L’union fait le jeu

Pour la première fois de son histoire, la GamesCom, salon international du jeu vidéo, prenait des couleurs belges, la semaine dernière, à Cologne. Un stand national qui illustre l’ébullition créative et politique du gaming indépendant du nord au sud du pays. Explications.

Des voltiges aériennes de Star Wars Battlefront au très scorsesien Mafia III, la Gamescom débordait encore de blockbusters aux budgets pharaoniques, cette année, à Cologne. Businessas usual pour ses 345 000 visiteurs parmi lesquels se glissaient 32 200 professionnels du jeu vidéo. Du 5 au 9 août, le plus grand événement du gaming au monde se profilait comme une édition historique pour la Belgique qui y plantait, pour la première fois, un pavillon noir jaune rouge. Ce stand abritant douze développeurs indépendants flamands, wallons et bruxellois, est né d’un de ces montages miraculeux dont seul notre pays a le secret.

Edifié en une poignée de mois par quatre acteurs, l’édifice national –  » pas fédéral « , insiste-t-on sur le stand – a demandé un budget de 25 000 euros dont la moitié a été avancée par les Régions, le reste par les studios.  » Andrea Di Stefano, l’organisateur des Brotaru (un événement du gaming bruxellois) m’a téléphoné pour me demander si on installait un stand pour la GamesCom « , se souvient Guillaume Béland, cluster manager de Screen Brussels, un des trois partenaires financiers du projet.  » J’ai immédiatement contacté Thibaut Claes, de Startups.be, pour voir si on ne pouvait pas faire quelque chose. Puis, de fil en aiguille, la Flega et la Walga, les associations flamande et wallonne du jeu vidéo, ont rejoint le projet.  »

Asbl de soutien à l’entrepreneuriat technologique qui a l’habitude d’envoyer des jeunes pousses sur des salons à travers le monde, Startups.be a finalement mis en musique un projet rapidement exécuté, puisqu’il a démarré en avril dernier. Malgré l’absence de Larian (studio gantois reconnu internationalement, qui a déménagé en Irlande et ouvert une antenne au Canada) qui, succès aidant, faisait bande à part, toute la sphère du gaming belge se rassemblait sur un seul espace d’à peine 50 mètres carrés. De quoi se serrer les coudes, au propre comme au figuré.

Développer à tout prix

Sur place, les douze projets qui s’offraient aux visiteurs restaient majoritairement l’oeuvre de microéquipes de deux à trois personnes. Même Epistory, charmant jeu d’aventure de Fishing Cactus (deuxième plus gros studio belge après Larian) était programmé par une team réduite d’une poignée de développeurs. Certains projets, comme le jeu de combat Domiverse de Haunted Tie, sont quant à eux le fruit de semi-amateurs. L’ensemble brosse un paysage hétéroclite, plus animé par la passion du jeu  » fait maison « , que par le gros business des majors du milieu.

Satirique, inspiré de l’univers cartoon des studios LucasArts et librement adapté de Bomberman (jeu culte des années 1980), Bombslinger est ainsi porté à bout de bras et à plein temps par les producteurs Andrea Di Stefano et Ferry Keesom. Joli coup de pub : leur titre PC pouvait être testé au salon sur une borne d’arcade de la House of Indie, collectif anversois de promotion du jeu indépendant.  » Vivre sur nos économies pendant un an, ce n’est pas le plus stressant, sourit Andrea Di Stefano. Pas autant que la dernière phase de développement du jeu que nous traversons. Elle demande des investissements lourds comme l’engagement d’un illustrateur ou la location du stand de la Gamescom. Quand on n’a pas de rentrées financières, ça fait mal.  »

Walga, le retard rattrapé

Loin des 23 000 emplois qu’il engendre en France, le secteur vidéoludique ne fait tourner que 500 jobs (recensés en 2012) dans notre pays. Un chiffre qui pourrait toutefois augmenter ces prochaines années car les équipes éclosent et les efforts se coordonnent. En mai dernier, la Wallonia Games Association (Walga) était fondée par des membres de Fishing Cactus, Abrakam (autre studio de développement présent sur le stand belge) et Yves Grolet (figure historique du gaming wallon à qui l’on doit le jeu d’aventure Outcast). Comme son homologue flamande la Flega, la Walga entend donner plus de poids au secteur face aux décideurs politiques.

 » A court terme, nous voulons débloquer des leviers de financement régionaux pour les créateurs wallons de jeux vidéo. Des aides identiques à celles qu’offre la Flandre « , note Bruno Urbain, patron de Fishing Cactus et cofondateur de la Walga.  » Mais nous ne visons pas que la création d’aides publiques. La reconnaissance de cette industrie est tout aussi essentielle. Aider le jeu vidéo dans le sud du pays, c’est aussi éduquer le privé pour qu’il investisse dans ce secteur.  »

Comptant une quarantaine de studios actifs en Flandre, une quinzaine en Wallonie et une poignée à Bruxelles, l’industrie vidéoludique belge dégageait 41 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012. Une bonne partie provient logiquement du nord du pays qui, cette même année, débloquait des subsides via le Vlaams Audiovisueel Fonds. Cette aide en amont qui atteint 730 000 euros en 2015 n’est cependant pas idéale aux yeux de tous.

 » Les jeux qui en ressortent n’ont pas de valeur sur le marché. Cette politique a engendré une culture de petits studios qui réalisent leur projet en fonction du subside « , souligne Swen Vincke, patron du studio gantois Larian.  » Je préfèrerais une diminution des coûts salariaux, cela motiverait les firmes à investir par elles-mêmes « .

Union sacrée

En attendant un geste du secteur public (la Région de Bruxelles-Capitale viserait déjà deux à trois projets dès 2016), la création bouillonne du nord au sud du pays. Des games meetup mensuelles ont ainsi fleuri à Anvers, Bruxelles et Liège en moins d’un an. Organisés dans des cafés ouverts au public,l’Indie Game Salon, la Brotaruet l’Apéro jeu vidéomettent ainsi en contact graphistes, sound designers et programmeurs isolés. Mieux : dès le projet en marche, les créateurs peuvent faire tester leur jeu par le public pour recueillir son avis.

Si la sensibilisation avance en Wallonie, la Walga ne s’arrêtera toutefois pas à ce niveau puisqu’officieusement, elle a déjà rencontré (avec la Flega) des responsables fédéraux pour discuter d’un Tax Shelter à la sauce jeu vidéo.  » Les statuts d’une association nationale sont prêts, on y travaille depuis six mois « ,conclut Laurent Grumiaux, directeur commercial de Fishing Cactus et cofondateur de la Walga.  » L’année prochaine, j’aimerais que le drapeau belge soit remplacé par notre propre logo sur le stand Belgium Games. « 

Par Michi-Hiro Tamaï

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