Tétanisée par l’arrêt programmé d’une partie des activités de Cockerill Sambre, Liège tente de se trouver d’autres raisons d’être que la sidérurgie. Un premier rapport évoque le développement des activités portuaires
Liège se paupérise, Liège est en train de mourir ! » Le coup de gueule est signé Louis Smal, l’ancien patron des métallos liégeois de la CSC, devenu député CDH. L’annonce, par le groupe Arcelor, de la fermeture de la phase à chaud de la sidérurgie liégeoise, d’ici à 2009, a eu l’effet d’un coup de massue pour la Cité ardente, déjà malmenée. Ici et là, diverses initiatives ont aussitôt vu le jour, visant à formuler des propositions pour assurer l’avenir du Grand Liège, dont nombre de communes seront marquées au fer rouge par la disparition d’une partie de l’activité sidérurgique. L’ASBL » Avenir du pays de Liège » s’est, elle aussi, penchée sur le sujet, en réalisant une sorte de mission d’information auprès de tous les acteurs concernés par le redéploiement économique du bassin. Son rapport, baptisé » Méthodes et perspectives « , sera officiellement présenté ce 27 novembre. Il devrait déboucher, d’ici à avril ou mai prochain, sur un plan plus concret de relance de l’activité dans ce coin de la Wallonie. Les pistes de développement évoquées sont déjà connues : transport et logistique, nouvelles technologies, activités sidérurgiques sauvegardées, entreprises existantes, construction et services… Certaines des » forces vives » locales ne cachent d’ailleurs pas qu’elles cherchent, en vain, la nouveauté et la créativité dans ce document de synthèse d’une trentaine de pages. D’autres en soulignent les imperfections. » Ce texte ne précise pas quels hommes piloteront le projet, relève le ministre wallon de l’Economie, Serge Kubla (MR). Il n’indique pas non plus d’où viendront les moyens financiers nécessaires à sa réussite. Le problème qui se pose à Liège concerne toute la Wallonie : on ne peut donc pas se replier sur une solution strictement locale. La Région wallonne n’entend pas jouer au Mister Cash sans avoir été, au préalable, un partenaire de réflexion. » Au dire des parrains de ce rapport, Michel Foret (MR), ministre wallon de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire, et Guy Mathot (PS), bourgmestre de Seraing, ce document faisait pourtant l’unanimité… » On ne peut pas ne pas être d’accord avec cette synthèse, qui a le mérite d’exister, souffle un fin connaisseur (liégeois) du dossier. Mais il y manque l’essentiel. »
Désengorger Anvers
» Pour moi, le renouveau du pays de Liège passera par le développement de ses pôles technologiques et par le déploiement de ses atouts en matière de transport (TGV, aéroport de Bierset et port) et de logistique « , avance Bernadette Merenne, professeur de géographie à l’ULg. Cette deuxième piste a l’avantage de créer des emplois exigeant des qualifications de tous niveaux. C’est dans ce contexte qu’est évoquée la piste d’un éventuel partenariat entre le port autonome de Liège (2e port fluvial d’Europe) et le port d’Anvers (2e port maritime d’Europe et 5e port du monde). Liège, desservie à la fois par le canal Albert et par la Meuse, pourrait en effet servir de base arrière au port d’Anvers, confronté à un sérieux problème… de circulation routière. Les milliers de camions qui quittent la métropole après y avoir chargé des marchandises acheminées par la mer passent fréquemment plusieurs heures dans les embouteillages aux portes de la ville. Et les travaux annoncés sur le ring d’Anvers, en 2004 et 2005, rendront, de toute évidence, la situation plus difficile encore. Dans cette perspective, le port de Liège ne manque pas d’atouts. A un jet de pierre (129 km) d’Anvers, il dispose d’une denrée rare : des terrains disponibles en bord de fleuve ou de canal, dont une petite centaine d’hectares, rapidement. Quelque 280 hectares d’autres terrains devraient s’y ajouter, après assainissement (voir ci-dessous), lorsque Arcelor procédera au démantèlement d’une partie de ses activités. » Si des investisseurs cherchent à s’installer et qu’il n’y a pas de place disponible à Anvers, nous préférons qu’ils s’établissent le long du canal Albert, de manière à ancrer leur trafic vers nos installations. Mais nous n’avons pas besoin de Liège « , assure-t-on dans la métropole flamande. A partir de 2005, la capacité d’accueil passera, en effet, de 5 à 10 millions de conteneurs par an, dans le port anversois, tandis qu’une centaine d’hectares de terrains, destinés à des activités industrielles et de distribution, se libéreront sur la rive gauche de l’Escaut.
Il n’empêche : certains bateaux pourraient s’arrêter à Liège plutôt qu’à Anvers pour y décharger leur marchandise. » Mais il n’est pas question que Liège serve uniquement d’entrepôt, avertit Michel Foret. Il faut qu’y soient développés des services à valeur ajoutée. » Ainsi, par exemple, des marchandises en vrac, comme des fruits ou des engrais, pourraient y être conditionnées en plus petites quantités, avant d’être réexpédiées, par route ou par train, vers leurs destinataires. Certains travailleurs occupés à Anvers ne font pas autrement en installant des options sur les voitures non finies qui arrivent par bateau.
Bouée de secours
Dans ce dossier, nombre d’acteurs préfèrent rester silencieux. En raison des négociations en cours ? Il est vrai qu’Anvers discute avec d’autres, certains ports fluviaux limbourgeois notamment, situés le long du canal Albert, mais aussi avec le port de La Louvière. De son côté, Liège pourrait tout aussi bien s’acoquiner avec Rotterdam, voire avec Dunkerque. Toutes les parties jouent donc serré. D’autant que le port d’Anvers pourrait être tenté d’utiliser Liège comme bouée de secours, durant quelques années seulement, le temps de résoudre ses problèmes d’engorgement. » Les entreprises de transport sont de celles qui déménagent facilement, remarque Bernadette Merenne. Pour se les attacher, le port de Liège devra se rendre indispensable par la qualité de ses services. »
Un éventuel partenariat avec Anvers ne verra en tout cas pas le jour avant la mi-2004, au mieux. » Avec Anvers, on accrochera notre wagon à un train qui va de plus en plus vite, estime un expert des voies hydrauliques. Il n’est pas sûr que cela compensera les emplois perdus dans la sidérurgie, mais c’est un bon départ. »
Laurence van Ruymbeke