L’improbable casse-tête des permis d’urbanisme

Les demandes de permis d’urbanisme souffrent d’innombrables retards en Wallonie. Etranglées financièrement, les communes peinent à suivre. Un document interne à l’administration, que Le Vif/L’Express s’est procuré, identifie les bons et les mauvais élèves.

« Le principal problème du système actuel, c’est bien le non-respect des délais.  » Le constat d’Olivier Dupuis, président faisant fonction du Conseil francophone et germanophone de l’Ordre des architectes, est implacable. En Wallonie, les demandes de permis d’urbanisme s’apparentent à de véritables casse-tête. Face à la complexité des règles en vigueur, tout le monde s’y perd : les particuliers, les opérateurs publics ou privés, et même les spécialistes de tous les horizons.

Dans ce rude contexte, comment les 262 communes wallonnes absorbent-elles les demandes ? Le Vif/L’Express s’est procuré un document interne à l’administration plutôt éloquent à cet égard. Sur près de 200 pages, celui-ci répertorie, pour l’année 2014, les délais de 8 894 dossiers soumis à l’avis préalable du fonctionnaire délégué de la Région wallonne (lire également l’encadré page 21). Il offre un net aperçu des délais réels pour les projets nécessitant au minimum l’organisation d’une enquête publique.

Retard moyen : 58 jours

Quelque 64 % des décisions communales ont ainsi été communiquées au-delà du délai théorique (75 ou 115 jours selon les cas). Le retard moyen, une fois que ce seuil est franchi, est de 58 jours. Il survient régulièrement dès l’envoi par la commune des accusés de dépôt. Mais aussi lorsqu’elle sollicite des pièces complémentaires pour les dossiers incomplets.  » Les communes mettent parfois jusqu’à trois mois avant d’en faire la demande, reconnaît le ministre de l’Aménagement du territoire, Carlo Di Antonio (CDH). Cela fausse le calcul du délai.  »

Les Wallons sont loin d’être égaux devant ces retards. La situation est plus critique dans les grandes villes wallonnes et dans les bassins de vie densément peuplés. Charleroi, Liège, Namur, Mons et Tournai dépassent allègrement la barre des 60 jours de retard. A l’inverse, les délais sont davantage honorés au sud du sillon Sambre-et-Meuse et dans les communes plus petites. La présence de deux fonctionnaires délégués en province de Hainaut et en province de Liège (auxquels s’ajoute la direction d’Eupen pour sa partie germanophone) traduit l’afflux important de dossiers qu’on y traite.

Un choix politique

Pourquoi de telles disparités ? Plus la commune applique une politique restrictive sur le plan urbanistique, plus les demandes de dérogations sont nombreuses. D’où la présence d’une petite commune comme Attert (5 300 habitants), en province de Luxembourg, dans le flop 10 du classement.  » Une cohérence se dessine dans toutes nos rues, commente le député-bourgmestre Joseph Arens (CDH). Plutôt que de refuser les demandes problématiques, nous en discutons avec les personnes concernées. Ce qui contribue à rallonger les délais. Mais lorsqu’un demandeur s’accroche à tout prix à une dérogation, je trouve cela inacceptable.  » A Chaumont-Gistoux, en Brabant wallon, le sentier du Berger est un curieux exutoire où se concentrent les habitations  » hors normes « .

Le suivi des demandes de permis d’urbanisme dépend largement des moyens de la commune. A Seraing, le rabotage drastique du budget communal complique la tâche.  » Les grandes villes sont étranglées financièrement, témoigne Jean-Louis Delmotte (PS), l’échevin de l’Urbanisme. Dans ces conditions, il est difficile de garantir notre mission de service public.  » La tendance est similaire à Charleroi, où les 217 dossiers soumis à l’avis du fonctionnaire délégué accusent 100 % de retard en 2014.  » Chez nous, le délai réel est deux fois plus long que le délai théorique, constate Frédéric Fraiture, directeur de la cellule Urbanisme-Logement. Mais nous résorbons progressivement les retards.  »

Les anciens bassins industriels et des zones économiquement sinistrées drainent, par ailleurs, de nombreux projets de revitalisation plus complexes à traiter. Paradoxalement, les demandeurs aux moyens financiers conséquents dopent le nombre de dérogations.  » L’immobilier n’est plus uniquement perçu comme le projet de toute une vie, observe Philippe Chaidron, fonctionnaire délégué faisant fonction de la Direction du Brabant wallon. C’est aussi un investissement : les demandeurs sont devenus beaucoup plus précis dans leurs attentes.  » A Lasne, les exigences multiples dans les projets immobiliers se heurtent ainsi à des règlements pointus en matière d’urbanisme.

La voie de la moindre résistance

En ville, les contraintes pesant sur l’octroi de permis portent ombrage à la lutte contre l’étalement urbain dont se targue la Wallonie.  » La surabondance de réglementations dans les centres urbains décourage bon nombre d’opérateurs, analyse André Delecour, fonctionnaire délégué de la Direction Liège 1. Au final, ils s’engagent dans la voie de la moindre résistance et développent des projets dans des zones plus tolérantes, c’est-à-dire en périphérie.  »

Dans l’attente de la nouvelle législation, annoncée au plus tôt pour le printemps 2016, la Wallonie continuera de subir ses propres contradictions. Et de renouveler son bâti au triple ralenti.

Par Christophe Leroy

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