L’ultime remède ?

Terrorisme, migrants, climat, socio-économique… Face aux crises à répétition, de plus en plus nombreuses, fréquentes et menaçantes, l’état de choc, la peur, la méfiance et le cynisme dominent. A tort, plaide le maître d’oeuvre du World Book of Hope : c’est l’espoir qui nous fera triompher de l’obscurantisme. Forcément ?

Le livre tombe à point nommé. L’Espoir. The World Book of Hope. C’est le titre du dernier volet de la trilogie, coordonnée par Leo Bormans, journaliste, écrivain et conférencier belge, après Le Bonheur. The World Book of Happiness et The World Book of Love. Le secret de l’Amour, deux best-sellers mondiaux. Le principe est chaque fois pareil : Bormans a sélectionné, dans cinquante pays, cent scientifiques et universitaires de premier plan, en leur demandant de résumer, en mille mots, les résultats de leurs recherches sur ces trois thèmes qui sont au centre des préoccupations de chacun.  » Moi, dit-il, je ne savais rien sur l’espoir. Je l’ai donc étudié durant deux ans. En fait, je veux « infospirer », c’est-à-dire transmettre les informations les plus récentes susceptibles d’inspirer les gens à changer d’attitude, à modifier leurs habitudes et à agir pour promouvoir le bien. Car on peut prendre sa vie en main. Comme dit Shane J. Lopez, scientifique à l’institut Gallup et spécialiste mondial en psychologie de l’espoir : « On peut apprendre à être pleins d’espoir. C’est un choix et c’est contagieux ».  »

L’espoir, c’est quoi ?

Dans le passé, l’espoir était synonyme d’un sentiment assez vague, flou, doux, intangible. Une sorte de désir et d’attente, de valeur presque, reliés, le plus souvent, au sentiment religieux. Les recherches scientifiques sur l’espoir ont démarré il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui, à travers le monde, environ 300 spécialistes – économistes, sociologues et psychologues – sont en train d’étudier l’espoir. De leurs recherches, il apparaît que, si le bonheur est l’ultime motivation de nos actions et si l’amour est le sentiment ou l’émotion suprême de notre vie, l’espoir en est le moteur. Ou le carburant qui fait tourner ce moteur. Il porte sur l’avenir mais surtout sur le renforcement de notre résilience au présent. Autrement dit : l’espoir serait comme l’oxygène de la vie. Dans le livre, Shahe S. Kazarian, professeur de psychologie à l’université américaine de Beyrouth, cite ce proverbe arabe :  » On peut vivre quelques semaines sans nourriture, quelques jours sans eau, mais pas une seconde sans espoir.  »

Angélique, face à l’ampleur des tourments auxquels la plus grande partie de la planète fait face aujourd’hui ? Pas du tout, affirme Leo Bormans.  » Moi, j’habite à Bourg-Léopold, dans le Limbourg. La commune a accueilli 500 réfugiés afghans et syriens. Je m’occupe d’un jeune couple et de ses filles âgées de 2 et 4 ans. Je les invite à la maison pour prendre un café, je les guide en ville, je mets à leur disposition notre salle de bains. C’est la première fois de leur vie qu’ils ont vu une salle de bains ! Les talibans ont brûlé la maison des parents et ont égorgé le père du mari. Ils ont fui l’Afghanistan, terrorisés par les talibans. Et pourtant, ils sont pleins d’espoir. Celui de pouvoir changer leur vie, surtout celle de leurs enfants. Nous voulons d’ailleurs tous construire un monde meilleur. Il ne faut pas oublier que la Seconde Guerre mondiale a fait 70 millions de victimes. Mais nous avons survécu, nous n’avons pas été paralysés par l’angoisse, nous avons rebondi. Tout ça, grâce à l’espoir.  »

Cet espoir est fondé sur trois composantes. D’abord, les objectifs qu’il comporte. Concrètement : c’est à chacun de fixer ses propres buts, à chacun de déterminer quel type de projets il veut accomplir dans la vie, ce qu’il veut devenir. Ensuite, les chemins pour y parvenir : parfois droit, parfois tortueux, parfois semé d’embûches. Les gens remplis d’espoir avancent, imperturbables, quel que soit le terrain. Car ils ont compris que les obstacles (accidents et maladies), les difficultés et les échecs font partie de l’expérience humaine et sont capables de les franchir.  » Prenons comme exemple la métaphore de l’eau, intervient Leo Bormans. Calme et paisible, elle peut devenir une force redoutable quand on place un barrage ou une turbine en travers de son cours. Dans la réalité, on peut estimer que les terroristes ont construit un barrage, mais nous pouvons utiliser l’espoir, notre grande force humaine, pour l’anéantir. Nous vivons, certes, quelque chose de terrible, mais il ne faut jamais oublier la puissance de la force humaine. Souvenez-vous de cette vidéo, tournée place de la République à Paris, qui a fait le tour du monde et a été visionnée par dix millions de personnes. Le petit garçon dit : « Les méchants, ce n’est pas très gentil. » Et le père répond : « Oui, ils ont des mitraillettes, mais nous, on a des fleurs et des bougies pour se protéger. » Quand on sait ça, tout de suite, ça va mieux.  »

L’autodétermination est le troisième élément de l’espoir : beaucoup de gens se considèrent victimes de la vie et des événements. Ce qui réduit leur flexibilité et leur capacité d’adaptation aux changements et limite les choix qui s’offrent à eux. Il faut donc devenir acteur de sa vie, nous rappellent les scientifiques qui contribuent au  » grand livre de l’espoir « .

Comment booster son niveau d’espoir ?

L’espoir est donc essentiel parce qu’il évite de sombrer. Bonne nouvelle : on peut apprendre à augmenter son niveau.  » L’espoir n’est pas l’optimisme, nuance Leo Bormans. L’espoir, c’est l’optimisme avec les manches retroussées. Il appelle à l’action. Nous pouvons élargir notre horizon d’espoir en nous penchant sur notre passé. La façon dont nous nous souvenons de nos actes posés justifie ce que nous croyons possible dans l’avenir. On peut se dire : « Je crois que le futur sera bon et j’agis en fonction de cela. » La vraie puissance de l’espoir réside dans l’exploration des différentes possibilités qui s’offrent à nous. Il faut aussi accepter nos imperfections et adapter constamment nos objectifs. Il faut croire et agir. Nous avons besoin de leaders pleins d’espoir, capables de nous le transmettre et d’agir au nom de cet espoir annoncé.  »

Agir. Et ne pas seulement espérer. C’est ce à quoi encouragent plusieurs des spécialistes sollicités pour L’Espoir. The World Book of Hope. Pas tous. Ainsi, le psychanalyste canadien Guy Corneau relève qu’  » aussi essentiel qu’il paraisse, l’espoir n’en est pas moins une sorte de poison qui peut nous empêcher d’affronter avec lucidité une situation réelle. Car force est de constater que, la plupart du temps, nous nous contentons d’espérer passivement que cela aille mieux, d’attendre que passent les moments difficiles.  » Une façon d’accepter son sort (puisque  » ça ira de toute façon mieux demain « ). Ou de légitimer ses actes (l’espoir d’autre chose, de mieux, pour soi, justifie la pire des abominations envers les autres).

Un peu ce que l’Architecte prétend avec emphase dans le film d’anticipation Matrix :  » L’espoir. La quintessence de l’illusion humaine. La source de votre force maximale et, en même temps, de votre plus grande faiblesse.  »

[Extraits] L’affrontement entre les deux trajectoires de l’espoir

Par Shahe S. Kazarian, professeur au département de psychologie de l’université américaine de Beyrouth (Liban).

La vision occidentale individualiste et horizontale de l’espoir imprègne les jeunes d’une culture d’agentivité personnelle, selon laquelle les gens choisissent leurs propres objectifs et leurs propres trajectoires, et comptent sur leurs propres forces pour réaliser leurs objectifs. De la même manière, la vision collectiviste et hiérarchique de l’espoir (amal et rajaa en arabe), caractéristique du monde arabe, imprègne les jeunes d’une culture d’agentivité collective, selon laquelle les gens se fixent et poursuivent des objectifs et des trajectoires modelés en premier lieu par des institutions externes au moi, telles que la famille et des cercles politiques ou sectaires.

Dans les deux cultures, l’agentivité personnelle et l’agentivité collective peuvent être modelées par la dualité religieuse crainte-espoir. Cette dualité est une source d’inspiration pour la foi et l’espérance des gens dans l’amour ultime, la sagesse, la bienveillance et la miséricorde du Tout-Puissant, et l’invocation de sa volonté (Inch’Allah en arabe), pour que les résultats désirés se réalisent dans cette vie ou dans la vie après la mort.

Une conséquence imprévue de la culture d’agentivité personnelle est la responsabilisation d’un  » moi  » narcissique aux dépens du bien collectif du  » nous « , alors qu’une conséquence imprévue de la culture d’agentivité collective est la responsabilisation du  » nous  » aux dépens d’un  » moi  » marginalisé et sacrifié, voire martyrisé.

Le premier message est le suivant : l’intégration des jeunes à la fois dans la culture d’agentivité personnelle et dans la culture d’agentivité collective a plus de chances de produire plus d’amour individuel et collectif, plus de bonheur et plus d’espoir dans le village global.

La foi religieuse et l’espoir

Par Ahmed M. Abdel-Khalek, professeur de psychologie à l’université d’Alexandrie (Egypte).

Comme le souligne Seligman (NDLR : psychologue américain enseignant à l’université de Pennsylvanie), le domaine de la psychologie positive porte sur de précieuses expériences subjectives : le bien-être, le contentement et la satisfaction (dans le passé) ; l’espoir et l’optimisme (pour l’avenir) ; l’expérience optimale (ou flow) et le bonheur (au présent). Il porte aussi sur la gratitude, le pardon, la foi religieuse et la spiritualité. Dans l’ensemble, la psychologie positive nous indique comment rendre les gens forts et résilients. L’espoir est un des principaux concepts de psychologie positive. Il constitue une attente générale, relativement stable, pour l’avenir. Il implique des processus cognitifs axés sur les objectifs, opérant en vue de précieux résultats perçus. L’espoir est en grande partie un trait cognitif. Il peut être un état, un trait ou une approche générique des événements de la vie.

Le professeur Scioli (NDLR : professeur de psychologie clinique au Keen State College, Etats-Unis) et ses collègues ont conçu une approche intégrative de l’espoir, qui met l’accent sur les motivations ayant trait à la maîtrise, à l’attachement, à la survie et aux croyances spirituelles. Une étude transculturelle basée sur cette approche a montré que les participants arabes avaient un plus grand espoir spiritualisé, alors que les Américains avaient un plus grand espoir non spiritualisé.

Des recherches ont identifié plusieurs corrélats de l’espoir. Pour citer quelques exemples, l’espoir et l’optimisme sont des concepts étroitement liés, mais non redondants. L’optimisme se définit comme une tendance stable à croire que les bonnes choses arriveront et non les mauvaises. L’autoefficacité est liée aussi à l’espoir. L’autoefficacité est la croyance dans sa propre capacité à manifester des comportements particuliers. L’espoir est un concept lié à la satisfaction dans la vie. D’autres corrélats de l’espoir sont l’adaptation psychologique, l’estime de soi, l’acceptation sociale et l’apparence physique. En résumé, l’espoir nourrit le bien-être subjectif et construit la résilience psychologique.

La foi religieuse est un facteur clé du bien-être et de l’espoir dans la vie de beaucoup de gens, en particulier chez les personnes âgées et très âgées. La foi religieuse offre l’espoir que tout finira bien. Comme l’affirmait le professeur Myers, l’engagement religieux et spirituel propose des réponses à certaines des questions les plus fondamentales et favorise une appréciation plus optimiste des événements de la vie. De plus, un sentiment d’espoir émerge lorsque nous sommes confrontés à la terreur résultant de la conscience de notre vulnérabilité et de notre mort. Comme l’a dit Rubem Alves :  » Espérer, c’est écouter la mélodie de l’avenir ; croire, c’est danser sur elle.  » Nombreuses sont les personnes dans le monde qui puisent une bonne part de leur espoir de leurs croyances religieuses et spirituelles.

Et délivrez-nous de l’espoir !

Par Guy Corneau, psychanalyste jungien, Québec (Canada).

L’espoir recèle aussi un aspect pernicieux. Il nous amène à remettre sans cesse à plus tard la raison même de notre existence : le bonheur. A quoi bon attendre d’aller mieux pour être heureux ? A quoi bon attendre que la douleur cesse pour aller mieux ? A quoi bon attendre la guérison pour jouir de la vie ? A quoi bon attendre ?

Nous croyons fermement que notre bonheur s’intensifiera si nous accomplissons telle chose, si nous nous astreignons à telle discipline, si nous abandonnons tel comportement et si nous réglons tel problème. Cependant, l’ajournement de l’essentiel – le bonheur – au nom de l’espoir de jours meilleurs est une forme de leurre ayant une conséquence importante : vivre d’espoir est la recette infaillible du désespoir et de la mise en échec de soi. L’espoir devient la source d’une piètre image de soi, car nous nous retrouvons sans cesse en déficit par rapport à nos attentes. En effet, nous sommes rarement à la hauteur des espoirs que nous formulons intérieurement en vue de l’amélioration de ce que nous sommes.

[…] Vivre sans espoir offre la chance de constater que la vie est sans cesse présente et que nous pouvons en jouir en toutes circonstances. Abandonnez pour quelques instants ou quelques jours tout espoir d’un monde meilleur ou d’une version améliorée de vous-même. Un poids glissera instantanément de vos épaules, et vous vous retrouverez dans l’instant présent. […] L’espoir ne servirait-il donc qu’à nous arracher au présent ? Non, bien sûr. Certaines circonstances de notre vie sont si difficiles que nous ne parvenons pas à transformer notre état intérieur. Nous sommes trop submergés par ce qui nous arrive. Dans ces moments-là, il est essentiel de garder espoir et confiance en la vie. Par contre, si vous êtes capable de sortir votre tête de l’eau, la transformation de votre état intérieur par l’imagination créatrice, la méditation et l’action vous aidera plus sûrement que l’espérance. Vivre au présent est le but visé ! Sortir de l’attente est le but visé ! Vivre dans la découverte constante de chaque instant constitue le véritable espoir que chacun devrait entretenir.

L’espoir. The World Book of Hope. Source de succès, de résilience et de bonheur, par Leo Bormans et 10 scientifiques, éd. Racine, 378 pages.

Par Barbara Witkowska

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