Paul Magnette serait-il en train de s’émanciper de son père en politique ? Le Carolo, créature et dauphin programmé d’Elio Di Rupo, multiplie les initiatives individuelles. Elles déplaisent de plus en plus à un président de parti qui ne dit rien mais qui n’en pense pas moins.
C’était parti allègrement, dans la lumière un peu burlesque d’une comédie italienne des sixties. Ça se poursuit, aujourd’hui, dans la pénombre un peu lourde d’un drame psychologique scandinave que personne ne voudrait tourner, ni voir, et surtout dans lequel personne ne voudrait jouer. C’est pourquoi aucun des acteurs ne témoignera ici à visage découvert. Résumons-en néanmoins l’intrigue.
Le fanfaron
A l’été 2007, Elio, un Signore portant beau, assez énervé par une défaite électorale et par les moeurs rustiques de certains camarades du sud, dénichait Paul, un » sexy boy » – ainsi l’appelait-il jadis canaillement -, un jeune premier assez fanfaron, pour y mettre de l’ordre. Après d’amusants rebondissements scandés de scrutins réussis, il y était parvenu, Paolo. Tellement bien que le Signore en avait fait un ministre, puis un président de parti faisant fonction. Tellement bien que plus personne ne doutait que le successeur du Signore, c’était le fanfaron. Il y a un an et demi, le Signore a – encore – décidé de la condition du jeune premier. Il serait ministre-président wallon. » C’est dur pour Rudy Demotte, mais je ne pouvais pas laisser Magnette sans rien « , expliquait-il, à l’été 2014, à ceux qui s’inquiétaient des raisons de ce choix. Sans rien, autrement dit avec le maïorat d’une ville de 200 000 habitants et un siège de parlementaire wallon. Paul Magnette n’aurait pas aimé, pour sûr.
Le problème, c’est qu’on n’est pas certain qu’il aime non plus ce que le Signore lui a donné, à savoir l’Elysette. Et qu’il s’occupe plutôt de ce que le Signore ne lui a pas cédé, à savoir la présidence du parti. Et que ce dernier s’en rend compte. Et qu’il n’aime pas non plus ça. C’est ainsi que, dans l’esprit du testateur, un héritier présomptif se transforme, petit à petit, en Brutus putatif.
» Je ne comprends pas la stratégie de Paul Magnette « , commente un bon connaisseur des habitudes socialistes. » Son message n’est pas celui d’un ministre-président wallon : il écrit des essais et participe à des conférences sur l’avenir de la gauche, et ne se positionne que du bout des lèvres sur les perspectives de la Wallonie et les discussions entre régionalistes et communautaristes « , poursuit-il. C’est là précisément ce qui gâte la relation entre le Signore et le jeune fanfaron : cette impression très romantique, baignant de jalousie la fierté créatrice du créateur se craignant dépassé par sa créature. Le Signore croit voir le fanfaron tenter le sorpasso.
Une journée particulière
» Vous avez vu la tête que Di Rupo tirait à la conférence de presse de présentation du livre de Paul, La gauche ne meurt jamais ? « , demande un député. Cette triste figure, c’est celle d’un matin gris du mois de mai, définitivement celle d’une journée pas comme les autres. Lorsque Paul Magnette fait publier en livre les chroniques qu’il publie dans De Standaard, il invite la presse à la présentation de l’ouvrage. Il arrive en retard dans le café de la place Rouppe où est fixé le rendez-vous. Ou bien c’est Elio Di Rupo qui était en avance. Toujours est-il que les caméras s’attardent sur le président socialiste s’impatientant, le visage fermé du Signore sirotant son espresso avec l’aigreur d’un éconduit. Le pire ? » Personne ne lui demandera rien de toute la conférence de presse : ça tombait bien, il n’avait rien à en dire « , ricane un témoin. » L’entourage d’Elio a essayé de décourager Paul de sortir ce livre « , lâche un socialiste bruxellois. » Ils n’y sont pas parvenus, mais ils ont empêché que Magnette vienne le présenter dans les fédérations : le parti lui a clairement salopé son service après-vente « , renchérit un autre. » Le livre a été pris comme une tentative de déstabilisation par certains proches de Di Rupo, qui dramatisent chaque expression, individuelle ou collective, non commanditée par le Boulevard de l’Empereur « , ajoute un Hennuyer. » Et comme Paul estime qu’il a des choses à dire sur les questions idéologiques, Elio et certains de ses proches ont tendance à y voir une volonté systématique de marcher sur ses plates-bandes « , complète-t-il.
La marche sur Rome
Après l’ouvrage de ce printemps, il y eut aussi, à la fin de cet été, deux cartes blanches, pour nos confrères de L’Echo et du Soir, dans lesquelles, s’exprimant » à titre personnel « , le ministre-président wallon dissertait sur le défi posé aux sociaux-démocrates par les nouvelles gauches radicales. La double fanfaronnade n’a pas plu non plus. » D’autant moins que la seconde a été publiée le jour où Elio Di Rupo faisait sa rentrée, sur la RTBF Radio, et que c’est donc sur ça qu’on l’a interrogé « , se rappelle un Bruxellois. Après les cartes blanches de l’été, il y eut aussi, cet automne, un colloque sur le même thème ( » Les gauches radicales, potentiels alliés ou rivaux systémiques ? « ) à Rome pour la Fédération européenne des études progressistes (la Feps, en anglais), qui suscita, chez Elio Di Rupo, une crispation du même ordre. Brillant anglophone, Paul Magnette y avait conclu les débats, presque en invité d’honneur. » Ce n’est pas à un ministre-président wallon de s’occuper de ça, en aucun cas « , tranche le même socialiste de la capitale.
A Charleroi, on se défend de velléités déstabilisatrices. On ne nie pas non plus ressentir comme une nécessité de combler un vide. » Paul a toujours été plus que loyal avec Di Rupo, à qui il doit tout. Mais il faut bien avouer que le PS n’est pas assez présent dans le débat d’idées, et que puisque la présidence ne s’en occupe pas, ou pas assez, il a bien raison de susciter le débat « , confie un cadre de la fédération socialiste d’arrondissement, qui croit savoir que » ce qui intéresse Elio, pour le moment, c’est surtout de s’occuper de sa ville, de sa gare, de ses grands travaux. D’autant plus que chaque fois qu’il a essayé de porter une voix de gauche, contre le gouvernement fédéral notamment, vous, les journalistes, l’avez descendu sans aucune retenue « . A Namur, à Mons, à Bruxelles, où Elio Di Rupo trône et/ou conserve tant et plus de relais sûrs, c’est une autre musique qui se fredonne, qui ferait de Paul Magnette un ministre-président à mi-temps, voire moins, car tout entier happé par sa destinée carolorégienne et ses aspirations doctrinales. » A Namur, Magnette n’a pas vraiment de proches, et il y a manifestement des gens, dans son cabinet présidentiel, qui font remonter le message qu’il se désintéresse de l’Elysette : la preuve, c’est qu’ils nous le disent à nous aussi… « , constate un libéral wallon. Bref, Elio Di Rupo reproche à Paul Magnette de ne pas être assez ministre-président, Paul Magnette reproche à Elio Di Rupo de ne pas être assez président, et les deux se reprochent réciproquement d’être trop bourgmestre.
Drame de la jalousie
La défiance, certes, n’est pas visible à l’oeil nu. Elle est très discrète, et se devine plutôt qu’elle ne se s’éprouve. Jamais l’un n’a pour l’autre un mot trop dur. Aucun n’a intérêt à ce qu’elle soit rendue publique. N’empêche. Entre les deux, la méfiance est réelle, dans un parti encore traumatisé par la relégation dans l’opposition fédérale, mais pas encore prêt à une guerre de succession. » On peut comprendre Di Rupo. Les jeunes qui le critiquent ne le font pas pour réclamer qu’on mette Demeyer, Demotte ou Marcourt à la présidence. Ils parlent de Magnette. Et ça, ça lui remonte fatalement aux oreilles, quand bien même Magnette ne nourrirait aucune mauvaise intention… « , glisse un parlementaire. Un autre ministre-président wallon avait lui aussi été présenté comme l’héritier désigné, le dauphin chéri d’Elio Di Rupo. On lui avait lui aussi prêté de subversives espérances, qu’il a lui aussi toujours vigoureusement démenties. Elio Di Rupo l’avait pensé là aussi, et le pense vraisemblablement encore toujours.
Aujourd’hui, le prédécesseur de Paul Magnette est rangé dans un placard presque vide à la Fédération Wallonie-Bruxelles, et se débat dans les tourments locaux à Tournai : Rudy Demotte a goûté de la méthode Di Rupo. » La technique d’Elio, c’est de mettre la grenade dans un essuie, de mettre l’essuie dans un sac, de mettre le sac dans une valise, et de mettre la valise sous le siège de l’adversaire « , résume un ancien ministre. Paul Magnette, ce fanfaron » à l’insouciance du prétentieux « , comme dit un parlementaire, a- t-il ce précédent en tête ? Peut-être. Ce n’est pas certain. Et au fond, ça n’a aucune importance. Car il peut faire ce qu’il veut ou à peu près. » Aujourd’hui, Magnette est arrivé à un niveau de pouvoir suffisant pour pouvoir se permettre d’embêter Di Rupo sans que sa position ne s’en trouve affaiblie « , résume un expert bien informé. Paul Magnette bat en effet tous les records de popularité électorale dans sa circonscription. Paul Magnette est en effet un des politiques les plus bankables pour les médias francophones. Et Paul Magnette a en effet scellé avec Willy Demeyer une alliance carolo-liégeoise censée le rendre invulnérable si d’aventure la succession du Montois à la présidence du parti devait s’avérer conflictuelle.
Parfum de femme
Un autre connaisseur recadre, tout de même, en intégrant à l’intrigue une dame à l’envoûtante volonté, Bruxelloise par conviction mais Liégeoise de naissance et prétendante éventuelle, elle aussi, au Boulevard de l’Empereur. » Magnette doit se méfier. Si Laurette Onkelinx s’allie à Rudy Demotte et, surtout, si elle parvient enfin à nouer un pacte avec des Liégeois qui comptent, il pourrait se retrouver bien plus fragilisé qu’il ne le croit « , susurre-t-il. Or, Laurette Onkelinx, qui gère déjà le parti à Bruxelles sans trop en référer à son président national, veille bien à ne pas s’émanciper d’une distribution des rôles bien établie. Le lundi, en bureau de parti, Paul Magnette se tait, le nez dans ses dossiers, tandis qu’Elio Di Rupo trace la ligne partisane et que Laurette Onkelinx le défend avec zèle. » A ce jeu, Paul Magnette pourrait vraiment se retrouver isolé parmi les élites du PS « , note encore cet expert. Sa relative distanciation d’avec le Signore, pour peu qu’elle soit filmée et montée, réduirait Paul Magnette à la victime d’un divorce à l’italienne. Il n’en a ni l’envie, ni l’intérêt. Le Signore non plus. Le parti non plus. Laurette Onkelinx peut-être.
Par Nicolas De Decker
» Ce qui intéresse Elio, pour le moment, c’est surtout de s’occuper de sa ville, de sa gare, de ses grands travaux »