée et on fait une distinction entre ceux qui sont athérogènes, risquant de provoquer l’athérosclérose, et ceux qui ne le sont pas. C’est le cas de l’acide stéarique, très concentré dans le beurre de cacao et dans le chocolat (35 %) et présent aussi dans de nombreuses graisses animales dont le beurre (10 à 11 %). L’acide stéarique n’a aucun effet athérogène. En revanche, trois acides gras sont athérogènes : l’acide palmitique (le beurre en contient 25 %), l’acide myristique (11 %) et l’acide laurique. Il est donc conseillé de ne pas abuser des graisses qui contiennent ces trois acides gras. Il faudrait que la consommation quotidienne ne dépasse pas 20 à 21 g chez l’homme et 16 g chez la femme.  »

Les acides gras saturés athérogènes sont présents surtout dans les matières grasses laitières et dans l’huile de palme. Cela dit, le lait et la plupart des fromages ne semblent pas avoir d’impact négatif sur la santé. Les mauvaises graisses laitières se trouvent avant tout dans le beurre et dans la crème fraîche. Il est très important de limiter les acides gras athérogènes car ces mauvaises graisses augmentent le mauvais cholestérol et, partant, le risque de maladies cardio-vasculaires. Cependant, les apports en graisse font aussi augmenter le bon cholestérol ! Des médicaments efficaces permettent certes d’empêcher ce cercle vicieux, mais une chose est sûre : pour garder un bon équilibre alimentaire, rien de mieux que de cultiver la modération et éviter les excès.

Et le cholestérol, alors, qu’on continue d’accuser de tous les maux et qui est présent dans le beurre à raison de 230 mg par 100 g ?  » Il ne faut pas mélanger le cholestérol alimentaire et le cholestérol sanguin, rappelle Yvan Larondelle. Le cholestérol est une molécule dont on a besoin pour vivre et pour fabriquer, notamment, les hormones stéroïdiennes ou les membranes cellulaires. Nous fabriquons ces molécules dans les cellules de foie. Nos besoins sont d’un gramme de cholestérol par jour. Un régime alimentaire  » normal  » apporte 300 mg et le foie fabrique les 700 mg qui manquent. Si l’on supprime le cholestérol de son alimentation, le foie va se charger de fabriquer la totalité, soit un gramme.  » En clair, c’est le foie qui régule nos besoins. Quand le cholestérol est présent dans le sang en trop grande quantité, il peut effectivement entraîner le risque de maladies cardiovasculaires. Le cholestérol alimentaire pose problème chez deux personnes sur dix. La synthèse de cholestérol est efficace chez tout le monde ; en revanche, l’élimination des particules LDL (mauvais cholestérol) peut être déficiente suite à des problèmes génétiques ou à une mauvaise alimentation, notamment riche en graisses saturées.

La naissance des beurres allégés

 » Les campagnes de diabolisation se sont avérées catastrophiques pour les producteurs laitiers et ont débouché sur la nécessité de repositionner le beurre et le gras laitier, pointe Daniel Dalemans, chef de projet Recherche & Développement chez Corman, fabricant de produits laitiers en Wallonie. Tout d’abord, on a rendu le beurre frigotartinable. Il contient moins de matières grasses dures. On l’obtient par un procédé physique très simple qui consiste à séparer la fraction grasse la plus dure. Ensuite sont venus les beurres allégés qui se déclinent en trois familles : le  » Ÿ beurre » contenant 60 % de matière grasse, le demi-gras ou le demi-écrémé (41 % de matière grasse) et, enfin, la matière grasse laitière à tartiner contenant 20 % de matière grasse.  » Le beurre demi-écrémé est qualifié comme  » pauvre en cholestérol « . Comme les nutritionnistes ont revu leur position et parlent plutôt des acides gras saturés athérogènes que du cholestérol, l’effort est à faire à ce niveau-là. Une nouvelle étape vient d’être franchie avec l’apparition sur le marché d’un produit dont l’élaboration a permis d’écarter une partie des acides gras saturés athérogènes. Cette  » spécialité de beurre  » n’est pas plus athérogène qu’une margarine allégée de grande qualité et n’augmente pas le cholestérol (tout en ne le diminuant pas). D’aucuns objecteront qu’en achetant du beurre allégé, on paie  » de l’eau au prix du beurre « . Le Dr. Carpentier confirme.  » Mais comme il vaut mieux limiter les risques, pourquoi ne pas prendre du beurre allégé ?  »

Le beurre est intéressant en quantité raisonnable : pas plus de 10 à 15 g par jour. Il est très digeste à condition d’être consommé cru. La cuisson lui retire ses vertus digestives et une grande partie de la vitamine A.  » Aujourd’hui, les études épidémiologiques sur les composés nutritionnels divergent entre elles et il faut raison garder avant de bannir tel ou tel produit pour rester en bonne santé, conclut Yvan Larondelle. Il est en revanche urgent d’adopter un mode de vie plus raisonnable. C’est un peu simpliste de dire que tel aliment est bon pour la santé et que tel autre est mauvais. Tout est une question de proportions et d’équilibre. Si l’on diminue les graisses, il faut éviter de les compenser par une consommation exagérée des sucres. Notre alimentation doit être adaptée à notre mode de vie et par ailleurs changer le contenu de son assiette ne suffit pas. Une activité physique régulière et raisonnable est également essentielle pour la santé. Et on maximise ses effets si on l’associe à une alimentation équilibrée.  »

Par Barbara Witkowska

 » Il ne faut pas mélanger le cholestérol alimentaire et le cholestérol sanguin  »

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