Lynda Lemay, chanteuse nature

Ses textes caustiques scrutent le dérapage des relations humaines et ses chansons chatouillent la langue française. La Québécoise Lynda Lemay ne hurle pas la vie, elle la raconte avec humour

CD Les Secrets des oiseaux, chez Warner, en concert les 3 et 4 février au Cirque royal, à Bruxelles (02 218 20 15).

Fin novembre, dans sa suite à rallonge d’un hôtel parisien, Lynda Lemay apparaît peu vêtue d’une robe à gorge profonde et de bottes haut perchées.  » Je viens de faire une série de photos pour un magazine féminin « , s’excuse-t-elle presque, rajoutant cinq minutes plus tard que,  » de toute façon, je ne m’habille jamais très fort « . En relation donc avec son goût pour dévêtir les personnages de ses chansons : la femme qui hurle son accouchement ou celle qui bat sa fille. Qu’elle raconte les marivaudages humains ou le toilettage des chiens, les postillons de la chanteuse ou les  » maudits docteurs « , Lemay use toujours de ce mélange de bonne franquette linguistique et d’ironie défiolante. A 37 ans, récompensée par un large succès public des deux côtés de l’Atlantique, Lemay est bien décidée à ne pas garder sa langue en poche. Comme en témoigne son nouvel opus salé au titre enfantin, Les Secrets des oiseaux.

L e Vif/L’Express : Sur le nouveau disque, dans Le Vieux Garçon , vous chantez :  » Avec son mouchoir au bord d’la main/Et sa vilaine toux mal soignée/Avec ses multiples verres de vin/Et son gosier bien arrosé (…) Le vieux garçon/Croyait en rien/Ni Dieu, ni femme, ni gamins.  » Cela s’adresse à votre fiancé Laurent Gerra (NDLR : comique français plutôt offensif) : qu’a-t-il pensé de son portrait ?

Lynda Lemay : Je ne parle pas beaucoup de ma vie privée en entrevue. Tout ce que j’ai à dire est dit dans Le Vieux Garçon.

Bon, d’accord. Apparemment, tout le monde en prend pour son grade. Par exemple, dans Ça sent le bébé :  » Ça sent l’bébé sale/ Enfariné d’talc/Ça sent l’poulet cru/En train d’mariner/Dans son propre jus/Sa sauce fécale/Ça sent l’p’tit Jésus/Qui a sali sa paille.  »

Je suis une maman, donc cela a déjà senti le bébé chez moi. Je ne m’en rendais pas compte et j’étais très fière de ma progéniture. L’écriture de cette chanson vient davantage de mes souvenirs de baby-sitter : je n’avais pas l’instinct maternel et quand je rentrais dans une maison avec un bébé, j’étais prise à la gorge. Je me disais que je n’aurais pas le tour avec le bébé en question et cela créait un immense malaise en moi. Cette chanson est une critique de l’odeur… L’odeur d’un bébé dans une maison subsiste même si tout y est étincelant ! Je pense qu’à la fin de la chanson les gens ont l’odeur du bébé dans le nez !

Ce que les gens aiment chez vous, ce n’est pas l’odeur du bébé mais l’odeur de la langue !

Je n’ai pas peur des mots et j’aime tous les mots, même ceux qu’on n’a pas l’habitude d’ entendre en chanson. Dans J’ai battu ma fille (NDLR : sur son album Du coq à l’âme paru en 2000), je dis :  » Couchée dans l’corridor/Abattue comme une quille/Elle me répète à mort/Que je ne suis pas gentille/Et devant son petit corps/Qui se recroqueville/J’me confonds en remords.  » J’aurais pu mettre le  » je  » au  » elle « . Un tel geste d’impatience aurait pu m’arriver mais est arrivé à l’une de mes amies qui avait donné à sa fille une tape sur le bras. J’ai eu le réflexe de ressentir la culpabilité qu’elle ressentait. Mais pour quelqu’un qui a réellement vécu la violence dans son enfance, cela a une autre résonance ! J’ai reçu une lettre très dérangeante d’une femme qui bat son enfant et qui me disait  » Toi, tu vas me comprendre.  » Elle savait que la chanson ne lui donnait pas la permission de frapper mais elle y sentait une ouverture d’esprit… Je lui ai répondu en pensant avoir trouvé les mots pour la sécuriser et pour qu’elle aille chercher de l’aide mais cela n’a apparemment pas suffi…

Quelles valeurs éducatives avez-vous reçues dans votre enfance ?

Des valeurs de bonté, d’honnêteté, d’amour. Nos parents se sont toujours aimés sous nos yeux, c’est une vraie belle relation. J’ai vécu dans une ambiance d’amour et de paix, mes meilleures amies étant mes deux s£urs. J’étais celle qui passait inaperçue : entre l’aînée au courant de tout et la plus jeune qui me faisait rire et dont j’utilise aujourd’hui l’humour dans mes chansons.

D’où votre petit faible pour les comiques ? (NDLR : outre son actuelle relation médiatisée avec Laurent Gerra, Lynda a eu sa fille avec le comique canadien Patrick Huard.)

Oui, cela doit être cela (sourire).

Une chanson comme Les Epouses raconte tout ce que vous n’avez pas envie de devenir :  » C’est d’les voir, les soumises/S’effacer, se résoudre/A n’servir qu’à recoudre/Un bouton de chemise (…) Je n’veux pas ressembler/Au commun des visages/Et porter le parfum/Des victimes du mariage  » !

Je me décris vieillissante, avec la perspective de devenir un boulet pour l’homme que j’aime, qui, lui, par promesse tenue, décide de me garder. Jeter cela sur le papier est une façon de me débarrasser de mes craintes, de faire qu’elles ne m’habitent plus ! Cela démontre aussi ma lucidité : même si j’avais tendance à devenir ça, l’homme que j’aime saurait toujours comment me sauver !

Est-ce que les tentations charnelles de l’homme de quarante ans ou plus û le démon de midi û ont un équivalent chez les femmes ?

Je ne peux pas généraliser mais, personnellement, contrairement à ce que j’écris, je suis une femme capable de beaucoup de fidélité ! Ce qui peut être dérangeant pour les hommes parce qu’alors ils n’ont pas le prétexte d’être infidèles.

Vous êtes parfois c£ur d’artichaut ?

 » C£ur d’artichaut « , cela veut dire c£ur tendre ? Oui. Quand on était jeune, à la maison, on écoutait des musiques tristes pour voir qui allait pleurer la première. On avait de drôles de jeux ! J’étais toujours la dernière à pleurer, ce qui me permet peut-être de garder la distance par rapport à l’émotion.

Je ne veux pas dire que vous n’en avez pas, mais comment vous sentez-vous par rapport aux chanteuses  » à voix  » ?

Je me suis toujours sentie différente, jamais en compétition. Si je n’avais pas été auteur ou compositeur, je n’aurais jamais chanté de ma vie, ce n’était pas un rêve. Je ne me connaissais pas ce talent-là. A 17 ans, quand j’ai commencé à murmurer mes chansons à mes parents, ils m’ont dit que, même si je n’avais qu’un filet de voix, ma voix était juste et l’émotion passait ! J’ai donc continué à oser murmurer mes chansons à des gens moins proches.

Le Diplômé raconte votre visite chez le psy !

Je ne l’avais pas encore faite à l’époque où j’ai écrit la chanson. Mais cela m’est arrivé un peu plus tard lorsque j’ai décidé de prendre une année sabbatique. Je me suis rendu compte que je n’étais pas faite pour être dans l’ombre même si, pendant les tournées, on regrette de ne pas avoir plus de temps, par exemple pour apprendre l’italien (sourire). Quand j’ai arrêté de travailler, je suis tombée malade à répétition comme si mon corps me disait qu’il ne fallait pas arrêter ! J’ai donc terminé l’écriture de mon opéra folk qui sortira fin 2004 et, les chansons s’accumulant, tant qu’à faire, j’ai décidé de sortir un disque puis de partir en tournée !

Vous êtes dans le cycle du succès mais on sait qu’en chanson tout peut arriver. Comment gérez-vous cela ?

Jusqu’à présent, je réussis toujours au-delà de ce que je pouvais espérer. Je me contenterais de moins, donc j’apprécie ce que j’ai ! En même temps, je suis bien consciente qu’il peut y avoir des vagues dans une carrière : s’il fallait que j’aie moins de succès sur une tournée, je remonterais bien les marches après.

Pour nous, l’accent canadien se remarque tout de suite. Je suppose que c’est la même chose pour vous quand vous entendez les Belges ou les Français ?

Oui. C’est vous qui avez un accent, pas nous (rires).

Entretien : Philippe Cornet

 » Je n’ai pas peur des mots et j’aime tous les mots « 

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