L’otage libéré

Guy Gilsoul Journaliste

Les grandes causes ont le don de récupérer l’art à leur profit. Ainsi l’oeuvre de Constantin Meunier, héros toujours revendiqué d’un socialisme héroïque. La rétrospective de Bruxelles remet certaines pendules à l’heure.

Constantin Meunier (1831-1905) est-il le porte-drapeau d’un socialisme haut les coeurs ? Ses sculptures, du mineur au semeur, expriment bel et bien le monde du travail de la fin du XIXe siècle. Du coup, aujourd’hui encore, son oeuvre demeure-t-elle assimilée aux idéaux du socialisme. Or, contrairement aux désirs pieux d’une hagiographie de la gauche, l’artiste, quoiqu’ayant fait de la classe ouvrière son thème privilégié, n’a jamais adhéré au Parti Ouvrier Belge. Il est curieux d’autre part de noter que la seule rétrospective, en 1909, fut organisée par l’université catholique de Louvain. Alors ? Révolte, compassion ou charité ? Jugez plutôt.

A l’heure de la grande dépression des années 1930, les opus acquis très tôt par les musées de New York, Boston et Chicago vont servir à illustrer la grandeur de l’individu au travail en terres du capitalisme alors qu’en Russie, la même esthétique sera phagocytée aux fins d’une héroïsation de la classe ouvrière dominante. Et la Belgique n’est pas en reste qui fait de Meunier un porte-drapeau du socialisme. En 1939, l’Etat acquiert sa maison-atelier (59, rue de l’Abbaye, à Ixelles) après avoir financé la réalisation posthume du très ambitieux (et ennuyeux) Monument au travail, aujourd’hui visible quai des Yachts, à Laeken. Et que dire de la collection des musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles et ses 850 sculptures, peintures, pastels et dessins. Un record. Il fallait donc y mettre bon ordre en revisitant l’oeuvre de bout en bout.

Et que découvre-t-on ?

Un homme inquiet et introverti qui longtemps cherchera sa voie entre le réalisme et l’allégorie, l’art du portrait et les expressions héroïques. Un homme dont l’art se nourrit d’expériences personnelles mais aussi de curiosité pour la musique (Wagner), la littérature (Camille Lemonnier), les arts (Courbet) ou encore les débats artistiques. Orphelin de père depuis l’âge de 4 ans, il garde en lui une profonde tristesse qui l’amène, après neuf années de formation néo-classique à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, à rechercher le silence des églises et le murmure des prières. Ainsi rejoint-il à plusieurs reprises les pères trappistes de l’abbaye de Westmalle, où il goûte, dans le silence imposé par cette congrégation contemplative, au caractère sacré des offices et des travaux des champs.

A 51 ans, la découverte d’une aciérie à Huy puis des charbonnages du Borinage provoque un changement dans le choix de ses sujets et bientôt, sa manière. Sur le motif, il observe les travailleurs et s’imprègne de l’univers noir d’un paysage en pleine transformation dont les rougeoiements et les fumées s’enracinent en lui comme une apocalypse annoncée. Au coeur de ce maelström, il y a des hommes, des femmes et des enfants qui se tuent à la tâche. Avec davantage de couleurs, plus de liberté dans la touche et un usage quasi cinématographique du clair-obscur, il gagne en expressivité. A partir de 1885, il privilégie la sculpture et d’abord le bronze, plus moderne et dont la pratique a plus d’un lien avec le monde du feu et la coulée. Vient ensuite la gloire… La récupération.

Rétrospective Constantin Meunier (1831-1905), aux Musées royaux des Beaux-Arts, à Bruxelles. Du 20 septembre au 11 janvier 2015. www.expo-meunier.be

A lire : Constantin Meunier, sous la direction de Francisca Vandepitte, Lannoo, 320 p.

Guy Gilsoul

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