PS, MR et Vlaams Belang sont seuls à déclarer ouvertement des impôts dans leur comptabilité. Les autres partis financés par l’argent public ne se donnent jamais cette peine. Un malentendu comptable qui laisse inutilement planer l’ombre d’un doute…
Du tableau d’ensemble se dégage l’impression d’une classe politique où les bons élèves se compteraient sur les doigts d’une main. Où à peine trois écoliers sur une quinzaine, toujours les mêmes, se distingueraient avantageusement par leur cahier en ordre et leurs devoirs correctement faits.
Tout parti politique qui décroche une représentation parlementaire hérite de droits et de devoirs. Le droit de bénéficier d’un confortable financement public. Et le devoir de rendre des comptes, en livrant au Parlement un état détaillé des finances de la myriade d’ASBL conçues pour absorber cette manne publique. Chaque année donc, les partis s’exécutent loyalement, à coup de volumineux rapports financiers remplis de colonnes, de rubriques et de chiffres. Leurs finances ne doivent plus avoir de secrets. En principe.
Une ligne finit par attirer le regard, à force de la découvrir désespérément vierge. Le poste intitulé » impôts sur le résultat » ne fait qu’exceptionnellement recette dans les bilans comptables. Seuls le PS, le MR, le Vlaams Belang et la Lijst Dedecker (aujourd’hui rayée de la carte parlementaire) prennent la peine d’y déclarer systématiquement un montant. Entre 3 000 et 13 000 euros d’impôts signalés par les socialistes francophones entre 2008 et 2014, entre 500 et 7 000 euros mentionnés par les libéraux francophones sur la même période, et de 17 000 à 37 000 euros enregistrés par le Vlaams Belang.
Trois exceptions qui confirment une curieuse règle. Les autres partis, eux aussi bénéficiaires d’un financement public, eux aussi structurés en ASBL soumises au même régime fiscal, optent de manière tout aussi systématique pour la politique de la case vide. Du CDH à Ecolo en passant par le FDF, le PTB et le PP côté francophone, de la N-VA à Groen en passant par l’Open VLD et le SP.A côté flamand : jamais un euro d’impôt à se mettre sous la dent. Mention spéciale pour le CD&V : il consigne un impôt sur le résultat en 2008, 2009 (entre 700 et 800 euros) et 2011, où il déclare quelque 82 000 euros, puis il finit par rejoindre le gros du peloton des abstentionnistes.
Rien à déclarer, vraiment ? On ne peut croire que le parti sacré le plus riche de Belgique l’an dernier, la N-VA et ses dix millions d’euros de placements financiers, persiste à ne pas déclarer un euro de précompte mobilier. On ose encore moins imaginer que les partis politiques ne soient pas égaux devant l’impôt et que la majorité d’entre eux manquent à leur devoir.
On cherche à se rassurer auprès des professionnels du chiffre. La question les plonge dans un abîme de perplexité. Détour par les services compétents de la Chambre, où l’on se dit incapable de donner le moindre début d’explication. Incursion à la Cour des comptes, chargée chaque année de viser la conformité des rapports financiers des partis, mais où l’on botte courageusement en touche : » Il ne nous appartient pas de nous prononcer à ce sujet puisque le Parlement ne nous l’a jamais demandé. » Coup de sonde auprès d’un député membre de la commission parlementaire chargée de… contrôler la comptabilité des partis, qui fait aveu d’impuissance : » C’est une anomalie, à première vue, sans pouvoir vous en dire plus. » Vaines tentatives auprès d’un trésorier et de réviseurs de partis, où l’on s’entend dire que » cela paraît étonnant, surprenant. Si les montants ne sont pas rubriqués correctement, il y a un problème « .
Appelés à la rescousse, les politologues intéressés par l’argent des partis ne sont d’aucun secours. » Tous les partis sont en principe soumis aux mêmes règles, tant en matière de financement que de législation sur les ASBL. J’ignore d’où vient le fait que ces quatre partis paient néanmoins des impôts sur leur résultat « , confesse Jef Smulders (KUL), qui vient pourtant de passer au peigne fin le financement et la comptabilité des partis et en conclut que la plupart n’enregistrent jamais d’impôts dans leur comptabilité.
Tant de mystère sème le doute. Les sommes en jeu ont beau être ridiculement faibles sous le régime fiscalement avantageux des ASBL, tout parti a des impôts et des taxes à acquitter : un précompte immobilier sur les revenus de biens immeubles, comme les sièges de parti ; un précompte mobilier retenu à la source sur les placements à terme ; une taxe sur les ASBL dite aussi patrimoniale, au taux symbolique de 0,17 % ; enfin diverses taxes provinciales ou communales.
On respire : la piste d’une filière d’évasion fiscale d’envergure ne tient pas la route. Tout provient d’un jeu d’écriture comptable qui rend la plupart de ces impôts invisibles à l’oeil nu, car généralement noyés sous les rubriques » autres charges sur activités courantes » ou » charges relatives aux bâtiments « . Un professionnel du chiffre habitué à valider les comptes d’un parti fournit enfin le fin mot de l’histoire : » Les partis naviguent entre deux eaux, coincés entre l’ancien et le nouveau plan comptable relatif aux ASBL entré en vigueur en 2003. » Ainsi le PS et le MR font ce que les autres partis s’abstiennent de faire : déclarer le précompte mobilier acquitté sur les placements à terme à la rubrique » impôts sur le résultat « .
Pour avoir imparfaitement intégré les remarques des réviseurs d’entreprises, la Chambre s’est emmêlé les pinceaux dans la fixation des consignes. Elle compte accoucher d’ici 2016 d’un schéma de rapport financier clarifié, capable d’extraire les gestionnaires de partis de cette fâcheuse zone grise.
Car ce défaut de transparence revient à donner le beau rôle au PS, au MR et au Vlaams Belang, et à faire passer par la même occasion les autres formations politiques pour de vilains canards qui font l’impasse sur leurs obligations fiscales. C’est d’ailleurs de bonne grâce que les partis francophones représentés de longue date au Parlement ont fourni au Vif/L’Express de quoi lever l’odieux soupçon (voir ci-contre). Seule la N-VA, également invitée à communiquer sa contribution réelle à l’impôt dû, n’a pas donné suite à notre démarche.
Il ne reste plus aux partis qu’à ramener leurs impôts à la lumière du jour et à s’aligner ainsi sur tout contribuable prié de cocher correctement les cases de sa déclaration fiscale. Cela devrait pouvoir s’arranger. Avec un peu de bonne volonté.
Le financement et la comptabilité des partis politiques (2008-2013), par Jef Smulders, Courrier hebdomadaire du CRISP nos 2238-2239-2240-2241, 2014.
Par Pierre Havaux