Côté cour, elle aime le show, le strass et les paillettes, être le centre des regards. On l’appelle Maman et, dans son cabaret, elle est une reine des nuits bruxelloises avec son spectacle de transformiste. Côté jardin, Serge va avoir 40 ans et c’est » un mec qui en a «
Pascale Gruber
Il venait de tenir, pour la deuxième année consécutive, un rôle féminin dans le spectacle de l’école primaire, quand la directrice a convoqué ses parents. Finaude, elle a prévenu : » Si Serge continue comme ça, il finira homosexuel. » Ah, Madame la directrice, si seulement ce n’était que cela ! Tous les week-ends, ce Bruxellois aux beaux yeux bleus se maquille, s’habille de magnifiques vêtements, chausse ses (très) hauts talons (du 46, le bout pointu donne une pointure de plus) et fait son numéro de nuit, entouré de deux » travelotes « , comme il dit. Sur scène, elle est » Maman » et parle d’elle au féminin. Elle devient alors un personnage haut en couleur (et haut tout court : grâce aux chaussures, elle dépasse les 2 mètres), une artiste, une star et pas seulement dans » le milieu « . Mais, aussi, un porte-drapeau de la cause homo.
Serge, timide mais grande gueule, a toujours été un chef de bande. Maman est à la fois son bébé et sa jumelle. Petit, il intriguait les garçons qui se demandaient quel était son secret pour régner sur un tel harem de gamines. Ou qui sentaient que Serge Morel n’était pas » comme les autres « . » J’ai toujours eu conscience d’être différent, ce qui est très perturbant. J’ai vite compris que j’étais homo. » Pour le reste, dès l’école, ce Bélier adopte une méthode bien à lui pour répondre aux quolibets : il fonce et cogne les persifleurs. A sa force physique naturelle il ajoute un atout surprenant : » Je me bats comme une fille, jamais avec les poings : ça surprend les garçons. »
L’adolescent inscrit en latin-sciences a eu des petites amies – » J’étais le mec idéal, pas trop pressé d’aller trop loin… » – et a vécu quelques années plutôt moches. Sa délivrance survient à l’ULB (deux ans en journalisme et communication) quand il entre en contact avec le cercle des étudiants homosexuels : découvrir qu’il est possible de clamer ouvertement sa différence lui fait du bien. Et puis, dans sa nouvelle bande (de mecs, cette fois), il peut, enfin, parler de sexe.
C’est aussi à ses potes homos de l’ULB qu’il doit son surnom de Maman. Après trois jours de vacances en leur compagnie, lassé de mal manger, il se met aux fourneaux et y brille. » Tu es une mère pour nous « , s’extasient les convives. » Appelez-moi Maman ! » rétorque-t-il. La boutade fait naître un label qui lui va comme un gant. Ce nom correspond à sa vision de chef de bande, à ce personnage qui offre son épaule pour y pleurer (il tient, encore et toujours, un rôle de confident et d’assistant(e) social(e)). Et puis, symboliquement, souligne-t-il, tout le monde aime Maman, même si on la déteste ! Le sobriquet a rejoint son personnage, joué sur scène dès 1989. Le voilà » travelote « , mot qu’il trouve beaucoup plus drôle que transformiste, terme exact pour désigner les personnes qui se déguisent en femme afin de faire un show.
Sur scène, Maman n’est pas la plus jolie. Ses 104 kilos ne la feront jamais passer pour la plus sexy des poupées dont on n’imagine pas une seconde qu’elles cachent un outillage de garçon. Mais Serge sait qu’elle est la plus belle. Celle qui a l’étoffe de la meneuse de revue, celle que l’on regarde et qui veut être la meilleure. » Maman n’a pas besoin d’en rajouter. Un petit mouvement de la main, une £illade et on entre dans un univers dont elle-même n’est pas dupe « , confie une de ses spectatrices. Serge est maligne : » Nous vivons dans un monde où tout est faux et où tous endossent des personnages. Mais nous, on le sait bien ! » Démonstrations à la clé.
Maman est très demandée. Propositions de téléfilm (elle a détesté ça : » Il a fallu se lever aux aurores et patienter des heures avant de tourner. La barbe recommençait déjà à pousser sous le maquillage…), de télé, de radio, de théâtre ( Fever, au théâtre de la Toison d’or, à Bruxelles) . Un livre est annoncé (ses Mémoires, à paraître en janvier 2008) et bientôt une chanson, parallèlement à ses spectacles musicaux. » Je n’ai pas besoin de faire de projets, on m’en présente spontanément « , se vante cet égocentrique : il/elle ne déteste pas l’idée d’être un soleil autour duquel gravitent des étoiles qu’il illumine.
» On ne choisit pas l’homosexualité »
Maman est fière d’être une marraine d’Amnesty International et trouve formidable d’être associée à la campagne contre les violences envers… les femmes. Il sait que les travelotes comme lui ne représentent qu’une goutte d’eau dans la communauté homo. Mais » puisqu’elle a les couilles d’assumer ce qu’il est « , la voilà intronisée porte-parole de ceux qui savent ce qu’homophobie veut dire. » On ne choisit pas l’homosexualité, elle nous est imposée. Notre choix consiste à l’assumer ou à mentir à tous. La vie donne des cartes, à chacun de décider comment les abattre. »
Comme tout le monde, Serge n’a pas toujours été heureux en amour ( » Etre Monsieur Maman, ce n’est pas facile « , reconnaît-il). Même s’il a horreur des enfants, il soutient le principe de l’adoption par des homos et voudrait qu’on parle d’homosexualité à l’école. Il ne tombe pas dans les poncifs ( » Certains pédés ont des goûts de chiottes ! » jure-t-il) et hait la bêtise humaine. Il la connaît bien : il l’a rencontrée. Elle ne l’a pas empêché de réussir son rêve : ressembler à ces actrices hollywoodiennes couvertes de plumes et de paillettes, qui descendaient un escalier en chantant dans un film qui l’a marqué, à l’âge de 3 ou 4 ans. Serge aussi, » elle » le fait.
Pascale Gruber