» L’UMP m’a massacré « 

Guy Alves coprésidait la société de communication qui a organisé les meetings du candidat Sarkozy en 2012. Au coeur de la tourmente judiciaire depuis qu’un système de fausses factures a été révélé, il nie tout détournement. Et maintient qu’il s’agissait d’un financement illégal de la campagne. Interview exclusive.

Le Vif/L’Express : Vous voici à nouveau suspecté d’escroquerie. Que répondez-vous à ces accusations de surfacturation ?

Guy Alves : Je me suis très rarement exprimé, mais je mets au défi quiconque de dire que j’ai menti. Je préfère ne pas parler que de dire un mensonge. Je n’ai pas été témoin de tout ce qu’il s’est passé : je ne sais pas, par exemple, si Jean-François Copé ou Nicolas Sarkozy ont été informés du système de fausses factures. Je ne peux évoquer que ce que j’ai vécu. Il y a un an, certains pouvaient s’interroger sur un éventuel détournement d’argent. Plus maintenant ! Nous avons donné toutes les pièces comptables du groupe Bygmalion, j’ai donné accès à mes comptes privés. Qui peut croire, après quinze mois d’analyse de ces documents par 20 policiers, trois magistrats, un mandataire liquidateur, sans oublier quatre contrôles fiscaux, qu’il y ait un trou de 9 millions d’euros ? L’affaire Bygmalion n’est qu’une histoire de financement illégal de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy.

Pourtant, certains continuent de soupçonner un détournement au profit de Bygmalion.

J’assume ma participation à un système mis en place pour prendre en charge les dépassements du compte de campagne du candidat Nicolas Sarkozy, et je suis prêt à être condamné pour cette infraction, mais je peux vous certifier que personne n’a détourné 1 euro à son profit personnel. Parce que Guillaume Lambert s’intéresse à la comptabilité d’entreprise depuis le mois dernier, nous devrions le croire lorsqu’il prétend qu’il manque des factures pour 9 millions d’euros ? L’ancien directeur de campagne du candidat se défend comme il le souhaite, mais qu’il ne dise pas qu’on a détourné 9 millions : c’est faux et il le sait ! Nous n’avons pratiqué que des virements bancaires, aucun en provenance ni à destination de l’étranger, et aucun retrait en argent liquide n’a été effectué. Les entrées et les sorties d’argent sont transparentes. Et les dirigeants de la société n’ont perçu aucun dividende.

Où sont allés les millions reçus de l’UMP ?

L’argent n’a été utilisé que pour payer des prestataires qui ont réalisé les meetings de Nicolas Sarkozy. Nous avons gardé une marge brute de 23 %, un niveau standard pour les sociétés de communication événementielle. Là- dessus, nous avons payé les salaires, les frais d’une dizaine de collaborateurs et l’impôt sur les sociétés. Ma rémunération était de 10 000 euros par mois comme coprésident de notre groupe, soit la moitié de celle de Guillaume Lambert comme directeur de campagne. Par ailleurs, j’avais des actionnaires : comment aurais-je pu justifier auprès d’eux que je baissais nos marges pour l’UMP ? Et, si je l’avais fait, cela aurait été considéré comme un financement illégal de campagne électorale. Cette marge tout à fait légale ne m’a pas permis d’acheter des voitures de luxe, comme certains l’ont écrit. Dans la cour de Bygmalion, je ne pouvais même pas rentrer ma Smart, alors une Aston Martin… Cette marge a financé la vie de notre entreprise et son développement tout simplement.

Il y aurait eu des fausses factures avant la campagne présidentielle, ce qui sème le trouble.

C’est faux. Une prestation de 2011 pour l’UMP a été facturée la même année. Et le parti nous a demandé, pour des raisons budgétaires, de différer la moitié du règlement à 2012.

En juillet dernier, Franck Attal, le patron d’une filiale de Bygmalion, et Matthieu Fay, l’ex-comptable, ont reconnu devant le juge avoir surfacturé quatre meetings, pour un montant de 1 million d’euros. Explication ?

Puisque nous avons baissé d’un côté le prix réel des 44 meetings de la campagne Sarkozy, nous avons dû affecter ce manque à d’autres événements, telles les soirées électorales, qui ne sont pas inscrites aux comptes de campagne. C’est un changement d’intitulé des factures. Ces dernières ont été gonflées pour couvrir celles qui avaient été baissées. Ni plus ni moins.

Quel est le déclic qui provoque le montage illégal ?

A la fin de mars 2012, nous devons 10 millions d’euros à nos prestataires. Franck Attal grogne auprès de l’UMP, sous la pression des intermittents qui attendent d’être payés chaque fin de mois. Et, là, Jérôme Lavrilleux dit à Franck Attal :  » Si vous voulez être payés, il faut que vous acceptiez qu’une partie de ce qui vous est dû soit versée de manière techniquement illégale, par l’UMP.  » Bastien Millot et moi avons accepté. Si on nous avait proposé du cash ou de facturer à un grand groupe du CAC 40 ou à une banque du Qatar, j’aurais refusé. J’accepte ce montage illégal, car, si je ne suis pas payé, notre boîte coule et parce que l’UMP nous paie par virements traçables pour la campagne de son candidat. Je sais que c’est illégal, mais je n’ai pas eu le sentiment de détourner de son esprit l’argent de l’UMP qui a servi à son candidat.

Jérôme Lavrilleux conteste votre récit…

Il ne reconnaît pas son rôle. Je veux bien qu’on dise : je n’y étais pas, j’étais en vacances, je n’ai pas vu. Comme mon associé, qui a découvert le 24 mai 2014 que le chiffre d’affaires de sa boîte avait augmenté de 200 % ! Peut-être que Bastien Millot (NDLR : fondateur et patron de Bygmalion) dormait pendant l’assemblée générale de Bygmalion. Il est possible aussi qu’il n’ait jamais parlé à Jérôme Lavrilleux. Mais c’est bien ce dernier qui a proposé le montage illégal à mon collaborateur Franck Attal, en qui j’ai une totale confiance. Toute cette ventilation entre les factures divisées par 7 pour le compte officiel de campagne et les fausses factures pour l’UMP, émises à partir de début avril 2012, figurait sur une clé USB… que j’ai remise à la police. Même les intitulés des factures nous ont été donnés par l’UMP pour que nous puissions les leur renvoyer. Il faut vraiment que certains cessent de mettre la vérité cul par-dessus tête.

Vous êtes aussi accusé d’avoir eu un niveau de facturation déraisonnable pour certains meetings. Que répondez-vous ?

Est-ce moi, par exemple, qui ai demandé, la veille, que l’on change le fond de scène du rassemblement sur la place de la Concorde ? Est-ce moi qui ai demandé 10 000 drapeaux français vingt-quatre heures avant le meeting ? Il n’y avait que ce type de requêtes durant toute la campagne, quand les meetings n’étaient pas carrément décidés quarante-huit heures à l’avance. L’histoire, c’est qu’au départ le candidat ne veut qu’une campagne d’un mois et quatre meetings seulement, puis qu’il nous a fallu, finalement, en organiser dix fois plus, en catastrophe, avec un standing de niveau G 20. C’était les Rolling Stones tous les soirs !

Ne craignez-vous donc aucune expertise ?

Aucune. Ne nous trompons pas, les nouvelles demandes d’expertise déposées par la défense de Guillaume Lambert n’ont pas vocation à établir la vérité, mais à retarder la fin de l’information judiciaire. C’est leur droit de jouer la montre, je n’ai pas à juger la stratégie de défense de chacun, même si j’ai hâte d’être jugé, afin de tourner la page. Arrêtons les fables ! Qui m’a assassiné ? Le PS, Anticor ou la Ligue des droits de l’homme ? Qui m’a traité de mafieux ? Un député des Alpes-Maritimes… Jean-François Copé a porté plainte contre Bygmalion, l’UMP m’a massacré… et certains, certes de moins en moins nombreux, continuent de le faire.

Le font-ils pour empêcher un procès pendant la primaire de LR (les Républicains) ?

Bien sûr, et c’est de bonne guerre. A la fin de l’information judiciaire, vous verrez qu’il y aura une multiplication de recours devant la chambre de l’instruction, ce qui retardera encore le renvoi en correctionnelle.

Par Pascal Ceaux et François Koch

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