Rencontre avec Paul Scolas, l’un des orateurs, docteur en théologie et chargé de cours à l’UCL.
Le Vif/L’Express : Un colloque entièrement consacré au Diable, curieuse idée…
Paul Scolas : Je comprends que cela surprenne. Les colloques Gesché revisitent des thèmes de la tradition chrétienne tombés dans l’oubli, mais qui gardent une pertinence et donnent lieu à débat. Le premier colloque, en 1991, était consacré au retour de l’esprit de fatalité et de résignation dans la société, peut-être encouragé par les avatars de la prédestination chrétienne. Une autre rencontre, en 2005, traitait de l’invention chrétienne du péché : penser le mal comme péché rend possible l’espérance, celle de ne plus voir le mal comme irrémédiable, car il y a la Bonne Nouvelle de la rémission des péchés. Cette fois, nous testerons une hypothèse : l’utilité du diabolique pour s’ajuster à la disproportion du mal dans la vie et dans l’histoire. La relecture de Sous le soleil de Satan, le premier roman de Bernanos, a alimenté mes réflexions sur le sujet.
Y a-t-il encore une place pour le Diable au XXIe siècle ?
L’image du Diable est très présente dans le monde moderne, souvent en tant que métaphore. L’esprit humain a, en outre, tendance à réduire les relations avec autrui à une lutte entre le bien et le mal. En revanche, le Diable ne retient plus l’attention des théologiens et encore moins celle des prédicateurs du dimanche. Il ne faudrait pourtant pas jeter le bébé avec l’eau du bain, ou plutôt le Démon avec les flammes de l’Enfer. Ignorer la figure du Diable contribue à voiler la puissance du mal.
Quelle conséquence pour l’homme ?
Sa culpabilité est exacerbée du fait que le malheur et la souffrance existent et reviennent sans cesse. Si le Diable est congédié pour de bon, l’homme est coupable du mal qui règne sur Terre. Lui seul a produit les horreurs et désastres qui ont marqué le XXe siècle et le début du XXIe. A l’inverse, on peut considérer que l’homme n’est pas totalement responsable, qu’il est » manipulé « . C’est l’idée qu’il tombe en tentation, victime d’une puissance qui le dépasse. Si l’homme est tenté, c’est qu’il y a un tentateur. Et dans la Bible, » le tentateur » est l’un des noms du Diable.
Que déduire des récits bibliques de tentations ?
Dans le 3e chapitre de la Genèse, le tentateur n’est pas encore un démon, mais une figure plus énigmatique : un serpent qui parle. C’est un séducteur, un menteur, un rusé, et néanmoins une créature de Dieu. D’où la question : pourquoi Dieu a-t-il créé une créature qui détourne l’homme de sa fin ? Dans la Bible, le Diable tente à plusieurs reprises de persuader l’homme que le Créateur l’a trompé sur son origine. Voilà la clé essentielle : réussir sa vie, c’est accepter que l’on ne s’est pas fait soi-même, que l’on a un père. Les tentations de Jésus au désert portent, elles, sur la manière d’être le Messie. Pour Satan, être le Messie n’est pas rencontrer le faible, le pécheur, c’est prendre le pouvoir. Quand le Diable invite le Fils de Dieu à sauter du haut du Temple, il invite Jésus à s’élever au-dessus de la condition humaine, à prendre la place du Père.
Quel sens donner à » Délivrez-nous du mal « , ultime demande à Dieu dans le Notre Père, la prière des chrétiens ?
La traduction de cette demande a été édulcorée dans les années 1970. Dans le texte original, le mal est personnifié : c’est le Malin, le tentateur, et non les maux. » Délivrez-nous du mal » signifie aussi qu’il y a une espérance, une rédemption possible, que le Diable n’est pas tout-puissant.
Et vous, croyez-vous au Diable ?
On me pose souvent cette question et j’avoue répondre par une pirouette : non, je ne crois pas en lui, dans le sens où je n’ai pas foi en lui. Pour le reste, je n’évacue pas le Diable, mais je ne sais pas clairement qui il est. Sans doute doit-il rester une énigme.
Entretien : Olivier Rogeau