» L’islam radical a déclaré une guerre au monde entier « 

Grand prix de l’Académie française pour 2084, l’écrivain algérien estime que Daech se nourrit de la guerre pour exister et qu’il faut donc lui opposer un combat politique et économique.

En cette  » époque frileuse « , un homme ose affronter la folie des hommes à la force de sa plume audacieuse. Boualem Sansal, l’écrivain algérien, est la figure incontournable de cette rentrée littéraire automnale. Outre sa présence dans le palmarès des meilleures ventes, il a remporté avec 2084 (1) le grand prix de l’Académie française, le 29 octobre dernier, ex-æquo avec le Tunisien Hédi Kaddour (Les Prépondérants, Gallimard). Mais quelle est la particularité de Sansal ? Il y a deux ans, il publiait l’essai Gouverner au nom d’Allah. Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe (Gallimard), une analyse historique et sociologique sur l’instrumentalisation de l’islam. L’auteur en est le témoin, puisqu’il n’a jamais quitté son pays, l’Algérie, en dépit des menaces proférées contre lui et sa famille. Dans sa fable profondément politique, 2084. La fin du monde, l’islamisme n’y est point cité, mais il se reconnaît aisément dans cet Abistan imaginaire, régi par les guerres et le régime totalitaire menés au nom de Yölah. L’idée : éradiquer la liberté individuelle par la force d’une religion. Mais Ati désire la reconquérir. Lors de son précédent entretien au Vif/L’Express (le 23 septembre 2011), Boualem Sansal soutenait que  » le propre de l’intellectuel est de dépasser la crainte, sinon il devient soldat « . Rencontre avec un  » mutant rebelle  » qui aimerait tant secouer les esprits avant qu’il ne soit trop tard…

Le Vif/L’Express : Votre roman est construit comme une fable dénonçant, ce que vous nommez  » l’écrasement de l’homme par la religion « . Pourquoi avoir choisi cette forme ?

Boualem Sansal : La théorie prophétique de George Orwell (NDLR : auteur de 1984) me permet d’être mieux armé pour observer un système qui devient planétaire. Il ne s’agit, hélas, ni d’une fable, ni d’un conte, mais d’une réalité que j’ai perçue de mes propres yeux. Peu à peu, j’ai vu l’islamisme transformer et effacer l’histoire. Son mode d’emploi ? Raconter des mensonges, créer une langue sacrée, diffuser des slogans orwelliens et imposer la guerre. L’islamisme fait détester l’humanité et l’homme en lui imposant une croyance et en annihilant toute possibilité de lui échapper. C’est terrifiant d’être totalitaire à ce point… Je crains que les conditions soient désormais réunies pour que ce système totalitaire, qu’est l’islamisme, se déploie à travers le monde.

Comment celui-ci doit-il réagir pour  » briser la chaîne qui amarre la foi à la folie  » ?

Le sous-titre de mon livre n’est pas anodin, puisqu’il pointe la fin d’un monde, voire du monde. Au risque de vous choquer, je pense que ce qui se produit en Syrie et en Irak, bien que terrible, ne sert qu’à faire diversion. L’islam radical a déclaré une guerre au monde entier. Mais la peur et le politiquement correct nous interdisent d’en parler. Autre hypocrisie, l’Arabie saoudite ou le Qatar, qui réussissent à adoucir l’Europe et les autres par des contrats juteux. Pas de doute, la lame de fond semble bien menée. Mais qui se préoccupe de l’islamisme rampant ? Celui qui convertit des milliers de gens aux quatre coins de la planète, y compris dans vos contrées ? On m’accuse d’être pessimiste ou islamophobe, pire encore d’aller dans le sens de l’extrême droite. Mais où nous mènera le silence ? Le monde est supposé être gouverné par les grandes puissances, or elles ne s’intéressent qu’à leurs intérêts et s’avèrent incapables de maintenir l’ordre. La seule force organisée actuellement est la force musulmane ! Elle démontre une incroyable volonté de puissance, de domination, d’action et de réflexion à long terme. Elle y met toute la force, l’argent, la technologie et les vies qu’il faut. Je croyais l’Algérie et les autres pays arabes invincibles, il n’en est rien ! Il suffit de quelques attentats pour que l’Europe panique. Plus que les armes, les islamistes possèdent les idées et l’idéologie. Nous, on n’a rien, on n’est même pas mobilisés au nom de la démocratie.

Les gouvernements démocratiques doivent-ils également user de la violence pour combattre ce phénomène ?

Sûrement pas, ce serait faire le jeu des islamistes. Daech se nourrit de la violence et de la guerre pour exister, sinon elle s’effondre rapidement. Si on continue à l’alimenter, elle finira par triompher car elle ne craint pas la durée. Je pense même que Daech est en train d’ouvrir un nouveau front en Israël, via  » la guerre des couteaux « , une méthode largement pratiquée en Algérie. Or, que règlent les Etats-Unis en bombardant un pays pour tuer quelques islamistes ? Il faut agir politiquement, financièrement et économiquement. Ce roman veut lancer un cri d’alarme parce qu’on pâtit tous de la guerre des islamistes.

Vous écrivez que  » l’imagination peut donner la vie « . Est-elle susceptible de sauver le monde ?

Il est impossible de concevoir notre monde sans frontières, sinon on serait perdu dans son immensité. Mon héros, Ati, découvre toutefois que l’imaginaire peut l’aider à échapper à la folie ambiante. Ce n’est qu’en prenant conscience du mot  » frontière  » qu’il se demande quelles sont leurs limites et comment apprendre à les dépasser. Mais où se situe la vérité ? Le danger est justement d’affirmer qu’elle se trouve uniquement dans la religion. Je l’écris d’ailleurs dans ce roman,  » la vie est un questionnement, jamais une réponse « , une philosophie qui va à l’encontre des dictatures et de l’islamisme. Ce dernier est malheureusement en train de tracer un boulevard vers la victoire. Si on continue comme ça, l’histoire de 2084 risque de se réaliser, tellement j’ai le sentiment qu’on a abdiqué d’un point de vue individuel et collectif. Cela peut vous paraître surprenant, mais j’ai néanmoins conçu ce livre comme un roman d’espoir. Il nous rappelle que le plus grand danger consiste à cesser de rêver. Je me définis comme un révolté prônant la fraternité. On est l’Autre, quel qu’il soit, et ça, on ne peut pas y échapper.

Entretien : Kerenn Elkaïm

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