L’irrésistible ascension des drones

Criminalité, incendie, gestion des forêts, marketing : la technologie des drones fascine autant qu’elle inquiète. Alors que la Belgique finalise son cadre légal, les entorses au respect de la vie privée planent au-dessus de nos têtes. Une crainte justifiée ?

Ils ont le pouvoir de vous épier, de repérer des fauteurs de troubles ou de transcender le tournage d’un James Bond. Depuis quelques années, les drones – de l’anglais  » faux bourdon  » – connaissent un succès fulgurant. Surveillance policière, monitoring agricole, industriel, publicité… Cette technologie, réservée à de rares opérations il y a cinq ans, arrive aujourd’hui à maturité dans d’innombrables secteurs d’activité. Tant et si bien que la Commission européenne mise sur la création de 150 000 emplois nouveaux d’ici à 2050. Le marché mondial, dont le potentiel actuel se chiffre à 4 milliards d’euros, pourrait dépasser les 9 milliards en 2023 selon une étude de marché de Teal Group.

En Belgique, les ventes de mini-quadrirotors à usage civil sont en constante progression, tandis que divers projets de recherche et développement voient le jour. Le ministre wallon de l’Economie, Jean-Claude Marcourt (PS), l’a souligné en commission le 7 octobre dernier : la technologie pourrait même intégrer prochainement le pôle de compétitivité Skywin, qui accompagne le secteur aérospatial.

Et pourtant : l’utilisation de drones, à des fins privées ou commerciales, reste à ce jour strictement illégale en Belgique, hormis sur un terrain d’aéromodélisme. Seules les autorités militaires ou policières sont habilitées à y avoir recours pour des missions de surveillance, sous conditions et sous les contraintes d’une loi  » Caméras  » inadaptée à la révolution des aéronefs capables de filmer. L’Etat fédéral promet un arrêté royal depuis des mois pour encadrer l’usage de drones. Il en est toujours au stade des consultations, même si l’on en connaît les grandes lignes : les vols à portée visuelle ne seront tolérés qu’à une hauteur maximale de 60 mètres, en dehors des villes et des espaces aériens contrôlés. La Direction générale du transport aérien (DGTA) devra par ailleurs disposer d’un dossier technique et allouer un numéro d’immatriculation pour chaque drone. De son côté, l’utilisateur devra disposer d’une licence de  » télépilote « .

Un nouveau marché noir

Mais l’engouement du gadget, associé à d’importantes retombées financières, incite certains entrepreneurs à enfreindre d’ores et déjà les règles, partiellement ou en totalité. D’où la naissance progressive d’un véritable marché noir, y compris en Wallonie.  » Pour le moment, j’évite d’en faire la publicité, confie l’un d’entre eux. Je suis en rapport constant avec la DGTA et mes drones sont enregistrés. La plupart du temps, je demande des dérogations informelles pour effectuer mes prestations. Mais il m’arrive de travailler sans autorisation lorsque les clients sont pressés.  » Parmi eux, des infographistes, des architectes, des producteurs de films ou des grandes entreprises soucieuses de booster leur image de marque dans les airs. Même dans l’illégalité, le carnet de commandes est bien rempli.

A côté de leur vaste potentiel de développement, la propagation de ces appareils volants souvent discrets fait surtout naître des craintes quant au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles, dont la revente peut se chiffrer rapidement en millions d’euros. La Commission vie privée se montre intransigeante dès lors qu’une caméra ou tout autre dispositif permet à un drone de récolter de telles informations.  » Il faut éviter que l’usage de drones permettant d’identifier des personnes ne devienne une pratique banale à l’avenir, commente Romain Robert, conseiller juridique de la Commission. Si les critères que l’utilisateur doit respecter ne s’avèrent pas réalistes, tant pis pour lui.  »

Des limites à la surveillance policière

Dans ses mises en garde, la Commission vie privée épingle aussi l’épineux débat des pratiques policières dans le cadre d’une exploitation future des drones pour certaines missions.  » Une utilisation systématique pourrait poser encore plus de problèmes entre les mains de la police, poursuit Romain Robert. Il serait anormal qu’un drone puisse être utilisé pour surveiller une propriété privée sans mandat de perquisition.  » De son côté, la police fédérale attend un cadre légal avant d’envisager l’appui d’aéronefs téléguidés.

Le défi dépasse largement l’échelon national. Cette année, la Commission européenne a demandé à la VUB et au partenaire londonien Trilateral Research and Consulting d’émettre des recommandations pour mettre en oeuvre une politique de développement des drones compatible avec le respect des droits fondamentaux.  » Quelle qu’en soit la finalité, l’usage d’un drone devra répondre à un critère de nécessité, de proportionnalité et de transparence « , commente Laura Jacques, chercheuse à la VUB. La mise en oeuvre d’un portail Web à l’échelle européenne pourrait notamment permettre de faire le lien entre un drone enregistré, l’objectif de sa mission et l’identité de son utilisateur.

Malgré les dérives potentielles, l’essor des drones semble inévitable. En France, le nombre d’exploitants agréés est passé de 86 à 400 depuis l’entrée en vigueur d’un arrêté pourtant strict en avril 2012. La Belgique pourrait s’en inspirer pour sa législation à l’horizon 2015. Et amorcer à son tour une révolution technologique dont les plus récents prototypes se confondent avec les battements d’aile d’un minuscule insecte équipé d’une caméra.

Par Christophe Leroy

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