L’OMBRE DE L’IRAN SUR LE MONDE

Dans le catalogue des impasses internationales, le choix reste large. Soit l’aggravation de la tension entre Israéliens et Palestiniens, dont les conséquences demeurent imprévisibles ; soit l’escalade militaire entre la Russie et l’Ukraine, que l’Occident n’est pas en mesure d’arrêter ; soit l’acharnement de Daech à poursuivre ses ravages en Irak et en Syrie, qu’il s’agit de circonscrire à travers un Kriegspiel particulièrement complexe. Pour tenter de se consoler, on scrute avec un faible espoir les négociations sur le nucléaire iranien, dont l’aboutissement serait dans l’intérêt du monde entier.

L’Iran chiite, il faut le répéter, est au centre de toute la problématique actuelle du Moyen-Orient. Non seulement parce qu’il a pris un poids considérable dans l’ensemble de la région et qu’il est impliqué dans plusieurs conflits, mais aussi parce qu’il est un des très rares terrains sur lesquels les Occidentaux et la Russie pourraient conjuguer leurs efforts. C’est en effet au sein du groupe des  » 5 + 1  » (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni + Allemagne) que se tiennent les pourparlers avec les représentants iraniens. Or, pour contrôler le stock d’uranium enrichi de l’Iran, nécessaire à la fabrication d’une bombe atomique, Moscou se propose de le reconvertir en Russie et de le réexpédier vers l’unique centrale nucléaire civile iranienne de Bouchehr, de technologie russe. Habile positionnement, qui créerait une barrière technologique efficace – et qui redonnerait aux Russes un rôle central.

Grâce à son jeu d’alliances, le pays des mollahs a de facto pris racine dans quatre capitales arabes. A Beyrouth, via le Hezbollah chiite, qui déstabilise à loisir le fragile échiquier libanais. A Damas, où le régime de Bachar al-Assad s’appuie sur la fraction alaouite du pays (dont la religion s’apparente par la petite porte au chiisme) et où il dispose d’un soutien militaire et financier très actif de la part de Téhéran. A Bagdad, par l’entremise d’un gouvernement dominé par les chiites irakiens, lesquels sont majoritaires en Irak (seul autre cas à part l’Iran). Enfin, même si l’on n’y prête guère attention, le Yémen est désormais la proie d’une lutte armée entre sunnites et chiites, qui montre la pugnacité de ces derniers. A Sanaa, des groupes armés de religion zaydite (branche minoritaire au sein du chiisme, mais qui représente la moitié de la population yéménite) se sont emparés, à la fin de septembre, de la capitale sur fond de luttes tribales. Depuis, la situation est des plus confuses, mais elle demeure à l’avantage de Téhéran.

Cette extension de l’ombre de l’Iran sur tout le Moyen-Orient pèse en faveur d’une solution diplomatique et induit un rapprochement prudent avec Téhéran, calcul de circonstance qui apparaît dirigé dans l’urgence contre Daech. Tant pis si, au passage, cela conforterait à l’évidence Bachar al-Assad et mettrait les Etats-Unis et l’Europe en contradiction formelle avec la ligne suivie jusqu’ici à l’égard de la Syrie : l’enjeu dépasse le cadre du seul confit syrien. C’est dans ce contexte que Washington travaille à faire aboutir les négociations en cours sur le nucléaire iranien. On ne résumera pas ici le détail des tractations, dont les points techniques sont pourtant cruciaux, mais retenons que le calendrier est serré pour Barack Obama, très soucieux d’obtenir un succès avant l’installation du nouveau Congrès, à majorité républicaine, en janvier 2015, qui réduira sa marge de manoeuvre. De même, le président iranien, Hassan Rohani, a tout intérêt à être l’artisan d’un dégel avec les Occidentaux, pour leur arracher un allégement des sanctions économiques, dont l’Iran a grand besoin.

Ce raisonnement se heurte cependant à une erreur de dialectique, à une inversion de causalité. Considérer que le régime de Téhéran est la clé des problèmes les plus brûlants, en particulier la lutte contre Daech en Irak et en Syrie, revient à oublier qu’il est à l’origine directe de l’embrasement de toute la région.

par Christian Makarian

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